La Fondation Lucie et André Chagnon est un cas à part dans le monde de la gestion philanthropique. Plus importante fondation privée au Canada tout en étant la plus généreuse, elle préfère donner à ses oeuvres, bon an, mal an, quitte à gruger sur son capital, à la différence des autres fondations dont l'un des objectifs est d'assurer leur pérennité.

Sa politique de placement est l'une des plus audacieuses du milieu, puisque environ 70% de son actif est investi dans des titres boursiers, comme l'a révélé La Presse Affaires hier.

Peu ou pas de fondations courent autant de risques que les Chagnon dans la gestion de leurs avoirs.

«Nous avons entre 60 et 70% en obligations», dit au téléphone un des fiduciaires de l'une des plus importantes fondations privées à Montréal, qui souhaite rester discrète. Les revenus servent à payer les subventions aux organismes. La pérennité de l'organisation y est prioritaire.

À la Fondation J.A. Bombardier (actif de 121 millions de dollars), Sonia Labrecque nous dit qu'on y vise la pérennité de la fondation et que celle-ci a une approche équilibrée quant à ses placements avant de clore rapidement la conversation.

Les actions composent 50% du portefeuille de la Fondation J.W. McConnell, deuxième fondation privée en importance au pays avec un actif de 458 millions, d'après Claude David, son secrétaire-trésorier. «Ici, on ne touche pas au capital et c'est comme ça normalement que les fondations fonctionnent «, dit Marina Boulos, PDG de la Fondation du Grand Montréal, une fondation publique ayant un actif de 46 millions, dont environ la moitié est investie dans des titres participatifs.

La stratégie audacieuse des Chagnon leur a joué des tours durant la décennie à cause des soubresauts qu'a connus la Bourse. Au 31 décembre 2009, date la plus récente disponible, la valeur de son actif, à 1275 millions (1,3 milliard), est de 105 millions inférieure à son capital de départ.

De façon générale, les fondations investissent une partie de leur actif dans les actions, ne serait-ce que pour palier au risque de l'inflation, explique André Berberi, vice-président gestionnaire principal, gestion placements, chez Desjardins.

Mais comment décide-t-on la politique de placement? «La plupart des organismes ont un comité de placement, composé d'administrateurs qui ont une expertise dans le domaine», dit Gil Desautels, vice-président de KCI, firme-conseil en gestion philanthropique.

Contrairement aux caisses de retraite, les organismes de charité sont soumis à peu de règles à l'égard de leurs placements.

Ils doivent toutefois tenir compte de la règle du fisc obligeant les organismes de bienfaisance enregistrés de verser aux bonnes oeuvres au moins 3,5% de la valeur moyenne de leurs biens au cours des 24 derniers mois, sinon ils risquent de perdre leur exemption fiscale.

Parmi les critères à considérer pour établir une politique de placement, M. Berberi souligne l'ampleur des entrées de fonds annuelles et des débours. Un cas comme la Fondation Chagnon, c'est-à-dire qui ne fait pas de campagne de financement et qui a pris des engagements de l'ordre de 70 millions par année, militerait donc pour une politique de placement prudente. Par contre, la taille de l'organisme, près de 1,3 milliard, lui donne une marge de manoeuvre que les plus petites fondations n'ont pas.