Ces derniers jours, Rupert Murdoch a été comparé à un monstre, un colosse et un gorille pesant deux cent livres. Ses détracteurs britanniques ne manquent pas de métaphores depuis que le magnat a obtenu le feu vert de David Cameron pour acquérir les lucratives chaînes satellite de British Sky Broadcasting (BSkyB).

L'offre de 14 milliards de dollars canadiens, déposée en juin dernier, doit maintenant être débattue par les actionnaires.

L'Australien, déjà propriétaire de quatre journaux britanniques, est en position de monopole et souffle le chaud et le froid sur Downing Street, dénoncent ses critiques.

Mais le ministre de la Culture Jeremy Hunt a consenti jeudi à sa proposition d'acheter 61% de BSkyB. Les 39% restants appartiennent déjà à Rupert Murdoch.

Son groupe News Corp deviendra ainsi l'unique propriétaire du numéro un de la télévision payante au pays. Avec des revenus de 9,3 milliards de dollars en 2010 et des bénéfices prévus d'1,6 milliards en 2011, BSkyB est une des rares vaches à lait dans le milieu de la télédiffusion.

Une alliance de médias rivaux, dont le Daily Mail, le Guardian et le Daily Telegraph, avait vigoureusement tenté de bloquer l'acquisition.

Le Berlusconi britannique

Le contentieux portait sur Sky News, la chaîne continue d'information de BSkyB. La coalition craignait que Sky News devienne le pendant britannique de Fox News, fondé par Rupert Murdoch en 1996.

Et comme ses journaux -The Sun, News of the World, The Times et The Sunday Times- représentent déjà 37% du tirage de la presse britannique, sa mainmise sur Sky News lui aurait permis de rejoindre 51% des consommateurs d'information selon le CRTC britannique, Ofcom.

«Il deviendrait le Berlusconi britannique», avait résumé l'analyste Claire Enders, auteur d'une étude pour le gouvernement.

Devant la levée de boucliers, Rupert Murdoch a préféré écarter Sky News de son offre d'achat. Dans la proposition actuelle, le réseau deviendra une compagnie indépendante cotée à la bourse. News Corps demeurera tout de même son actionnaire à 39 % et s'engage à lui acheter du contenu pour les dix prochaines années. Cela assurera la survie de la chaîne déficitaire.

Pour l'alliance rivale, cette concession n'est que de la poudre aux yeux. «News Corp aura encore un plus grand pouvoir de convergence», a-t-elle réagi. BSkyB compte 11,7 millions abonnés.

Difficile de savoir si l'indépendance éditoriale de Sky News sera assurée puisque Rupert Murdoch sera toujours actionnaire. Il aime tenir en laisse ses salles de nouvelles, à en croire une ancienne directrice de Sky News interrogée par La Presse.

«Il aimait la polémique et je devais souvent défendre mes décisions, dit Lis Howell, aujourd'hui directrice adjointe du département de journalisme à la City University à Londres. Mais je remportais des batailles si je mettais mon pied à terre et il n'avait pas peur d'avouer ses torts.»

Influence politique

Aussi, Rupert Murdoch, qui soufflera 80 bougies le 11 mars, est considéré comme un faiseur de roi dans l'arène politique. Ses journaux ont soutenu avec succès les conservateurs aux élections de mai 2010. Leur chef, David Cameron avait embauché en 2007 un de ses anciens lieutenants à News of the World, Andy Coulson, comme directeur des communications.

En 2003, alors que Murdoch appuyait Tony Blair et ses travaillistes, ses 175 journaux à travers le monde avaient encouragé une invasion en Irak.

Lis Howell minimise cependant l'influence de son ancien patron. «Le grand public n'est pas stupide. Il a tendance à consommer les médias qui corroborent ses opinions », dit-elle.

Mais pour plusieurs chroniqueurs, dont Jeremy Warner du Daily Telegraph, l'expansion de son empire est une «menace à la démocratie.»

Maintenant que le feu vert du gouvernement a été accordé, les négociations entre News Corp et les autres actionnaires de BSkyB s'annoncent chaudes. La valeur de l'action, en constante progression, a augmenté de 11% depuis le début de l'année.

Rupert Murdoch ayant la réputation d'être un négociateur sans pitié, l'analyste Tim Daniels d'Olivetree Securities a offert ce conseil aux administrateurs indépendants: «Soyez agressifs.»