Piloter en mer exige du sang froid au timon, surtout quand les éléments sont d'humeur changeante. Une percée de soleil est-elle signe d'embellie ou de beau temps? Quelque crachin prélude d'une tempête ou simple passage nuageux? Optimistes et pessimistes des milieux économiques et financiers se perdent en conjectures afin de mener la reprise à bon port.

Les centaines de milliards délestés par les États occidentaux pour remettre leurs économies à flots par suite de la tourmente financière portent fruit.

Selon les indicateurs économiques avancés de l'OCDE publiés dernièrement, ses pays membres auront tous renoué avec la reprise cette année. Les plus chanceux amorceront même une nouvelle phase d'expansion au second semestre.

La reprise observée reste encore fragile toutefois. Pour certains pays comme l'Espagne, elle reste à se matérialiser.

Voilà ce qu'ont voulu rappeler les ministres des Finances du G7, réunis la semaine dernière au pays des Inuits. Ils se sont d'ailleurs engagés à maintenir leurs plans de relance respectifs.

Cela est de nature à rassurer plusieurs économistes qui jugent que le secteur privé n'est pas encore en mesure de jouer son rôle moteur. En revanche, les déficits budgétaires que ces stimuli engendrent inquiètent de plus en plus les investisseurs. Ils craignent que la pluie de titres de dette qui va inonder les marchés obligataires pousse les taux d'intérêt à la hausse au point d'engluer le crédit, lubrifiant essentiel à toute machine économique.

L'État des finances publiques du sous-groupe PIGS (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne) de la zone euro suscite plus de craintes encore que la récente pandémie de grippe porcine.

C'est sans aucun doute la raison principale de la performance mitigée des grands indices boursiers en ce début d'année, alors que les profits des entreprises dépassent en bonne partie les prévisions des analystes financiers.

Les grands ténors de l'Union européenne tentent de calmer le jeu depuis maintenant une semaine. Ils ont même annoncé un sauvetage des finances publiques hellènes, conditionnel à un plan d'austérité budgétaire qui incite jusqu'ici les Grecs à descendre dans la rue.

Comme les détails de ce plan ne seront dévoilés que la semaine prochaine, plusieurs investisseurs préfèrent d'ici là renouveler leur ordonnance de valiums.

Le loyer de l'argent

Cette crise des finances publiques survient à bien mauvais moment. Celle des grandes institutions financières, qui avait obligé les autorités monétaires à déployer une armada extraordinaire pour dégeler le crédit, est résorbée à toutes fins utiles.

Les grandes banques américaines ont remboursé ce que les contribuables leur avaient avancé. Elles se sont remises à verser des bonis faramineux à leurs dirigeants, comme des pirates après un pillage.

Comble de cynisme, le retour au profit est moins dû à leur métier de base qu'à leurs activités d'intermédiation de la dette de Washington, contractée pour réparer les dégâts de la crise financière.

Certes, elles se remettent un peu à prêter, mais pas assez encore pour assurer une croissance durable. Les États-Unis sont sortis de la récession au troisième trimestre de l'an dernier. Le quatrième a étonné par sa robustesse avec une poussée de 5,7%, selon des données préliminaires.

Ces jours-ci, le président de la Réserve fédérale américaine, Ben S. Bernanke, commence à préparer les marchés au changement de cap inévitable de la politique monétaire plus tard cette année. La manoeuvre va exiger beaucoup de savoir-faire. Trop se hâter à augmenter les taux d'intérêt peut compromettre une reprise encore fragile, mais trop tarder ne peut qu'aiguillonner l'inflation.

Les pressions à la hausse sur les prix pourraient surprendre parce que la récession a provoqué plusieurs fermetures. La capacité de production américaine a été réduite d'autant, tout comme sa sous-utilisation qui est sensée être garante de faible progression des prix.

Reprise des transactions

Cela survient au moment où les échanges commerciaux internationaux retrouvent leur erre d'aller. En 2009, le commerce mondial avait calé de 12,3%, selon le Fonds monétaire international (FMI), malgré une remontée amorcée dès le troisième trimestre. L'organisme prévoit une poussée de 5,8% cette année et de 6,3% l'an prochain.

Le président Barack Obama a proposé le mois dernier de doubler les exportations américaines, d'ici 2015. Les États-Unis pourront compter sur la faiblesse relative de leur monnaie qui, en contrepartie, nourrira l'inflation : ils importent une bonne partie de leur consommation, celle d'énergie en particulier.

Pour sortir de ce maelstrom, les Américains exerceront des pressions sur la Chine pour qu'elle consente à réévaluer sa monnaie. Dès le déclenchement de la crise financière, Pékin a cessé de laisser flotter le yuan pour contenir la chute de ses exportations. Cela risque par contre de provoquer une surchauffe inflationniste. Chose certaine, les créanciers des États-Unis auront le dernier mot de l'affaire.

Outre les écueils visibles au radar, il y a aussi les torpilles contre lesquelles il est difficile de se prémunir. Ce sont l'ensemble des tensions géopolitiques. L'attentat raté sur un vol à destination de Detroit le soir de Noël aura quand même perturbé à lui seul l'aviation civile et affaibli l'industrie touristique pour un bon moment.

Les imprévisibles dictatures iranienne et nord-coréenne viendront compliquer davantage une traversée non dépourvue d'écueils.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, a écrit Racine. Saurons-nous rendre à nos dirigeants celle qu'ils auront méritée?