Atteindre le pôle Nord magnétique en parcourant en ski de fond 125 kilomètres sur la glace, avec une charge de 14 kg sur les épaules et en tirant un traîneau chargé d'une trentaine de kilos d'équipements ne relève pas d'une banale excursion de week-end. C'est la grande expédition polaire qu'entreprennent cette semaine Paul Desmarais, jr, président et co-chef de la direction de Power Corporation, et son fils, Paul Desmarais III, en compagnie de plusieurs autres chefs d'entreprise canadiens et québécois.

Lorsque je rencontre les deux hommes samedi matin, à quelques minutes de leur embarquement pour leur vol à destination de Resolute, dans le Grand Nord canadien, la première question qui me vient en tête est: lequel des deux a convaincu l'autre de participer à pareille aventure?

Paul Desmarais III lève automatiquement la main tandis que son père, Paul, jr, pointe prestement les deux bras en direction de son fils.

«C'est un de mes anciens patrons chez Goldman Sachs qui savait que j'avais déjà réalisé des expéditions dans le passé qui m'a contacté l'an dernier.

«Il était responsable du recrutement pour l'organisme True Patriot Love, qui vient en aide aux soldats canadiens blessés, parce qu'il mettait sur pied une nouvelle expédition pour amasser des fonds et qu'il voulait compter sur une délégation québécoise», explique Paul Desmarais III.

Il y a deux ans, True Patriot Love avait réuni une dizaine de chefs d'entreprises canadiennes, tous de l'Ontario, pour réaliser l'ascension de l'Himalaya. Cette semaine, ce sont une vingtaine de PDG de grandes sociétés de tout le Canada qui tenteront de rallier le pôle Nord magnétique en parcourant sur une dizaine de jours 125 kilomètres en ski de fond par des températures oscillant entre -20 et -30 degrés Celsius.

Outre MM. Desmarais, père et fils, la délégation québécoise est composée de François Olivier, PDG de Transcontinental, Eric Boyko, PDG de Stingray Digital, et Daniel Labrecque, PDG de DNA Capital.

L'explorateur-conférencier Bernard Voyer, la capitaine de l'équipe canadienne féminine de hockey Caroline Ouellette et Geneviève Lacasse, la gardienne de but substitut, sont également de l'aventure.

«On va jouer un match de hockey amical à Resolute contre des jeunes Inuits avant d'entreprendre l'expédition», précise Paul Desmarais III qui rappelle du même souffle que François Olivier a été recruté, à l'époque, par les Bruins de Boston...

La cause

«Lorsque j'ai eu l'appel de mon fils, je n'ai pas hésité une fraction de seconde et j'ai dit oui», explique Paul Desmarais, jr, président du conseil et co-chef de la direction de Power Corporation, notamment propriétaire de La Presse. Il est aussi coprésident du conseil de la Financière Power.

«Je savais que ce ne serait pas une expédition de tout repos. J'avais déjà repris l'entraînement il y a deux ans, mais j'ai haussé la cadence depuis six mois. Je vais bientôt avoir 60 ans et je voulais être prêt», ajoute-t-il.

Les Desmarais père et fils souscrivent pleinement à l'objectif de l'organisme True Patriot Love qui soutient les soldats canadiens qui ont été blessés - physiquement et moralement - dans le cadre de leur participation à des missions à l'étranger.

Malgré son emploi du temps chargé, Paul Desmarais, jr estime que c'est la moindre des choses que de prendre deux semaines pour venir en aide aux jeunes soldats canadiens qui ont risqué leur vie et qui portent des séquelles de leur engagement.

«On quitte pour cette expédition et on a tous un peu peur de la façon dont vont se dérouler les choses, nos familles aussi s'inquiètent. Imaginez ce que vivent nos jeunes de 20 ans qui partent en mission trois ou quatre mois dans des endroits hostiles, ce que traversent leurs familles», soumet-il.

«Ce qui m'a le plus interpellé, c'est que de 20 à 30% de nos soldats qui partent en mission vont revenir blessés ou souffrir à leur retour d'un choc post-traumatique. On a eu plusieurs suicides récemment et on veut surtout éviter de vivre ce qui se passe aux États-Unis, où on enregistre en moyenne 22 suicides par jour de militaires qui ont été en mission», expose Paul Desmarais, jr.

L'homme d'affaires a d'ailleurs contribué financièrement à la fondation du militaire de carrière Roméo Dallaire pour lutter contre l'enrôlement des enfants soldats.

«Roméo Dallaire, qui est le plus grand soldat canadien, souffre du choc post-traumatique et doit absorber des dizaines de pilules par jour. Imaginez ce que doivent vivre des jeunes de 21-22 ans», souligne le PDG.

L'engagement

La mission au pôle Nord magnétique que parraine cette semaine l'organisme True Patriot Love vise à récolter 1,5 million. Un objectif qui sera vraisemblablement dépassé.

«Cet argent va permettre de financer un programme de réhabilitation basé sur de nouvelles technologies. Il s'agit d'un programme de visualisation virtuelle du choc post-traumatique.

«Il permet de revivre l'évènement traumatique dans un environnement contrôlé et de désensibiliser le soldat affecté. C'est un programme qui sera administré par le médecin en chef de l'Armée canadienne», résume Paul Desmarais III.

L'expédition ne compte d'ailleurs pas que sur des chefs d'entreprise puisqu'une douzaine de militaires blessés en mission ou souffrant de choc post-traumatique vont aussi y participer. Tous les participants vont cohabiter par groupes de huit durant la dizaine de jours de l'expédition.

Le capitaine de l'équipée est l'explorateur canadien Richard Weber qui a déjà gagné sept fois le pôle Nord magnétique et qui détient ainsi le record du monde. L'explorateur-conférencier Bernard Voyer, qui fait partie du groupe québécois, a déjà réalisé l'exploit.

Quel sera le rôle de Bernard durant ce périple? a-t-on demandé à Paul Desmarais, jr.

«Oh, vous savez, on est pas mal actif dans le monde de l'assurance, on avait besoin d'une police peut-être?», répond le PDG en riant.

Son fils, Paul Desmarais III, qui était jusqu'à la semaine dernière responsable de la gestion des risques à la Great West et qui va dorénavant épauler son père chez Power Corporation, ajoute, en bon financier pragmatique et en riant lui aussi: «C'est un excellent dividende pour nous.»