Le grand patron de SNC-Lavalin (T.SNC) , Robert Card, veut en arriver le plus vite possible à un règlement avec Québec et Ottawa sur les scandales des dernières années afin d'enlever l'épée de Damoclès qui pend au-dessus de l'entreprise et qui nuit grandement à ses affaires.

SNC-Lavalin assure être tout à fait disposée à rembourser à l'État les sommes qui auraient pu lui être versées en trop à cause de la collusion ou de la corruption. L'entreprise ne s'attend toutefois pas à faire un gros chèque.

«Il n'est pas évident à mes yeux qu'il y a plein d'argent à rembourser. J'ai examiné nos travaux au Québec, j'ai comparé leurs marges bénéficiaires avec la moyenne de l'entreprise... Je ne dis pas qu'il n'y a pas de considérations financières, mais il est difficile pour moi d'en arriver à un chiffre de l'ampleur de celui que les gens ont en tête, je pense», a déclaré hier le PDG de SNC-Lavalin, Robert Card, en entrevue éditoriale à La Presse.

La semaine dernière, Québec a déposé un projet de loi pour faciliter les poursuites contre les entreprises de génie-conseil et de construction qui ont surfacturé les municipalités et le gouvernement.

Il ne sera toutefois pas facile d'établir les sommes en cause. En mars, devant la commission Charbonneau, un avocat de la Ville de Montréal avait évalué que SNC aurait empoché au moins 6,7 millions de dollars de plus grâce à la collusion qui sévissait dans la métropole entre 2004 et 2008. Ce calcul est fondé sur le fait que les prix pour les services de génie ont baissé de 20 à 25% depuis cette période, d'après la Ville.

Coûteux hôpitaux

Dans un éventuel règlement, M. Card souhaite cependant que Québec tienne compte de la hausse des coûts des travaux du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et du CHU Sainte-Justine, que SNC-Lavalin gère actuellement dans le cadre de partenariats publics-privés.

«Nous perdons déjà des centaines de millions sur ces deux projets, a affirmé Robert Card. Nous les avons eus par appels d'offres et nous étions le plus bas soumissionnaire.»

C'est l'ancien vice-président, Construction de SNC-Lavalin, Riadh Ben Aïssa, qui a travaillé à l'obtention de ces deux contrats. M. Ben Aïssa, Pierre Duhaime, ex-PDG de SNC, et Arthur Porter, ancien directeur général du CUSM, sont accusés de fraude dans le dossier du CUSM, pour lequel des pots-de-vin totalisant 22,5 millions US auraient été versés.

Selon M. Card, les deux hôpitaux ainsi que d'autres projets non rentables en Afrique du Nord qui étaient sous la responsabilité de Riadh Ben Aïssa coûteront pas moins de 250 millions à SNC-Lavalin. Dans le seul cas du CUSM, le dirigeant parle de «plus de 100 millions».

Les dépassements de coûts découlent en bonne partie de changements apportés aux devis par la direction du CUSM, a soutenu Robert Card. Un exemple: le futur hôpital sera plus grand que ce qui était prévu au départ. SNC est actuellement en discussions avec le gouvernement à ce sujet.

«Nous ne demandons aucune subvention, mais je pense que le gouvernement nous doit de l'argent pour ce projet», a insisté M. Card, qui a toutefois tenu à préciser qu'en dépit des différends, SNC-Lavalin ne fait «pas de compromis» sur la qualité des travaux. «Même si le gouvernement nous compensait pour tous les changements, ça resterait une excellente affaire pour les Montréalais.»

À Sainte-Justine, la facture plus élevée «semble plus être de notre faute, a reconnu le PDG. Le prix de notre soumission a été coupé à la dernière minute par nos gens».

Autorisation de l'AMF

Mais ce que craint le plus SNC-Lavalin en ce moment, c'est de connaître le sort de sa rivale Dessau, que le gouvernement a exclue des contrats publics pour une période de cinq ans l'été dernier. C'est pourquoi obtenir le feu vert de l'Autorité des marchés financiers (AMF) est la «première priorité» de Robert Card.

«Si le Québec devait nous radier, ce serait catastrophique, a-t-il estimé. La moitié de nos affaires est en quelque sorte liée aux diverses entités gouvernementales canadiennes. Je pense qu'il serait difficile pour n'importe quel gouvernement de continuer à nous confier des mandats si notre province d'origine nous excluait. Si ça devait arriver, il nous faudrait repenser complètement notre stratégie.»

L'incertitude fait déjà mal, et pas seulement au Québec. «Nous ne perdons pas les contrats pour lesquels nous soumissionnons, mais nous n'obtenons pas ceux qui viendraient normalement [sans démarche particulière], a dit M. Card. Par exemple, il y a une grande entreprise en Amérique latine qui songe à nous donner un contrat, mais qui attend [le règlement des questions d'éthique avec les gouvernements].»

Optimiste, le PDG entrevoit le jour où SNC-Lavalin pourra aider le Québec à combattre la collusion et la corruption. «Nous ne pouvons pas être une puissance mondiale [de l'ingénierie] en venant d'un endroit comme ici, a-t-il lancé. Il faut faire le ménage. Et nous sommes désireux d'y contribuer des ressources financières et humaines une fois que nous aurons nous-mêmes réglé nos problèmes, quand nous aurons gagné le droit d'intervenir sur ce plan.»

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Robert Card, PDG de SNC-Lavalin, sur...

La restructuration en Europe

Dans les années 2000, à l'époque où Jacques Lamarre en était le PDG, SNC-Lavalin a réalisé plusieurs acquisitions en France, en Belgique et en Espagne. En raison notamment des difficultés économiques dans la région, ces investissements n'ont pas été rentables. «Je ne sais pas ce qu'ils avaient en tête, mais de ce que j'en comprends, ils ont essayé de regrouper des firmes locales dans ces trois pays, dit Robert Card. Mais elles étaient spécialisées dans des projets plus petits qui ne nous intéressent plus. Ça n'a pas été une bonne décision stratégique.» Au cours des derniers mois, SNC s'est notamment départie du tiers de ses bureaux en France.

L'Afrique du Nord

Ce ne sont pas vraiment les scandales de corruption, mais le Printemps arabe qui a contraint SNC-Lavalin à réduire sa présence en Afrique du Nord, soutient M. Card.

L'an dernier, l'entreprise a tiré 8% de ses revenus de cette région, comparativement à 16% en 2011. Selon le PDG, SNC peut encore décrocher des contrats là-bas avec ses nouvelles règles d'éthique. «Quand vous vendez un savoir-faire technique pour des projets importants, vous n'avez pas besoin [de recourir à la corruption], même dans ces pays, dit-il. Je pense que SNC-Lavalin a perdu plusieurs occasions d'affaires pendant les années de croissance parce que ses efforts étaient concentrés [en Afrique du Nord].»

Le nucléaire

Robert Card se dit «très satisfait» des activités commerciales d'Énergie atomique du Canada, que SNC-Lavalin a acquises en 2011. «Je viens du secteur nucléaire, alors j'y crois beaucoup, note-t-il. Bizarrement, c'est davantage la faiblesse des prix du gaz naturel qui nuit à la renaissance du nucléaire que l'accident de Fukushima, au Japon. La technologie CANDU est très efficace pour l'élimination du plutonium, dont il existe d'importants surplus dans le monde. Il y a actuellement cinq projets crédibles de construction de centrales. Ils ne seront pas faciles à concrétiser, mais ils sont là. Et notre division de services à l'industrie est très intéressante.»