La révélation par La Presse que la première ministre Pauline Marois avait sondé quelques grosses pointures de Québec inc. sur la possibilité de reporter d'un an le retour à l'équilibre budgétaire est survenue dans un contexte de remise en question des fondements théoriques des vertus de l'austérité.

Déjà, le Fonds monétaire international (FMI) avait suggéré à Ottawa de ne pas étouffer la faible expansion canadienne par trop de coupes budgétaires.

Cinq provinces sur dix (l'Alberta, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador) ont choisi de retarder d'au moins un an l'atteinte de l'équilibre. Aucune d'entre elles n'a vu sa note de crédit remise en question.

Ottawa entend pour sa part réduire son déficit de 26 à 19 milliards pour l'exercice en cours, à 7 milliards en 2014-2015 et dégager un léger surplus pour 2015-2016.

La côte à remonter est raide. Bien des esprits sceptiques évoquent déjà le scénario où les élections seront déclenchées avant qu'on ait une idée de l'état des finances publiques de l'exercice 2015-2016.

Les mérites de l'austérité budgétaire pour stimuler la croissance sont de plus en plus remis en question.

L'automne dernier, le FMI faisait son mea-culpa. Jusque-là, il estimait que chaque dollar de coupe budgétaire ou de hausse d'impôt entraînait une baisse de 50 cents de la croissance. Autrement dit, on pouvait se rapprocher des deux dollars d'austérité, sans compromettre la croissance.

Désormais, il estime que chaque dollar d'austérité ampute l'activité économique de 90 cents à 1,70$, du moins en ce qui concerne l'Europe.

C'est ce que le chancelier de l'Échiquier britannique George Osborne ne semble pas vouloir comprendre, au risque de faire tomber l'économie du Royaume-Uni en récession pour la troisième fois en cinq ans.

Depuis deux semaines, un véritable scandale fait rage au sein des économistes américains influents.

Après l'éclatement de la crise financière, les tenants de l'austérité budgétaire se sont appuyés sur les conclusions d'une étude de Carmen Reinhart et de Kenneth Rogoff (R-R), deux ex-grosses pointures du FMI. Selon leurs calculs, le taux de croissance médian des pays dont la dette atteint 90% de la taille de l'économie est inférieur de 1% à celui des autres.

Le scandale vient du fait que d'autres économistes de l'Université du Massachusetts ont dévoilé que R-R avaient exclu cinq pays de leur chiffrier: l'Australie, l'Autriche, la Belgique, le Danemark et le Canada. Cette omission fait à elle seule baisser de 0,3% la croissance moyenne des pays dont la dette atteint au moins 90% du PIB.

R-R ont aussi retranché la période de 1946 à 1950, l'après-guerre, au cours de laquelle la croissance réelle du Canada a été de 3%, malgré un niveau d'endettement supérieur à 90%.

Bref, la base empirique du fondement intellectuel des mérites de l'austérité repose sur des erreurs de codage de fichiers Excel.

Une fois rétablis tous les chiffres, on découvre que le taux de croissance médian des pays dont la dette excède 90% est de 2,2%, et non de - 0,1%, sur une période d'une soixantaine d'années.

En fait, comme l'expliquait hier Martin Wolf, le respecté et influent chroniqueur du Financial Times, c'est la faible croissance qui gonfle la dette. L'Espagne et le Portugal peuvent en témoigner.

Dans le contexte actuel, la séquence n'est pas celle évoquée par R-R mais plutôt la suivante: les excès du système financier ont causé une crise qui a freiné la croissance et augmenté la dette.

Martin Wolf suggère à la classe politique de mesurer les coûts du non-endettement, au lendemain d'une crise ou d'une récession, surtout quand les taux d'intérêt sont à des creux historiques.

Le Québec a été peu frappé par la dernière récession, mais la reprise qui a suivi souffre d'anémie.

Cette année, les besoins d'emprunt de la province s'élèvent à 11,7 milliards, soit 8,4 milliards de moins que l'an dernier et 5,8 milliards de moins que l'an prochain.

Sans ouvrir les vannes, le gouvernement aurait avantage à soupeser le pour et le contre de quelques centaines de millions d'emprunts de plus destinés à stimuler la croissance plutôt que de procéder à une nouvelle ronde de compressions qui risquent fort de l'entraver davantage, voire de la compromettre.