Au lendemain de la bombe lâchée par SNC-Lavalin, deux constats s'imposent. D'abord, les paiements mystérieux de 35 millions de dollars équivalent au tiers des profits trimestriels de l'entreprise. Ensuite, ils sont le fruit soit d'une grossière erreur comptable, soit d'une malversation.

C'est ce que concluent trois experts comptables à la lecture attentive du communiqué publié par SNC-Lavalin mardi matin. Selon le communiqué, les mystérieux paiements de 35 millions ont tous été «effectués au quatrième trimestre de 2011».

Comme SNC engrange ses profits au rythme d'environ 100 millions par trimestre, ces paiements correspondent au tiers des bénéfices du quatrième trimestre, environ.

Il s'agit d'une très grosse part des profits, conviennent Jacques Fortin et Diane Paul, de HEC Montréal, et Michel Magnan, de l'Université Concordia. D'autant plus qu'on ne sait pas si de tels paiements non conformes avaient aussi été effectués au cours des trimestres précédents.

Deuxième constat troublant des comptables: les 35 millions avaient été inscrits à l'actif de SNC-Lavalin, vraisemblablement dans un poste «travaux de construction en cours», et, ce faisant, ils évitaient de réduire les profits présentés aux investisseurs boursiers. Cette comptabilisation résulte soit d'une grosse erreur, soit d'une malversation, conviennent-ils.

En effet, le poste «travaux en cours» figurant à l'actif d'une entreprise est une sorte de réservoir accumulant les coûts d'un projet tant qu'il n'est pas terminé. Normalement, il ne s'agit pas de dépenses réduisant les profits de l'entreprise, mais plutôt de fonds en transit versés par la firme d'ingénieurs aux sous-traitants d'un projet de construction, par exemple.

Faux documents?

Or, après vérification, les contrôleurs de SNC indiquent que ces paiements de 35 millions inscrits à l'actif auraient dû être comptabilisés comme une dépense, comprend-on du communiqué. Pire: ils constatent que la comptabilisation avait été justifiée par des documents liant ces paiements à des projets de construction «auxquels ils ne se rapportaient pas».

Michel Magnan évoque la possibilité de faux documents justificatifs ou de paiements volontairement mal classés, ce que n'excluent pas Diane Paul et Jacques Fortin. «Selon le communiqué, il est possible qu'il s'agisse d'une grosse erreur comptable (plutôt qu'une fraude), mais disons qu'il a été écrit dans un contexte trouble, celui de la Libye», fait remarquer M. Fortin, prudent.

Les dépenses mal classées pourraient constituer des «frais de représentation», par exemple, non liés aux projets. Une lettre de dénonciation anonyme, reçue par La Presse et par le réseau CBC à la fin de décembre, fait état de pots-de-vin touchant les activités de l'entreprise en Libye, et de l'utilisation de «sociétés-écrans» destinées à faire passer de l'argent de SNC-Lavalin au régime du dictateur Kadhafi. Ces faits n'ont pas été prouvés et SNC est restée muette depuis deux jours.

L'enquête interne de SNC a débuté il y a un certain temps, indique le communiqué. Elle porte sur les 35 millions, mais également sur d'autres contrats, indéterminés. La firme de génie-conseil compte publier ses résultats financiers «dès que possible et, quoi qu'il en soit, avant le 30 mars».

Mardi, l'Agence des services frontaliers du Canada a interrogé pendant cinq heures l'agent de sécurité Gary Peters, lié à Kadhafi, selon le quotidien National Post. L'Agence voulait avoir des détails sur les liens entre M. Peters et SNC-Lavalin. À la fin d'août, alors que la famille Kadhafi cherchait désespérément à fuir la Libye, l'un des hauts dirigeants de SNC-Lavalin, Riadh Ben Aïssa, a payé les frais de transport et d'hébergement de M. Peters en Tunisie. Riadh Ben Aïssa a été congédié le 9 février par SNC-Lavalin.

En novembre, rappelons que les autorités mexicaines ont arrêté une femme qui a travaillé pour le compte de SNC-Lavalin, Cynthia Vanier. Ils l'accusent d'être la tête dirigeante d'un réseau criminel d'envergure internationale qui aurait comploté pour faire passer clandestinement le fils Saadi Kadhafi et sa famille au Mexique. La police a aussi arrêté trois autres personnes, dont certaines se trouvaient en compagnie de Stéphane Roy, vice-président de SNC-Lavalin, au moment de leur arrestation. M. Roy a aussi été congédié le 9 février.

Hier, le titre de SNC a continué de souffrir en Bourse. Il a reculé de 2,7%, à 37,40$. Depuis deux jours, le titre a perdu 22,7% et sa capitalisation boursière a ainsi fondu de 1,6 milliard de dollars.