Pourquoi certains pays comme la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Japon ou la Chine d'aujourd'hui connaissent-ils dans leur histoire une forte poussée de croissance alors que d'autres, pas?

Pourquoi l'économie d'Amérique du Nord a-t-elle connu un décollage économique rapide au XIXe siècle, mais pas celle du Sud?

Comment expliquer les retards de l'Afrique, mais le rattrapage de l'Asie?

Voilà autant de questions et bien d'autres encore auxquelles Robert C. Allen apporte des éléments de réponses fondées sur une riche connaissance des spécificités historiques et géographiques des régions du monde. Elle lui permet de gommer bien des idées reçues.

Sa Brève histoire de l'économie mondiale se lit facilement, même pour le néophyte en matière d'économie, reine des sciences sociales.

Pour que le progrès puisse s'enraciner et persister, explique-t-il, une condition préalable a d'abord été nécessaire: le travail doit être bien rémunéré. Quand il est cher, en termes relatifs, il stimule l'investissement pour le rendre plus productif. «Le revenu minimum de subsistance est une trappe à pauvreté, écrit-il. La révolution industrielle n'a pas été seulement la cause, mais aussi le résultat de salaires élevés.»

Pour réussir, la stratégie de développement standard a besoin de quatre impératifs: la suppression des droits de douane intérieurs et le développement des transports pour créer un marché intérieur, l'établissement de droits de douane extérieurs pour protéger les industries naissantes, la création de banques pour stabiliser la monnaie et fournir du crédit et l'instruction de masse pour favoriser l'implantation et le développement de technologies.

C'est ainsi qu'on a pu mécaniser les filatures en Grande-Bretagne au point de produire des étoffes à coûts moindres qu'en Inde d'où on les faisait venir jusque là.

On a ensuite modernisé les transports, chemins de fer d'abord, puis navires à vapeur dès 1807. «Deux ans plus tard, John Molson, un brasseur canadien, lançait plusieurs bateaux à vapeur sur le Saint-Laurent, équipés de moteurs construits à Trois-Rivières.» Cela a stimulé l'industrie forestière.

La connaissance d'Allen est telle qu'elle lui permet d'expliquer pourquoi la Grande-Bretagne a pu devancer la France qui jouissait pourtant déjà d'une solide culture scientifique héritée des Lumières.

Il peut aussi expliquer pourquoi les hauts plateaux sud-américains ont compliqué le transport des marchandises alors qu'il était plus facile de bâtir des routes aux États-Unis.

Bref, les impératifs ne se mettent pas en place partout avec le même succès. Ainsi, installer des machines coûteuses là où le travail est bon marché n'est pas rentable avec pour résultat que la persistance des bas salaires freine le développement.

L'Afrique

Allen montre aussi comment le colonialisme a eu des résultats différents selon la puissance coloniale et selon les conditions socioéconomiques prévalentes dans les terres conquises.

Ainsi, l'abondance de bois et de morue a favorisé le commerce et la répartition de la richesse et l'instruction populaire au Canada alors que la production d'argent n'aura enrichi qu'une élite au Mexique.

Allen réussit aussi à expliquer clairement la complexité et la diversité des sociétés africaines avant le colonialisme européen. Plusieurs peuples étaient déjà esclavagistes et seule l'Éthiopie avait une agriculture performante. Les salaires (quand il y en avait) étaient faibles et la facilité à récolter ne stimulait ni le travail, ni la production, ni l'innovation.

En outre, la manière du colonisateur a laissé des stigmates bien différents. «Il ne sera pas facile à l'Afrique d'échapper à son histoire», résume Allen, qui se garde de porter des jugements politiques.

Il montre ensuite comment des pays comme le Japon, la Corée du Sud, l'Union soviétique et maintenant la Chine s'y sont pris pour réaliser tour à tour une grande poussée de croissance pour s'extirper de la pauvreté.

L'intégration des femmes au marché du travail est une constante.

Ces succès contrastent avec les échecs des pays latino-américains, l'Argentine en particulier, dont les erreurs sont mises en lumière.

Dans tous les cas, les forces et faiblesses de chaque parcours sont bien cernées et expliquées de manière à être comprises facilement.

Allen conclut en jaugeant le temps et les efforts qu'il faudra aux pays en retard pour rejoindre les puissances qui ont réussi leur grande poussée et dont les progrès reposent désormais sur la croissance démographique et les percées technologiques. Il n'y aura pas de panacée, prévient-il.

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Brève histoire de l'économie mondiale, Robert C. Allen, préface de Pierre Fortin, Boréal, 161 pages.