Chaque semaine, nous vous proposons un extrait d'un «cas pédagogique» du Centre de cas de HEC Montréal: la description en contexte d'une situation réelle d'entreprise qui suscite des interrogations et une réflexion sur certains aspects de la gestion.

L'Hôtel quatre étoiles Le Luxueux (nom maquillé) a toujours joui d'une excellente réputation. Ces derniers temps, toutefois, la concurrence féroce et les normes élevées en matière de service à la clientèle forcent la direction à entreprendre un changement au service d'entretien ménager, car certains problèmes se répercutent sur l'ensemble de l'hôtel.

Avec le système actuel, les nouveaux clients n'ont accès à leur chambre que lorsque les préposées ont terminé l'entretien de toutes les chambres qui leur sont affectées pour la journée. C'est seulement à ce moment que les superviseurs de l'entretien informent le responsable à l'accueil des disponibilités et que ce dernier peut répartir les chambres aux clients en attente.

Le service de l'entretien ménager compte 2 superviseurs et environ 200 préposées, certaines «régulières», d'autres «surnuméraires». Les préposées régulières sont responsables de chacune de leur section, qui équivaut à 17 crédits (1 crédit par chambre, 2 crédits par suite). Chaque préposée doit accumuler 15 crédits dans son quart de travail. Lorsqu'une section affiche complet (17 crédits), il y a donc une surcharge de travail pour la préposée. Inversement, si le travail à faire dans une section équivaut à seulement 10 crédits, la préposée doit en trouver d'autres ailleurs, auprès de préposées en surcharge, pour arriver à sa tâche complète.

Cette manière de procéder n'est pas toujours efficace. Les préposées doivent parfois se déplacer sur plus d'un étage, ce qui occasionne des pertes de temps. Ce système engendre aussi un climat de travail tendu: la préposée qui nettoie des chambres dans une autre section que la sienne ne trouve jamais de pourboires, dont on présume qu'il a disparu à la suite d'une inspection préliminaire des chambres par l'employée régulière attitrée à cette section.

Nouveau système

Claire D., nouvelle superviseure en chef au service de l'entretien ménager, décide donc que l'implantation d'un nouveau système est nécessaire. Elle convoque une réunion avec ses employées et explique le changement en ces termes:

«À l'avenir, l'ordinateur créera des blocs de 15 crédits à partir des numéros des chambres à nettoyer. Plus question de demander des chambres ou d'en donner! Aucun employé ne se verra attribuer une section définie. Mais les chambres attribuées seront toutes à proximité les unes des autres. Vous devrez informer les responsables de la réception dès que vous aurez terminé le nettoyage d'une chambre, en composant le 12 sur l'appareil téléphonique de la chambre. Ce code 12 indiquera au système que la chambre est prête. L'implantation du nouveau système est prévue dans neuf mois. Je compte sur votre collaboration.»

À la suite de cette rencontre, Claire D. met sur pied un comité de consultation pour prévoir les problèmes éventuels concernant l'utilisation du nouveau système. Elle diffuse plusieurs communiqués expliquant les changements. Avec deux préposées à l'entretien, elle crée un comité pour bien diffuser l'information et répondre aux questions des préposées.

Entre elles, les préposées permanentes ne voient pas le changement du même oeil:

- Qui est-elle pour m'enlever les chambres que je fais depuis 15 ans? Personne ne connaît mieux que moi les coins et recoins des chambres 3011 à 3028!

- Ne m'en parle pas! Maintenant, je vais être obligée de courir après mon matériel alors qu'avant, je pouvais cacher mon chariot, avec tout dedans, dans les toilettes de mon étage et le reprendre le lendemain.

- Et avec leur «code 12», j'imagine qu'on va être obligées de travailler encore plus vite pour donner plus rapidement des chambres à la réception...

Claire D. est d'avis que le manque d'information est à l'origine de ce mécontentement. Elle continue donc de mettre toutes ses énergies dans sa diffusion, multipliant les comités et les bulletins d'information.

Cinq mois après l'implantation du système, plusieurs préposées refusent de composer le fameux «code 12» lorsqu'une chambre est terminée. Quelques autres procédures sont aussi «oubliées» par les préposées. Certaines n'ont pas changé leurs habitudes (par exemple, aller chercher le chariot d'entretien dans leur ancienne section). À la dernière réunion mensuelle, les préposées demandent même le retour à l'ancien système!

Après tous ces efforts, Claire D. est désarçonnée et ne comprend toujours pas pourquoi un «si petit changement», qui, de surcroît, ne menace aucun emploi, est si difficile à faire accepter. Il n'est pas question de revenir à l'ancien système puisque la satisfaction de la clientèle est nettement plus élevée avec l'accès plus rapide aux chambres.

Quelques interrogations

Comment expliquer la «résistance» au changement des préposées? S'agit-il d'un changement si mineur?

Qu'aurait dû faire Claire D. et que pourrait-elle faire désormais?

Est-ce qu'un changement occasionne toujours de la résistance?

Y a-t-il de «bonnes» façons de gérer le changement?

Céline Bareil (celine.bareil@hec.ca) est professeure à HEC Montréal et spécialisée en gestion du changement. Barbara-Judith Caron, étudiante au B.A.A. à HEC Montréal au moment de la production de ce cas, est chroniqueuse et recherchiste à la radio de Radio-Canada. Vous trouverez la version intégrale de ce cas à l'adresse https://www2.hec.ca/centredecas du Centre de cas HEC Montréal.