Reed Hastings est l'homme le plus craint du petit écran au pays. Mais le PDG et cofondateur de Netflix ne gardera peut-être pas cette réputation très longtemps.

Depuis février, Netflix a son premier rival au Canada, le Club à volonté de Vidéotron. Bell-Astral et Rogers entendent suivre prochainement avec leur propre service de visionnement en ligne. Une «belle bataille concurrentielle» accueillie favorablement par Netflix.

«Ce sera un beau défi pour nous, mais une bonne chose pour les Canadiens qui auront plus de choix, dit Reed Hastings, en entrevue à La Presse Affaires. Nous avons beaucoup de concurrents aux États-Unis et en Grande-Bretagne et nous obtenons quand même beaucoup de succès là-bas. Le meilleur moyen de continuer d'avoir du succès, c'est d'améliorer notre service. Je suis sûr que nous apprendrons autant d'eux qu'ils apprendront de nous.»

Pour augmenter le nombre de ses abonnés au Québec, Netflix est consciente de devoir augmenter le nombre des films et des séries télé francophones qu'elle propose. D'autant plus que Vidéotron n'a pas l'exclusivité du contenu francophone de son Club à volonté (où 100% du contenu est francophone).

«Nous voulons absolument plus de contenu francophone, mais aussi plus de contenu anglophone, dit Reed Hastings. Nous avons amélioré notre offre de contenu depuis deux ans et nous continuerons à le faire, mais ça laisse quand même beaucoup de place pour Vidéotron qui connaît bien le marché [québécois]. J'imagine que nos services seront différents.»

La situation du Québec n'est toutefois pas unique pour Netflix, qui mise sur du contenu majoritairement anglophone aussi en Europe. «Sur nos 40 pays dans le monde, seulement 4 ont l'anglais comme langue principale [États-Unis, Angleterre, Irlande et le Canada anglais]», rappelle Reed Hastings, qui prononçait une allocution hier à Toronto.

Pour choisir ses futurs contenus, Netflix a recours à un département de recherche plutôt inusité: les sites de piratage. «Bizarrement, nous regardons beaucoup ce qui est piraté pour voir ce que les gens veulent regarder et ce qu'ils ne peuvent pas regarder en ligne [autrement que sur des sites piratés], dit le PDG de Netflix.

Parfois, le contenu local est très piraté. Parfois, ce n'est pas le cas car il y a déjà beaucoup d'options pour visionner en ligne le contenu local [ex.: Tou.tv de Radio-Canada]. Il n'y a pas de valeur pour nous à offrir des émissions qui sont déjà accessibles ailleurs [ex.: sur Tou.tv].»

Avoir plusieurs abonnements, comme des magazines

Si Reed Hastings ne semble pas trop inquiet de la nouvelle concurrence des conglomérats de télécoms canadiens, c'est qu'il connaît l'industrie du divertissement en ligne mieux que quiconque. Et il prédit que les Canadiens pourraient être tentés de s'abonner à plusieurs services de visionnement en ligne, au détriment du câble traditionnel.

«Les nouveaux services aideront à faire croître le visionnement en ligne, dit-il. Certaines personnes vont aimer davantage le service en ligne de nos concurrents [Vidéotron, Bell-Astral, Rogers], mais plusieurs personnes vont s'abonner à plusieurs services différents, un peu comme les gens étaient abonnés à plusieurs magazines il y a cinq ou dix ans. Il n'y a pas de conflit direct [entre deux concurrents] quand vous offrez du contenu différent.»

Reed Hastings ne prédit pas la mort de la télé traditionnelle à court terme, même si Netflix est devenue plus populaire que HBO aux États-Unis. «La transformation de la télé traditionnelle [linéaire] n'aura pas lieu sur plusieurs années, mais sur plusieurs décennies», dit le PDG de Netflix, qui fait le parallèle avec le sort qui touche déjà les lignes téléphoniques fixes à la maison.

«Beaucoup de gens en ont une, mais ils ne l'utilisent pas beaucoup, dit-il. De la même façon, on continuera de regarder les événements sportifs en direct, mais c'est plus plaisant d'écouter des films et des séries télé sur demande.»

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NETFLIX ET SES CONCURRENTS

Netflix

Au Canada depuis 2010, aux États-Unis depuis 1999

36,3 millions d'abonnés, dont 29,2 millions aux États-Unis

Netflix estimait avoir plus de 1 million d'abonnés au début de 2012, mais n'a pas fait de mise à jour depuis. La semaine dernière, le PDG d'Astral, Ian Greenberg, a estimé que Netflix avait 2 millions d'abonnés au Canada.

Tarif: 7,99$ par mois, premier mois gratuit

Profits nets de 17 millions US sur des revenus mondiaux de 36,3 milliards US en 2012

illico Club à volonté

Service lancé par Vidéotron le 22 février 2013

40 000 abonnés au 31 mars 2013

Tarif: 9,99$ par mois, premier mois gratuit

2000 films et séries télé, tous en français (10% des titres aussi offerts en anglais), dont 200 titres québécois.

