Pour déployer son futur réseau d'antennes de téléphonie mobile, Vidéotron a fait adopter dans une douzaine de municipalités des résolutions qui l'autorisent à passer outre aux consultations publiques qu'exige le gouvernement fédéral, a pu constater La Presse.

Il est possible que cette pratique déroge aux directives d'Industrie Canada. Mais Vidéotron le nie. «C'était très bien expliqué qu'il y avait possibilité d'exemption, mais, dans la grande majorité des cas, on mène des consultations», dit Marc Labelle, porte-parole de Vidéotron. «Nous avons toute la volonté du monde de vivre selon les règles d'Industrie Canada.»Industrie Canada, en réponse à une question écrite de La Presse, affirme : «Les promoteurs sont tenus de respecter les conditions de leurs licences de spectre qui réfèrent aux exigences prescrites (dans la directive) avant la construction de tout nouveau site. Un des éléments essentiels de cette procédure vise à assurer la consultation du public et des autorités responsables de l'utilisation des sols en regard des projets proposés.»

Des consultations publiques, «des dizaines ont été lancées et des dizaines sont en préparation», dit M. Labelle. Il y en a eu à Austin, Boisbriand, Boucherville, Contrecoeur, Lachine, Lévis, Saint-Apollinaire, Saint-Hyacinthe et dans l'arrondissement d'Ahuntsic-Cartierville.

Règlements d'exception

Par ailleurs, plusieurs villes ont adopté des résolutions pour «exempter un promoteur de soumettre à la procédure de consultation un projet d'installation d'un système d'antennes (...) qui y serait autrement soumis».

C'est le cas de Notre-Dame-de-Bonsecours et Pontiac (Outaouais), de Sainte-Marie (Beauce), Brossard, Chambly et Saint-Rémi (Montérégie), Sainte-Catherine de Hatley et Stanstead (Estrie), Compton (Bois-Francs), Mascouche, Portneuf et Saint-Maurice.

Selon un expert du droit municipal, Jean Hétu, professeur à l'Université de Montréal, les villes ont «court-circuité ou mal interprété les directives d'Industrie Canada» en adoptant le texte suggéré par Vidéotron.

L'approche de Vidéotron détonne dans l'industrie, qui s'est vu imposer une procédure de consultation dans une circulaire d'Industrie Canada. Entrée en vigueur en janvier 2008, celle-ci a été adoptée après que de nouvelles antennes eurent soulevé la controverse faute de consultation locale.

Une consultation est obligatoire pour toute antenne de plus de 15 mètres. L'entreprise doit publier des avis dans les journaux locaux et écrire aux résidants d'un périmètre égal à trois fois la hauteur de l'antenne projetée. Le public a 30 jours pour répondre. En tout, le processus peut prendre jusqu'à 120 jours. Industrie Canada peut être appelée à trancher en cas de différend.

Industrie Canada a également publié un guide à l'intention des municipalités, les invitant à adopter un processus d'approbation des projets. Selon Me Hétu, «le processus est plus qu'une simple résolution qui vise un projet particulier. Il doit prévoir une consultation. Il faut que les citoyens aient la chance de se faire entendre. Je ne pense pas qu'Industrie Canada accepte ça».

«Nos équipes d'avocats sont d'avis contraire, dit M. Labelle. On est très convaincu des avis qu'on a reçus.»

Vidéotron, une filiale de Quebecor Media, veut lancer au plus vite son nouveau service de téléphonie et de communications sans fil. «On a acheté 17 licences au coût de 550 millions de dollars, couvrant la majorité du Québec et la région d'Ottawa», dit M. Labelle. Le déploiement du réseau d'ici à l'été prochain représente un investissement de plus de 800 millions, ajoute-t-il.

«On veut dépasser les attentes des consommateurs, dit M. Labelle. Sans compter la création de milliers d'emplois à d'excellents salaires.»

Parmi les concurrents de Vidéotron, seul Rogers a installé de nouvelles antennes dernièrement au Québec. «Dans chaque projet, une consultation est faite, dit Sébastien Bouchard, porte-parole de Rogers. On en a fait 26 au Québec en 2009. On est tenu à ce processus démocratique, imposé par Industrie Canada.»

Jointes par La Presse, plusieurs villes qui ont exempté Vidéotron affirment que le projet était bienvenu, en particulier quand il promet d'ajouter un service d'internet haute vitesse. Dans plusieurs cas aussi, le projet était loin des quartiers habités.

Ailleurs, les projets de Vidéotron ont été moins bien accueillis. À Sainte-Claire, dans la région de Bellechasse, le conseil municipal a exigé une consultation publique. Au lieu de quoi Vidéotron examine un autre terrain dans la même ville, explique Serge Gagnon, directeur général de Sainte-Claire.

À L'Islet, en Chaudière-Appalaches, un projet proche de résidences a été contesté et un autre emplacement a été choisi. Dans les deux cas, la municipalité a refusé d'adopter la résolution proposée par Vidéotron. «Ils ne voulaient pas qu'il y ait de consultation, dit le maire André Caron. Nous avons donné l'autorisation sans exclure une consultation. On n'est pas contre le projet, mais c'est la population qui décide.»

À Mont-Saint-Hilaire, Vidéotron a obtenu qu'Industrie Canada impose un emplacement qui déplaît à la municipalité, bien qu'il soit éloigné des résidences. «Nous avons fait des suggestions qui ne correspondaient pas à leurs exigences de diffusion», dit le maire Michel Gilbert.

À Shefford, après l'élection d'un nouveau conseil municipal, le maire Jean-Marc Desrochers a refusé d'appuyer Vidéotron, qui voulait une dérogation afin d'utiliser une terre agricole. La municipalité a plutôt demandé à Rogers d'accueillir Vidéotron sur une de ses tours. «Même si c'est un service essentiel, personne n'est favorable à la prolifération des antennes», dit le maire Desrochers.