L'Allemagne est-elle menacée d'une épidémie de burnout? C'est ce que croient le gouvernement et les syndicats, qui s'alarment de ce phénomène susceptible d'enrayer la belle mécanique économique allemande.

Le terme anglais de burnout, ou épuisement professionnel, a décroché l'an dernier la sixième place du classement du «mot de l'année» établi par la société de la langue allemande, qui souligne son usage «inflationniste» dans les médias.

Le prestigieux hebdomadaire Der Spiegel y a consacré deux numéros en 2011, tandis que l'ancien entraîneur de l'équipe de foot de première division Schalke 04 ou l'ancien patron de Bertelsmann ont fait ce qu'un humoriste allemand appelle leur «coming burnout».

Et le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung se désolait récemment de constater que «le burnout, sur lequel on écrit si souvent en Allemagne, n'est presque pas une préoccupation en France», «championne de l'art de vivre» malgré sa posture économique plus mauvaise.

Favori des médias, le sujet vient de prendre une tournure politique.

Le syndicat industriel IG Metall, aux deux millions d'adhérents, réclame un «règlement anti-stress», et la ministre du Travail Ursula von der Leyen a «déclaré la guerre aux souffrances psychiques liées au travail».

Gouvernement et syndicat citent les mêmes chiffres: en Allemagne, un tiers des départs en retraite prématurés est dû à des troubles psychiques. Selon les caisses d'assurance-maladie AOK, le nombre d'arrêts de travail pour surmenage a augmenté de 80% en dix ans.

IG Metall estime à 27 milliards d'euros par an le coût sanitaire du phénomène, et Mme von der Leyen à 8 à 10 milliards d'euros chaque année le manque à gagner pour les entreprises.

«Notre démographie est telle que nous ne faisons pas face à un excès de main d'oeuvre mais plutôt à une pénurie. Il est fini ce temps où une entreprise pouvait se dire: ''Celui ne tient pas le coup, qu'il s'en aille, on va trouver quelqu'un d'autre''», explique-t-elle.

Hans-Jürgen Urban, membre du directoire d'IG Metall, souligne lui que la santé au travail en Allemagne «a trop longtemps eu une dimension purement mécanique, visant à éviter les blessures physiques», tandis que la dimension psychologique restait «taboue».

Le syndicaliste dénonce aussi les exigences de rentabilité liées au capitalisme financier: «Il y a des cadences, par exemple pour sortir de nouveaux modèles dans l'automobile, qui étaient inimaginables il y a quelques années». Et l'explosion en Allemagne du travail précaire, qui «génère un stress intense».

La monotonie, la généralisation du travail de bureau en open space, sans sphère privée, sont aussi pointées du doigt, tout comme l'exigence de disponibilité allant de pair avec les innovations technologiques.

En réaction, le comité d'entreprise de Volkswagen a par exemple obtenu de suspendre l'envoi de courriels professionnels après 18h15 pour un millier de cadres du constructeur.

«Le burnout n'est pas une maladie réservée aux célébrités ou aux cadres» équipés de Blackberrys, souligne toutefois Rolf Rosenbrock, spécialiste de médecine du travail de l'institut de recherche en sciences sociales WZB.

Le surmenage est-il donc une maladie de masse? De nombreux psychiatres comme Markus Pawelzik ne veulent pas y croire.

«Le burnout n'est pas une maladie psychique comme la dépression et n'en sera jamais une», explique-t-il à l'AFP, en reprochant à ses concitoyens de «chercher un traitement mécanique, rapide et peu stigmatisant de leur épuisement chronique», sans changer leur manière de vivre et travailler.

Ce qui ne l'a pas empêché d'ouvrir une «consultation burnout» dans sa clinique de Münster, dans l'ouest du pays. M. Pawelzik le reconnaît volontiers: «Si je fais une conférence sur la dépression, j'ai 50 personnes. Sur le surmenage, j'en ai 500. Alors...»