Le Canada a été le premier pays du G7 à entrer en expansion au cours du présent cycle et celui qui paraît dans la meilleure posture fiscale.

Ce double succès dope en revanche la valeur du huard. Les coûts unitaires de main- d'oeuvre gonflent artificiellement, avec pour résultat que le secteur manufacturier devient de moins en moins concurrentiel. Ce gonflement n'est pas entièrement compensé par les gains de productivité, pourtant appréciables dans la fabrication.

Désormais, dans maintes industries, le travailleur américain devient moins cher que le canadien, ou le québécois en particulier.

Une nouvelle réalité

Cette réalité nouvelle menace nos exportateurs fabricants qui doivent désormais faire face à une concurrence américaine renforcée.

Fait moins compris et peut-être plus grave, elle compromet aussi l'expansion, voire la présence, chez nous de multinationales déjà bien installées ou de nouveaux investissements de sociétés canadiennes qui vont lorgner désormais aussi une localisation américaine.

«Il devient de plus en plus difficile pour le Québec de gagner des mandats à l'intérieur d'un même groupe industriel», a confié hier à La Presse Simon Prévost, président des Manufacturiers et exportateurs du Québec.

Des États, pourtant ruinés, sont même prêts à leur offrir des ponts d'or, comme l'ont fait le Tennessee à Electrolux ou le Kansas à Bombardier.

De janvier à décembre, le Canada a perdu 50 000 emplois en usine, même s'il en comptait 199 200 de plus pour l'ensemble de l'économie. De ces 50 000 jobs, 18 700 ont été supprimés au Québec.

En 2009, marqué par la récession et une lente reprise, l'emploi manufacturier représentait 10,19% de l'effectif canadien. L'an dernier ce n'était plus que 9,95%. Au Québec, la saignée a été beaucoup plus forte, le poids du travail en usines étant passé de 12,53% à 12,01%. «L'importance relative du secteur manufacturier tend à diminuer, précise Joëlle Noreau, économiste principale chez Desjardins. Toutefois, la diminution s'estompe.»

Ce n'est pas la productivité qui est tant en cause. De 1997 à 2007, elle a progressé de 7,45% au Québec. De 2002 à 2007, le huard a cependant gagné 40 cents d'équivalence face au billet vert.

Au début de la récession, la parité du dollar canadien avec le billet vert était pleinement justifiée sur le plan macroéconomique: trimestre après trimestre, le Canada réalisait des surplus dans ses comptes courants tandis qu'Ottawa diminuait sa dette et notre fardeau fiscal.

Ce n'est plus le cas. Au troisième trimestre, le déficit des comptes courants équivalait à près de 3% de la taille de l'économie.

La quasi-parité des deux dollars s'explique désormais par l'attrait de la dette du Canada qui attire les prêteurs étrangers en quête de refuge pour leurs énormes capitaux, soulignait dernièrement Avery Shenfeld, économiste en chef chez CIBC. «Dans ce processus, les travailleurs canadiens en usine qui étaient une aubaine sont devenus un élément de luxe, si on calcule en dollars américains.»

À La Presse, il ajoute que «si la valeur du huard était seulement déterminée par les flux commerciaux (plutôt que par ces flux et les flux de capitaux), elle serait inférieure d'au moins 10 cents.»

Le taux de change

Chez Statistique Canada, le chef des mesures de productivité Jean-Pierre Maynard a arrimé les données canadiennes à celles du Bureau of Labour Statistics américain. Son constat: «Lorsqu'on tient compte du taux de change, on constate que les coûts unitaires de main-d'oeuvre (CUMO) des fabricants canadiens se sont accrus plus rapidement qu'aux États-Unis depuis 2000.»

Le CUMO correspond au coût du travail en fonction des salaires et des avantages sociaux par unité de PIB réel, exprimé dans une monnaie donnée.

Sherry Cooper, économiste en chef chez BMO Marchés des capitaux, estime pour sa part que la valeur du huard, exprimée en parité de pouvoir d'achat, est autour des 88 cents US.

«Plusieurs entreprises américaines choisissent de grossir leur production aux États-Unis plutôt qu'ailleurs, notait-elle vendredi dans la foulée des données sur le marché du travail qui redécolle enfin chez nos voisins. Avec la faible croissance de sa productivité et la force de sa monnaie, le Canada risque de perdre des emplois de premier plan en usine au profit des États-Unis.