Pour la première fois depuis 2007, les quelque 2500 participants au sommet de Davos, en Suisse, font preuve d'optimisme à l'égard de l'économie mondiale. Mais on est encore loin de l'euphorie.

En ouverture de rideau de la 41e réunion annuelle du Forum économique mondial, l'économiste vedette Nouriel Roubini a levé son verre d'eau devant les grands patrons, les politiciens et les experts venus l'entendre dans la petite ville alpine. Il a soutenu que le récipient était à la fois à moitié vide et à moitié plein, y voyant une métaphore de la situation actuelle de l'économie mondiale.

Pour étayer son propos, M. Roubini a fait la liste d'autant d'éléments positifs que négatifs auxquels le monde est confronté.

«On constate une reprise économique mondiale, tant dans les économies avancées que dans les marchés émergents», a-t-il d'abord déclaré, en précisant que la croissance s'accélérait.

«Dans les économies développées, le risque d'une récession à double creux et celui d'une déflation sont plus bas qu'ils l'étaient l'an dernier», a assuré le professeur d'économie de la New York University.

Les mauvaises données économiques en provenance du Royaume-Uni rappellent toutefois que les risques d'une récession à double creux ou même d'une longue stagnation ne se sont pas complètement dissipés, a-t-il souligné.

Le spécialiste a tout de même tenu à relever d'autres signaux positifs. Ainsi, grâce notamment aux compressions qu'elles ont effectuées pendant la récession, les grandes entreprises ont recommencé à engranger d'importants profits.

De plus, la confiance des grands patrons frôle les niveaux atteints en 2008, avant l'éclosion de la récession mondiale. Dévoilé mercredi à Davos, un sondage mené pour le cabinet comptable PricewaterhouseCoopers indique que 48% des 1201 chefs de la direction interrogés sont «très confiants» quant aux 12 prochains mois, contre tout juste 31% l'an dernier. Au Canada, les dirigeants affichent sensiblement le même optimisme.

Voyants rouges



Après avoir lancé ces notes d'espoir, Nouriel Roubini n'a pas tardé à énumérer les voyants rouges qui s'allument sur le tableau de bord de l'économie mondiale. Après tout, l'homme de 51 ans est devenu célèbre pour avoir prédit la crise hypothécaire américaine et la récession mondiale qui en découla. Sa tendance au pessimisme est à l'origine de son surnom: «Docteur Catastrophe» (Dr. Doom).

Premier constat: la croissance économique dans les pays développés sera «anémique» à cause «du douloureux processus de désendettement que doivent opérer les secteurs privé et public». Cette fois-ci, les gouvernements n'ont plus les moyens de mettre en place des plans de relance pour stimuler la machine. Certes, M. Roubini n'entrevoit pas, du moins à moyen terme, de nouvelles crises des finances publiques comme celles que la Grèce et l'Irlande ont connues en 2010. Au cours des derniers mois, les coûts d'emprunt ont baissé, même pour les pays les plus à risque.

Il reste que la plupart des gouvernements du monde, déjà lourdement endettés, ont accru leurs déficits pour faire face à la crise. Aux États-Unis, où le marché de l'habitation semble replonger, la situation budgétaire est critique, a prévenu l'économiste.

Même le gel partiel des dépenses proposé mardi soir par le président américain Barack Obama «ne va pas dans le sens d'une réduction significative du déficit budgétaire», a-t-il martelé.

Pays émergents, croissance et inflation

Nouriel Roubini s'est réjoui de la vigueur des économies émergentes comme celles de la Chine, l'Inde ou du Brésil, et même de certains pays d'Afrique subsaharienne. En fait, plusieurs se demandent à Davos et ailleurs si l'on devrait continuer d'inclure la Chine, deuxième économie mondiale après les États-Unis, dans les pays émergents... M. Roubini a relevé que la croissance chinoise, qui a frisé les 10% en 2010, équivalait au taux de chômage aux États-Unis. Là-bas, les entreprises demeurent craintives et tardent à réembaucher. Or, les fortes croissances économiques que connaissent certains marchés émergents provoquent dans ces pays une inflation difficile à maîtriser, en plus de faire exploser les cours des matières premières et des aliments de base. En Tunisie, cette situation a contribué au renversement du régime de Ben Ali, a rappelé Nouriel Roubini.

«Est-ce que ces marché émergents, en commençant par l'Inde et la Chine, sauront resserrer suffisamment -et à temps- leurs politiques monétaires afin que leurs économies atterrissent en douceur?» a-t-il demandé, en semonçant par ailleurs Pékin pour avoir «ralenti» l'appréciation de sa devise.

«Ces tensions sur le plan des monnaies pourraient conduire à des guerres de devises et, un jour, à des guerres commerciales et à du protectionnisme», a-t-il averti.

Des Québécois à Davos

Juste avant que M. Roubini ne prenne la parole, le Québécois Yvan Allaire, président du conseil de l'Institut sur la gouvernance, avait présenté à Davos une série de propositions audacieuses, qui visent notamment à faire en sorte que les entreprises ne tiennent plus compte uniquement des intérêts de leurs actionnaires, mais de l'ensemble des parties prenantes.

Dans le même ordre d'idées, la présidente du Mouvement Desjardins, Monique Leroux, a invité les participants à examiner de plus près les avantages du modèle coopératif. Un pari audacieux dans ce qui reste la grand-messe du capitalisme mondial.

Le sommet de Davos se poursuit jusqu'à dimanche.