L'arrivée des médicaments biologiques est une bénédiction pour les patients atteints de maladies graves, comme la sclérose en plaques. Mais les traitements coûtent 15 000$ à 35 000$... et parfois au-delà de 300 000$ par an. La pilule est difficile à avaler pour des régimes d'assurance qui sont déjà en mode survie.

C'est le calme avant la tempête. L'augmentation du coût des médicaments au Canada a ralenti ces dernières années. Mais cette accalmie temporaire cache une puissante lame de fonds qui risque de submerger certains régimes d'assurances collectives, d'ici deux ou trois ansAu début des années 2000, l'arrivée de médicaments vedette pour des maladies chroniques courantes avait entraîné des augmentations annuelles supérieures à 10%. Aujourd'hui, le brevet de plusieurs de ces médicaments, comme le Lipitor, arrive à échéance. Et l'utilisation de produits génériques moins coûteux permet de contenir la hausse annuelle du coût des médicaments autour de 5%.

Mais une nouvelle vague approche. «Les promoteurs de régimes doivent désormais composer avec l'utilisation accrue de médicaments de spécialité très coûteux», indique Pierre Étienne Tremblay, directeur chez ESI Canada, qui présentera la semaine prochaine son rapport 2009 sur les tendances en matière de médicaments.

Les médicaments de spécialité englobent les médicaments biologiques ainsi que d'autres médicaments très coûteux pour lutter contre le VIH et le cancer par exemple. Les médicaments biologiques sont issus de matière vivante, ce qui rend leur processus de fabrication complexe et onéreux.

Escalade des coûts

«Au Canada, le coût total des médicaments de spécialité a augmenté de 14% en 2009, après une hausse de 17% en 2008. L'augmentation est presque quatre fois plus forte que pour les catégories de médicaments traditionnels», dit Cory Cowan, d'ESI Canada.

Même s'ils représentent moins de 1% des ordonnances, les médicaments de spécialité forment 16% des dépenses totales en médicament, par rapport à seulement 5,5% en 2000.

Au Québec, leur utilisation est encore plus répandue: les médicaments de spécialité représentent 19% des dépenses. Trois médicaments biologiques figurent déjà sur le Top 10 des médicaments qui occasionnent le plus de dépenses au Québec. Le Remicade, un traitement pour la maladie de Crohn, arrive au deuxième rang, derrière le Lipitor.

Et ce n'est qu'un début, car les sociétés pharmaceutiques concentrent leurs recherches sur les médicaments de spécialité. ESI s'attend donc à ce que l'escalade des dépenses en médicaments reprenne de plus belle, d'ici 2013.

Effets secondaires

Déjà, les effets se font sentir. «Peu de promoteurs de régime privé d'assurance en sont conscients, mais les hausses de primes d'assurance médicaments proviennent essentiellement de médicaments biologiques», note Johanne Brosseau, conseillère principale chez Aon Conseil.

Elle cite le cas d'un régime qui a encaissé une augmentation de 23% du coût des médicaments l'an dernier. Or, les trois quarts de la hausse de 600 000$ étaient attribuables à une demi-douzaine de médicaments biologiques (Remicade, Betaseron, Rebif) et plus précisément au Remodulin, dont le coût annuel de 345 000$ expliquait à lui seul 57% de la hausse totale.

Le Conseil du médicament vient d'ajouter ce médicament contre l'hypertension pulmonaire à la liste des médicaments couverts. Pour Mme Brosseau, cette décision arbitraire du gouvernement ne tient pas compte de la capacité de payer des régimes privés. «Cela pourrait même entraîner une certaine discrimination à l'égard d'un employé ou d'une personne à charge qui réclame des médicaments coûteux», déplore-t-elle.

Des régimes à bout de souffle

Les effets secondaires sont particulièrement pénibles pour les petits groupes d'assurés, même s'il existe un mécanisme qui leur permet de partager les risques.

En effet, lors de l'implantation de l'assurance médicaments universelle en 1997, le gouvernement a mis en place la Société de compensation en assurance médicaments du Québec. Son rôle est de mutualiser les risques pour éviter qu'un petit groupe d'assurés soit écrasé par une réclamation très élevée.

Mais le système de mutualisation craque.