Bell-Astral

(Projet à venir)

Si Bell obtient l'accord du CRTC pour acheter Astral, Bell a l'intention de lancer un service d'écoute en ligne sur le modèle de Netflix. À la différence de Netflix, ce service serait toutefois seulement offert aux abonnés du câble (que ce soit avec Bell ou avec d'autres distributeurs qui voudront l'offrir). Bell n'a pas donné davantage de détails sur son projet. Il a seulement précisé qu'il «combinera le nec plus ultra des films canadiens et internationaux des services de télévision payante d'Astral, comme The Movie Network et son canal multiplexe HBO Canada», ainsi que les nouvelles de CTV et les émissions de sport de RDS et de TSN.

Rogers

(Projet à venir)

Rogers a révélé la semaine dernière son intention de lancer un service d'écoute en ligne de films et de séries télé pour concurrencer Netflix. Rogers a fait cette révélation durant les audiences du CRTC sur la transaction Bell-Astral. «Nous avons comme plan de lancer notre propre service d'abonnement qui concurrencera Netflix», a dit David Purdy, vice-président des produits de télévision numérique de Rogers, en réponse aux questions des conseillers du CRTC.

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LE PATRON DE NETFLIX SUR...

... l'avenir de la télé traditionnelle

«Ultimement, les gens veulent choisir que regarder. La télévision traditionnelle va devenir comme les lignes téléphoniques fixes à la maison: beaucoup de gens vont en avoir une, mais ils ne l'utiliseront pas beaucoup. On continuera de regarder les événements sportifs en direct, mais c'est plus plaisant d'écouter des films et des séries télé sur demande. Cette transformation de la télé traditionnelle [linéaire] n'aura pas lieu en quelques années, mais en plusieurs décennies.»

... l'importance du Canada dans l'expansion internationale de Netflix

«Le Canada a été le premier pays où nous avons offert seulement du contenu en ligne [pas de location de DVD]. À l'époque, nous nous demandions comment c'était possible d'offrir assez de contenu en ligne pour intéresser les gens [aux États-Unis, la location de DVD offre plus de choix que le contenu en ligne]. Ce fut un grand succès qui nous a aidés à faire une expansion uniquement en ligne dans 40 pays.»

... ses nouveaux et futurs concurrents au Canada

«Certaines personnes vont aimer davantage le service de nos concurrents [Vidéotron, Bell-Astral, Rogers], mais plusieurs personnes vont s'abonner à plusieurs services différents, un peu comme les gens étaient abonnés à plusieurs magazines il y a cinq ou dix ans. Il n'y a pas de conflit direct [entre deux concurrents] quand on offre du contenu différent.»

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QUI EST REED HASTINGS?

Âgé de 52 ans, Reed Hastings est le cofondateur et PDG de Netflix. Après s'être enrôlé dans la Marine américaine, il abandonne sa carrière militaire pour enseigner les mathématiques en Afrique avec les Corps de la paix (Peace Corps). Il étudie ensuite l'informatique à l'Université Stanford en Californie. En 1991, il fonde son entreprise d'assurance qualité (débogage) de logiciels, Pure Software. L'entreprise est rachetée à fort prix en 1997. Avec l'argent de la vente de ses actions de Pure Software, Reed Hastings fonde Netflix deux ans plus tard. En plus de ses fonctions chez Netflix, il siège aujourd'hui dans le conseil d'administration de Facebook.

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UNE REMARQUABLE PROGRESSION

1997

Reed Hastings et Marc Randolph fondent Netflix, service de location de films en ligne.

1999

Netflix ajoute un service d'abonnement permettant des locations illimitées, de loin son service le plus populaire aujourd'hui.

2002

Entrée en Bourse. Le titre de Netflix s'est apprécié de 2645% depuis son entrée en Bourse il y a 11 ans, soit une moyenne d'environ 240% par année.

2003

Netflix franchit la barre du million d'abonnés. L'entreprise a aujourd'hui 36,3 millions d'abonnés.

2008

Début de la diffusion en continu.

2010

Arrivée de Netflix au Canada, son premier pays à l'extérieur des États-Unis.

2011

Netflix annonce son intention de scinder l'entreprise en deux: Netflix se concentrerait sur la diffusion de films et de séries télé en ligne, tandis que la division de location de DVD par la poste aux États-Unis deviendrait Qwikster. Des hausses de prix sont aussi prévues. Le plan fait beaucoup de mécontents, si bien que Netflix change d'idée et l'annule. Le titre de Netflix passera néanmoins de 298,73$ à 64,53$ de juillet à novembre, une baisse de 78% en quatre mois.

2012

Première entente d'exclusivité de Netflix aux États-Unis avec un studio majeur de Hollywood, Disney, qui a choisi de vendre les droits des films de Disney, de Pixar et de Marvel à Netflix au lieu de la télé payante.

2013

Première série originale produite pour Netflix, House of Cards, une série sur la politique américaine qui connaît un succès critique comme populaire.