En liant une éventuelle hausse des taux d'intérêt à l'atteinte d'un objectif quant au taux de chômage, la Réserve fédérale américaine (Fed) risque d'ajouter à la volatilité des marchés. C'est du moins ce que croit Mohamed El-Erian, co-chef des investissements chez PIMCO, dont les actifs sous gestion surpassent 1700 milliards de dollars.

«Cette nouvelle référence à un taux de chômage précis conduira à une plus grande volatilité quotidienne des marchés, surtout lorsque des statistiques économiques sont annoncées, et principalement le premier vendredi de chaque mois lorsque ce sont les chiffres d'emploi qui sont publiés», dit-il.

La Réserve fédérale en a surpris plusieurs mercredi en annonçant qu'elle allait maintenir son taux directeur à zéro tant et aussi longtemps que le taux de chômage n'aura pas baissé jusqu'à 6,5%. Et pour que l'objectif puisse être atteint, elle augmentera les montants d'obligations qu'elle rachètera chaque mois sur les marchés, espérant ainsi stimuler l'économie.

On aurait pu croire que cette annonce allait aussitôt stimuler les marchés boursiers, comme les annonces précédentes l'avaient fait. Mais tel ne fut le cas.

Après quelques gains à la suite de l'annonce, les indices boursiers américains ont reperdu tous les gains de la journée alors que le président la Fed, Ben Bernanke, répondait aux questions au cours de la conférence qui a suivi. Jeudi, les marchés continuaient de reculer.

En liant les taux d'intérêt à une cible de taux de chômage, la Fed annonçait une nouvelle façon de faire qui devrait en principe simplifier la tâche des analystes, mais tel n'est pas le cas, explique M. El-Erian. «Si l'objectif est clair, les modalités d'application pour leur part demeurent plutôt confuses», dit-il.

Il compare cette nouvelle initiative de la Fed à un médicament expérimental. Tous les deux comportent des risques de complications. C'est ce qui explique le manque d'enthousiasme des investisseurs, selon lui. De plus, les expériences précédentes de la Fed en matière d'assouplissement quantitatif n'ont pas réussi à générer un rythme de croissance économique satisfaisant, avance-t-il.

Le taux de participation

La volatilité liée à l'annonce des chiffres de l'emploi chaque mois pourrait bien augmenter, car le taux de chômage est une donnée qui n'est pas toujours facile à évaluer correctement, croit Ismaël Chiadmi, vice-président principal chez Montrusco Bolton.

Une des variables dans le calcul du taux de chômage est le taux de participation. Lorsque les emplois disponibles diminuent, les chômeurs ont tendance à abandonner leurs recherches d'emploi, si bien qu'en s'excluant du calcul, ils font diminuer le taux de participation. La conséquence est que le taux de chômage n'augmente pas autant qu'on aurait pu prévoir.

L'inverse est aussi vrai. Si la reprise économique permet une croissance de l'emploi, le taux de participation augmentera et le taux de chômage ne baissera pas autant que prévu. C'est pourquoi la Fed a annoncé qu'elle prendrait en considération des facteurs expliquant les changements dans le taux de chômage. Chose certaine, cela ne facilitera pas l'analyse.

«Durant la conférence de presse, Ben Bernanke a clairement indiqué que les membres du comité de politique monétaire se gardaient une certaine marge de manoeuvre dans l'interprétation de leurs cibles de chômage et d'inflation», ajoute Francis Généreux, économiste principal chez Desjardins. Par ailleurs, il doute qu'on assiste à une hausse significative de la volatilité, car les chiffres d'emploi avaient déjà un impact important sur les marchés.

Mise en garde aux politiciens

En annonçant ces mesures cette semaine, la Fed a précédé l'échéancier que les analystes avaient prévu. De nouvelles mesures d'assouplissement quantitatif étaient attendues plutôt en mars 2013, ou au mieux lors de la prochaine réunion de la Fed le 25 janvier.

Si elle l'a fait, c'est qu'elle voulait calmer les marchés et envoyer un message aux politiciens qu'ils devaient agir de façon responsable pour trouver une solution au mur fiscal, explique M. Chiadmi. «En conférence de presse, M. Bernanke l'a exprimé clairement», dit-il.

Francis Généreux perçoit également le message lancé aux législateurs. Il note que Ben Bernanke n'exclut pas que les achats de titres puissent augmenter de nouveau si aucun compromis à l'impasse fiscale n'était trouvé.