«C'est de plus en difficile de faire un film», admet Hawk Koch.

S'il y a un producteur à Hollywood qui peut jouer les historiens, c'est bien Hawk Koch. Son père a produit les Oscars à cinq reprises dans les années 70, en plus de films marquants comme The Manchurian Candidate en 1962. Hawk Koch, lui, compte des succès au grand écran dans cinq décennies différentes, de Heaven Can Wait en 1978 à Source Code (tourné à Montréal) en 2011 en passant par Wayne's World en 1992. «Jusqu'aux années 90, les cinéastes décidaient à Hollywood, raconte-t-il. Sur 10 films, un grand studio choisissait six films pour leur rentabilité et quatre films pour leur qualité. Mais l'industrie a changé. Aucun gros studio n'a voulu faire The Artist

Depuis cinq ans, Hawk Koch et les autres vétérans d'Hollywood ont vu la métamorphose s'accélérer. Les deux principaux coupables: la crise financière et les Américains eux-mêmes, qui vont moins au cinéma et louent moins de DVD. En 2011, les revenus du box-office nord-américain ont baissé de 4% pour atteindre 10,2 milliards$ US. De 2002 à 2011, les revenus ont augmenté de seulement 12%. Durant cette période, l'Américain moyen est passé de 5,2 à 3,9 visites au cinéma par année.

«Avec toutes les nouvelles formes de divertissement, les gens vont moins au cinéma. Avant, ce n'était pas compliqué: vous ameniez votre copine au cinéma le vendredi soir», dit le producteur Michael Peyser, un professeur de cinéma à l'Université de la Californie du Sud (USC) qui vient de produire un documentaire sur Woody Allen présenté au Festival de Cannes.

Si les revenus au box-office ont stagné, les ventes de films en DVD ont subi une chute abrupte: de 21,8 milliards US en 2004 à 18 milliards US en 2011 (incluant les locations sur les nouvelles plateformes en ligne comme iTunes). Un déclin de 17% qui a forcé les producteurs à la prudence. «Avant, vous espériez ne pas perdre d'argent au box-office (en comptant les coûts de production et de marketing) et vous faisiez votre argent avec les locations et les ventes sur vidéo», dit Brian Robinson, associé directeur du studio indépendant Morgan Creek, qui a produit des films comme Robin des Bois, Ace Ventura et plus récemment Dream House avec l'acteur Daniel Craig.

Dans ces circonstances, les six grands studios hollywoodiens sont presque devenus allergiques au risque, misant sur les valeurs sûres comme les films de superhéros, les suites et les films d'animation pour enfants. «Warner a déjà fait 25 films par année. Maintenant, c'est entre 11 et 14 films. Disney fait quatre films par année en excluant les films d'animation de Pixar», dit Brian Robinson, de Morgan Creek. «Par peur, les studios ne s'intéressent plus aux histoires», dit le producteur Michael Peyser.

Le marketing, plus important que jamais

Comme les cinéphiles sont plus difficiles à amener devant le grand écran, les budgets de marketing des studios hollywoodiens ont monté en flèche. «Les gens du marketing doivent couvrir toutes les nouvelles plateformes, dit le producteur Michael Peyser. C'est pourquoi on fait si peu de films: on n'a pas d'argent pour faire leur marketing. Et il n'y a que 52 week-ends par année.»

Les stratégies se raffinent, notamment sur les médias sociaux. Quand le film sur Justin Bieber, Never Say Never, est sorti l'an dernier, son studio Paramount a utilisé les médias sociaux pour organiser avec les admirateurs (et admiratrices...) du chanteur des projections spéciales avant le lancement, parfois avec «l'acteur principal» dans l'assistance. «Les filles qui aiment Justin feront votre marketing, elles diront à leurs amies d'aller le voir. C'est mieux que n'importe quel critique de cinéma», a dit Amy Powell, vice-présidente du marketing interactif à Paramount, lors de la conférence Produced By en juin dernier à Los Angeles.

Pour le lancement de 21 Jump Street plus tôt cette année, Sony Pictures a organisé un duel pour savoir qui des deux acteurs principaux Channing Tatum ou Johan Hill lancerait la bande-annonce sur son compte Twitter. À la dernière minute, le plan a toutefois failli mal tourner. «Le matin où nous avons eu les résultats, Johan faisait la grasse matinée, dit Dwight Caines, président du marketing numérique mondial de Sony Pictures. On appelait son gérant pour le dire: hey, il doit lancer la bande-annonce sur son compte Twitter...»

La bande-annonce est encore le meilleur moyen de faire le marketing d'un film, que ce soit sur les médias sociaux, à la télé ou au cinéma. Mais l'univers de la bande-annonce - les studios font environ 15% à l'interne et une trentaine d'entreprises se partagent le reste - a bien changé au cours des dernières années. «C'est un petit monde où il y a une concurrence amicale», dit George Cawood, asocié directeur de la firme Framework, qui fait les bandes-annonces d'une dizaine de films par année. «Il y a 10 ans, un film avait une bande-annonce et un teaser. Aujourd'hui, c'est 10-12 bandes-annonces de 10 secondes pour la télé et 5-6 autres bandes-annonces», dit le grand patron de Framework, qui tourne désormais des extraits de ses bandes-annonces durant le tournage du film, plutôt qu'après.

La fin de la «classe moyenne» dans les grands studios

Si Hollywood produit moins de films, ce ne sont pas les films à grand déploiement («blockbusters») qui ont écopé. Les studios hollywoodiens ont plutôt sacrifié les budgets de films «de classe moyenne», ceux qui disposent d'un budget d'environ 50 millions, d'une ou deux vedettes hollywoodiennes, mais qui sont loin d'être un coup de circuit assuré au box-office. «La tarte est aussi grosse, mais il y a moins de gens autour, dit Brian Robinson, de Morgan Creek. Il y a moins de cannibalisation.»

Les films de classe moyenne sont maintenant l'affaire des producteurs indépendants, qui se financent en vendant les droits de distribution du long métrage à l'international. Ce modèle d'affaires ne favorise pas toujours l'audace ni la créativité car les distributeurs internationaux veulent - qui peut les blâmer - des films aux recettes prévisibles. «Ils veulent acheter ce qui a fonctionné auparavant», dit le producteur Michael Peyser.

Les studios hollywoodiens préfèrent acheter les droits de distribution aux États-Unis des films à moyen budget, moyennant une partie des revenus au box-office et sur les autres plateformes sur ce territoire. «Les studios veulent que quelqu'un d'autre - un producteur indépendant - prenne les risques», résume le producteur Clark Peterson, dont le premier long métrage comme producteur, Monster, a été un énorme succès commercial et critique (Charlize Theron a gagné l'Oscar de la meilleure actrice en 2003). C'est ce qu'on appelle placer la barre haute.

S'il n'a pas encore été capable de répéter pareil succès, il fonde beaucoup d'espoirs sur son prochain film: Devil's Knot, du cinéaste canadien Atom Egoyan et mettant en vedette Colin Firth et Reese Witherspoon. «Il y a d'autres façons moins compliquées pour gagner votre vie que d'être producteur de cinéma, dit Clark Peterson. Si vous voulez faire de l'argent facilement, ce n'est pas le bon métier.»