Au départ, les modalités étaient beaucoup plus avantageuses. Dans un groupe de 10 assurés et moins, dès qu'un individu réclamait plus de 750$ par année, l'excédent était mutualisé. Aujourd'hui, le seuil de mutualisation s'élève à 4800$. De plus, le coût annuel de la mutualisation est passé de 50 à 128$ pour un individu, et de 137$ à 354$ pour une famille.

«À chaque année, ça coûte de plus en plus cher et il y a moins de couverture. Et c'est à cause de l'augmentation du prix des médicaments. En ajoutant les médicaments pour l'infertilité et des médicaments biologiques très dispendieux, ça va accélérer la détérioration de la mise en commun», prédit Patrick Desormeau, président du courtier d'assurance Nexim Canada.

Déjà, il a vu plusieurs petits groupes abandonner leur programme d'assurance. «Des groupes de travailleurs au salaire minimum ne sont plus capables de supporter ces coûts-là. Ils vont retourner à la RAMQ», dit-il.

Sauver les meubles

Mais en laissant tomber leurs programmes d'assurance médicament, pour aller vers le régime public de la Régie de l'assurance-maladie du Québec (RAMQ), ces groupes doivent abandonner leur programme d'assurance au grand complet. C'est la loi: l'un ne va pas sans l'autre.

Pour ne pas avoir à se priver totalement de leur programme d'assurance, plusieurs groupes font des compromis. «On essaie de réinventer l'assurance collective», lance Nathalie Gingras, associée chez Normandin Beaudry.

Elle a vu des groupes laisser tomber leur assurance salaire de courte durée, pour se replier vers l'assurance-emploi du gouvernement. La prime d'assurance était devenue trop élevée, par rapport à leur salaire d'environ 40 000$.

L'an dernier, la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (Sartec) a pratiqué une médecine de guerre pour sauver son programme d'assurance qui couvre environ 350 de ses membres et leur famille.

En 10 ans, la facture annuelle de médicaments avait explosé de 170 000$ à 600 000$. La prime d'assurance était devenue trop lourde. Un auteur qui gagnant 30 000$ par année devait y consacrer plus de 10% de ses revenus bruts.

Pour abaisser la prime, la Sartec a réduit l'admissibilité du programme, modifié l'assurance invalidité, relevé les franchises... Mais en 2009, la facture de médicaments a encore grimpé de 20%.

«On a insufflé un peu d'oxygène, mais dans deux ou trois ans, ce sera la même chose. Et il n'y aura pas grand-chose à faire», déplore Yves Légaré, directeur général de la Sartec.

Une question à 100 000$

Tout cela mène des questions que personne n'ose soulever. Doit-on couvrir tous les médicaments, peu importe leur prix? Qui devrait en assumer le coût?

Dans certains cas, les nouveaux traitements constituent une percée extraordinaire. Par exemple, les médicaments pour la sclérose en plaques diminuent le nombre de crises aiguës et freinent l'évolution de la maladie. «C'est miraculeux!» s'exclame la pharmacienne Pauline Ruel. Même si le traitement coûte environ 20 000$ par année, les bénéfices sont évidents. La question ne se pose pas. Mais ce n'est pas toujours aussi clair...

Par exemple, il existe de nouveaux médicaments pour la maladie de Gaucher qui coûtent plus de 30 0000$ par année. Le traitement améliore légèrement la qualité de vie. Mais il n'a pas d'effet mesurable sur l'évolution de la maladie. Devrait-il être remboursé?

Le débat éthique reste à faire.

«On a encore deux ou trois ans devant nous. Au lieu d'être Roger bon temps, il faudrait en profiter pour mettre en place des mesures de contrôle», dit Mme Ruel.

Cela signifie un plus grand recours aux médicaments génériques, un questionnement des honoraires des pharmaciens pour les assurés de régimes privés, et la promotion d'une utilisation plus raisonnable des médicaments et d'habitudes de vie plus saine.

Mais les assureurs ont-il la volonté d'investir dans des programmes de contrôle des coûts? «Si l'assureur le fait, il sera payé moins puisqu'il est rémunéré en pourcentage du prix des réclamations, dit Nathalie Gingras. Il faut trouver des façons imaginatives de l'inciter à le faire.»