Les jours de Marissa Mayer à la tête de Yahoo! sont-ils comptés? La nervosité des investisseurs s'intensifie face à un redressement promis depuis plus de trois ans mais tardant à se concrétiser.

Le fonds spéculatif Starboard Value, qui figure parmi ses actionnaires, a fait monter la tension d'un cran cette semaine, avec une lettre aux dirigeants du groupe où il se dit « frustré de votre refus d'accepter notre aide et de votre approche dédaigneuse face à nos inquiétudes sérieuses quant à la situation actuelle chez Yahoo! ».

Starboard s'inquiète d'un projet de Yahoo! concernant sa participation d'environ 15 % dans le géant chinois du commerce en ligne Alibaba.

Yahoo! compte distribuer sous forme de dividende exceptionnel à ses actionnaires l'intégralité des titres d'une nouvelle société indépendante à laquelle il transfèrerait cette participation. Cela représenterait un cadeau d'une trentaine de milliards de dollars au cours de Bourse actuel d'Alibaba. Mais Starboard préfèrerait que Yahoo! se sépare plutôt de ses propres activités en ligne.

Le débat est purement technique, l'objectif étant de garantir que l'opération soit non imposable.

Dans les deux cas, cela débouchera sur deux sociétés indépendantes, l'une centrée sur le coeur de métier de Yahoo! et l'autre permettant d'investir indirectement dans Alibaba.

« L'important, c'est que la séparation se fasse, d'une manière ou d'une autre », indique à l'AFP Colin Gillis, analyste chez BGC Partners.

Le problème, c'est que l'annonce de la scission d'Alibaba en janvier avait été interprétée par beaucoup d'observateurs comme une tentative de Yahoo! pour calmer des actionnaires remuants, à commencer par Starboard. La nouvelle attaque du fonds semble prouver que cette stratégie a fait long feu.

Partie « d'ici douze mois »? 

La lune de miel semble bien terminée pour Marissa Mayer, débauchée il y a trois ans chez Google. Malgré son manque d'expérience comme patronne d'entreprise, les investisseurs avaient vu, dans cette jeune ingénieure créative et à l'image glamour, le sauveur capable de redonner à Yahoo! sa position perdue de fleuron de l'internet.

Elle a modernisé plusieurs produits historiques comme la messagerie Yahoo! Mail. Elle a payé plus d'un milliard de dollars en 2013 pour Tumblr et l'espoir de rajeunir l'image du groupe. Et elle a multiplié les acquisitions de start ups pour renforcer des activités jugées porteuses comme le mobile ou la vidéo en ligne. Jusqu'ici, cela n'a toutefois pas ramené la croissance.

Comble de malchance, l'une des initiatives qui semblait prometteuse, à savoir la décision cet été de se lancer dans les compétitions sportives virtuelles, s'est retrouvée victime de son succès: Yahoo Sports Daily Fantasy est sous le coup d'une enquête des autorités de l'État de New York, qui accusent plusieurs sites de ce type de contourner l'interdiction des jeux d'argent en ligne.

Toute une série de hauts responsables de Yahoo! ont quitté le navire ces derniers mois, et certains doutent désormais de l'avenir de la directrice générale elle-même.

« Les derniers jours de Marissa Mayer? », s'interroge Forbes dans le titre d'un article. « Il y a une bonne chance que d'ici douze mois, Marissa Mayer ne soit plus là », affirme de son côté sur CNBC Bob Peck, analyste chez SunTrust.

« C'est une activité difficile à redresser, c'est une entreprise qui a besoin d'être fondamentalement restructurée, et ce n'est pas le domaine d'expertise » de Mme Mayer, reconnaît aussi Colin Gillis.

Plusieurs analystes soulignent toutefois que la remplacer ne réglera pas les problèmes de Yahoo!.

« Le boulot d'un patron, c'est d'innover, de faire mieux que la concurrence, d'investir », et « pas de trouver un moyen d'éviter de payer des impôts », estime ainsi Trip Chowdhry chez Global Equities Research.

D'après lui, avec son profil d'ingénieur qui lui permet de comprendre l'activité, Marissa Mayer est « la bonne personne » pour diriger le groupe, et si quelqu'un doit partir, c'est plutôt le directeur financier Ken Goldman.

Robert Enderle, un analyste indépendant du secteur technologique, relève pour sa part que le conseil d'administration savait, quand il a choisi Marissa Mayer il y a trois ans malgré son manque d'expérience, qu'elle aurait beaucoup à apprendre, mais il « ne l'a pas bien soutenue ».

« Un bon conseil d'administration pourrait probablement diriger Mayer avec davantage de succès et éviter les perturbations et le coût que représenterait un nouveau changement de patron », fait-il valoir.