Vidéotron vient d'être condamnée à payer 34 millions de dollars aux actionnaires d'une entreprise de câblodistribution qu'elle s'était engagée à acheter en 2000. Le jugement de la Cour supérieure est très dur à l'égard de Vidéotron, de même que de Québecor Média dont le PDG à l'époque était Pierre Karl Péladeau. Le juge Pierre Journet estime que Vidéotron et Québecor Média ont créé un «écran de fumée» et «agi de manière abusive et excessive» pour faire annuler cette transaction de 40 millions.

Au début de l'été 2000, Vidéotron (alors dirigée par la famille Chagnon) conclut une entente écrite pour acheter l'entreprise de câblodistribution Câble-Axion Digitel, dont les actionnaires étaient Telus, le fonds Novacap et Paul Girard. À l'automne suivant, Vidéotron est vendue à Québecor Média. À partir de ce moment, Vidéotron multiplie les reports de la transaction et résilie un an plus tard son offre d'achat pour Câble-Axion, prétextant un «changement défavorable important» dans les finances de Câble-Axion.

Dans sa décision, le juge Journet condamne Vidéotron, qui a «trouvé un subterfuge pour mettre fin à ses obligations d'achat». Il souligne notamment les «circonstances cavalières» de la décision de Vidéotron de se retirer de la transaction, concluant que «Vidéotron n'a pas respecté ses obligations de bonne foi».

Selon la décision de la Cour supérieure, Vidéotron prétendait avoir résilié la transaction en raison d'une vérification diligente effectuée en août 2001, une période particulièrement défavorable aux câblodistributeurs puisque plusieurs personnes se débranchent du câble durant l'été en raison des déménagements. Selon le juge Journet, il s'agissait plutôt d'un «écran de fumée destiné à cacher la décision des dirigeants de Québecor Média de trouver les moyens pour mettre fin à l'obligation contractuelle liant les parties».

Vidéotron a indiqué hier son intention de faire appel de la décision. «À la lecture du jugement, il nous apparaît évident que le juge a mal saisi certains faits fondamentaux mis en preuve et en a induit des conclusions erronées. Par ailleurs, le jugement comporte des erreurs de droit fondamentales. Pour ces raisons, il est clair que nous allons aller en appel de ce jugement», a indiqué Martin Tremblay, vice-président des affaires publiques de Québecor (l'actionnaire majoritaire de Vidéotron).

Telus et Novacap se sont toutes deux dites «satisfaites» du jugement. «Nous pensons que justice a été rendue», a dit Bruno-Étienne Duguay, chef des affaires juridiques de Novacap.

«On croit que le jugement en dit long», a dit Luiza Staniec, porte-parole de Telus. Les actionnaires avaient poursuivi pour l'écart entre le prix entendu avec Vidéotron et leur prix de vente éventuel à d'autres acheteurs. Cet écart est de 18 millions. En comptant les intérêts et l'indemnité additionnelle, la somme atteint 34 millions.

Des détails sur la gestion de Vidéotron

La décision de la Cour supérieure donne plusieurs détails sur la gestion de Vidéotron au début de l'ère Québecor Média, sous la gouverne de Pierre Karl Péladeau. Le président de Vidéotron, Guy Beauchamp, se rappelle alors une réunion houleuse («où la marde a pogné», dit-il dans son témoignage) le 8 décembre 2000 entre les dirigeants de Vidéotron et Québecor Média. «Alors là ça criait dans les bureaux. [...] Bien, un peu tout le monde. Bien, surtout les gens de Québecor», a dit Guy Beauchamp dans son témoignage, où il compare notamment le conseil d'administration de Vidéotron à cette époque à une «étampe, ce qui veut dire qu'il n'y avait pas de grandes discussions là».

Un événement lourd de conséquences pour le projet de transaction entre Vidéotron et Câble-Axion: Câble-Axion a vendu de la fibre optique excédentaire à GT Telecom, qui a ainsi décidé de ne pas acheter Vidéotron Télécom. Québecor Média, qui n'avait pas encore acheté officiellement Vidéotron, comptait se défaire de la filiale Vidéotron Télécom pour diminuer son taux d'endettement. Québecor Média demande donc à Vidéotron d'empêcher la vente de fibre de Câble-Axion à GT Telecom.

En décembre 2000, Québecor Média n'est pas encore officiellement propriétaire de Vidéotron, qui est dirigée par le fiduciaire Serge Gouin en raison de la réglementation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). «Pierre Karl avait tout à fait le droit d'intervenir car Vidéotron Télécom et la fibre optique excédentaire n'étaient pas régis par le CRTC. La fiducie était uniquement pour les activités régies par le CRTC. Il avait parfaitement le droit de faire ce qu'il a fait», explique Serge Gouin à La Presse. La convention de fiducie régissant Vidéotron, déposée en preuve, prévoit effectivement une exemption pour les activités non régies par le CRTC.

Pierre Karl Péladeau, qui a témoigné mais qui n'est pas une partie à ce litige civil, n'a pas voulu commenter hier la décision de la Cour supérieure. Il est actionnaire de contrôle de Québecor, député de Saint-Jérôme et candidat à la direction du Parti québécois.

Un long litige

Février 2000

Novacap, Telus et Paul Girard, actionnaires du câblodistributeur Câble-Axion, mettent en vente leurs actions de l'entreprise.

7-9 juillet 2000

Vidéotron soumet la meilleure offre pour Câble-Axion, soit 40 millions.

22 août 2000

Signature de la convention d'achat entre Vidéotron et les actionnaires de Câble-Axion, sous «la seule réserve de l'approbation du CRTC».

27 septembre 2000

Québecor fait une offre publique pour acquérir Vidéotron. L'offre d'achat est acceptée le 23 octobre.

21 novembre 2000

Le CRTC approuve la transaction entre Vidéotron et Câble-Axion. En vertu de l'entente, la transaction doit se conclure avant le 1er janvier 2001.

9 août 2001

Vidéotron demande une mise à jour de la vérification diligente effectuée environ un an auparavant.

1er octobre 2001

Vidéotron confirme par écrit la résiliation de son offre.

19 octobre 2001

Vente de Câble-Axion à Cooptel et DeryTelecom. Les actionnaires de Câble-Axion poursuivent Vidéotron au civil.

20 janvier 2015

La Cour supérieure donne raison aux ex-actionnaires de Câble-Axion et ordonne à Vidéotron de payer la somme de 34 millions.