Porte-monnaie électronique sur internet, téléphone portable transformé en carte de crédit: la Russie, où l'argent liquide garde les faveurs d'une grande partie de la population, se convertit au paiement virtuel, attisant les convoitises des acteurs du secteur.

«La Russie est vraiment un terrain de jeu où on peut s'éclater», résume Benoît Delestre, président pour l'Europe de SCCP.

Cette entreprise a développé un système, Swiff, qui transforme un téléphone portable en terminal de paiement par carte bancaire par l'ajout d'un boîtier bien moins complexe et coûteux que les systèmes actuellement à disposition des commerçants.

Basée à Singapour, SCCP a plus que doublé son chiffre d'affaires cette année, à environ huit millions d'euros. Si l'Asie représente une grande partie du développement de la société, elle parie de plus en plus sur la Russie.

«La Russie est un pays très émergent en termes de paiements, et tout le monde est équipé d'un téléphone intelligent, il y a du wifi partout», explique l'entrepreneur français en marge d'une table ronde sur l'innovation organisée à Moscou par Europlace, l'association de promotion de la place financière parisienne.

Résultat: «le marché est très très bon alors qu'en Europe c'est un peu dur: il n'y pas a beaucoup de clients, le marché est très régulé et personne ne veut bouger», poursuit-il.

Pour percer sur le marché russe, SCCP s'est notamment allié avec Sberbank, la première banque du pays qui mise beaucoup sur le numérique pour se moderniser.

L'établissement a pris le contrôle cette année du service de paiement sécurisé par internet et mobile de Yandex, propriétaire du premier moteur de recherche en Russie.

L'objectif: éviter de se faire doubler par les nouveaux acteurs de la technologie de pointe, comme l'américain PayPal, qui permet depuis septembre d'effectuer des opérations en roubles.

Un marché inexistant il y a quelques années

Cette croissance s'explique «en premier lieu par un faible niveau de départ, car ce marché n'existait pas il y a encore quelques années en Russie», explique le directeur général d'Unistream, Kirill Paltchoun.

Les Russes, échaudés par de douloureuses faillites de banques dans les années 1990, sont longtemps restés très méfiants face aux comptes bancaires ou cartes de crédit.

La donne commence à changer, surtout dans la capitale russe où le niveau de vie dépasse de loin celui du reste du pays.

La tendance s'explique notamment par l'émergence du commerce en ligne qui devrait connaître des croissances annuelles de plus de 20% d'ici à 2015 selon les analystes d'Alfa Bank. Là encore, la Russie est très en retard, même vis-à-vis des autres pays émergents, et la plupart des achats en ligne sont encore réglés en liquide à la réception.

La population a été également convertie aux paiements virtuels par l'apparition de terminaux dans les rues permettant de payer à distance, en liquide, factures et achats sur internet.

Le numéro un de ce secteur, Qiwi, est entrée en Bourse en mai à New York. Après une période de méfiance, les investisseurs se sont rués sur la société russe aux résultats financiers flatteurs, et l'action a presque triplé, valorisant l'entreprise autour de 2,5 milliards de dollars.

«Qiwi capitalise sur les caractéristiques du marché russe du paiement: faible taux de pénétration des services financiers, fragmentation et faible compétition», résumait en septembre la banque Morgan Stanley.

Ces analystes soulignent que le groupe a aussi lancé avec Visa l'un des premiers porte-monnaie électroniques en Russie, marché qui devrait être multiplié par cinq en cinq ans.

«La Russie est passée directement du liquide (aux moyens innovants, ndlr) sans passer par la carte bancaire», confirme Kirill Gorynya, directeur général d'i-Free.

Cette société basée à Saint-Pétersbourg a lancé cette année l'application Kocheliok (portefeuille), qui intègre une carte de crédit Mastercard, utilisable directement depuis un téléphone intelligent HTC ou Philips.

Pour M. Gorynya, qui parie sur le paiement des titres de transport, convertir la population à ces nouveaux systèmes prendra bien trois à cinq ans, les réticences liées à la sécurité restant fortes.