D'aucuns croyaient que l'activité en usine s'était stabilisée au printemps. C'était sans compter les déboires de l'industrie automobile et la volatilité du secteur aéronautique.

La fermeture de plusieurs usines d'assemblage en Ontario aura fait plonger de 25,4% les ventes des fabricants de cette industrie. Elle aura aussi diminué les livraisons de producteurs de métaux transformés (acier et aluminium surtout).

Au final, les ventes des fabricants canadiens ont reculé de 6% d'avril à mai, indiquait hier Statistique Canada, soit près de trois fois plus que ce à quoi s'attendaient les experts (voir le graphique). Exprimées en volume, les ventes reculent de 5,8%, ce qui indique que le mouvement ne peut être attribué à une baisse des prix. En fait, ceux du pétrole ont même beaucoup augmenté durant le mois.

«À court terme, cela frappe durement le Produit intérieur brut au deuxième trimestre, notent Derek Holt et Karen Cordes, économistes chez Scotia Capitaux. Ce recul plus prononcé et la relance attendue de la production automobile au cours du présent trimestre suggèrent une reprise plus rapide du PIB et du secteur manufacturier en deuxième moitié d'année.»

Très instable, le secteur aéronautique a effacé au cours du mois tous ses gains d'avril. Le plongeon de 55% de ses livraisons a fait chuter de 9,1% la valeur des livraisons en provenance du Québec, plus touché encore que l'Ontario. Après cinq mois, les ventes du secteur essuient un repli de 8,6% sur la période correspondante de l'an dernier.

Si on exclut le matériel de transport, le recul des ventes des fabricants est contenu à 2,1%, mais la majorité des secteurs est touchée.

Pour donner une idée de l'ampleur de la récession manufacturière, rappelons que la valeur des ventes des fabricants s'élevait à 51,5 milliards en mai 2008. Le huard s'échangeait alors à peu près au pair avec le billet vert et malmenait déjà les fabricants. Un an après, la valeur des ventes est ramenée à 38,4 milliards même si notre monnaie s'échangeait en mai contre environ 90 cents américains. Il s'agit d'un plongeon de 25% des ventes.

Rien n'indiquait en mai que l'activité soit sur le point de rebondir: la valeur des nouvelles commandes était en baisse de 7,2% sur avril, mais de 38,6% sur leur sommet d'octobre.

«Si on a en tête les chiffres de la balance commerciale de mai, ces données ne constituent pas vraiment une surprise, note Charmaine Buskas, économiste principal chez TD Valeurs mobilières. Elles reflètent la faiblesse de la demande américaine. Cela va continuer tant que l'économie américaine ne prendra pas du mieux.»

«Le secteur américain n'est pas encore en convalescence, renchérit Joëlle Noreau, économiste principale chez Desjardins. Son état se détériore moins rapidement, mais il décline encore un peu.»

En mai, le Canada a enregistré son surplus commercial le plus faible avec les États-Unis.

Ces chiffres ne surprennent pas non plus, si on considère qu'il s'est détruit 58 400 emplois en usine en mai, selon les données de l'Enquête sur la population active de l'agence fédérale.

«Chrysler a fermé son usine de fourgonnettes de Windsor tandis que GM fermait celle de pickups à Oshawa», rappelle Jean-Michel Laurin, vice-président affaires internationales des Manufacturiers exportateurs du Canada (MEC).

M. Laurin n'est pas alarmiste pour autant. L'enquête mensuelle la plus récente des MEC révèle que 51% des membres avaient enregistré une diminution de leurs ventes au printemps, mais que 69% s'attendent à ce qu'elles s'améliorent ou se stabilisent au cours de l'été. «Ça nous porte à croire que ça va rebondir au cours des prochains mois.» Ces résultats concordent avec ceux de l'Enquête sur les perspectives de la Banque du Canada réalisée dans la première quinzaine de juin.

M. Laurin déplore toutefois que les producteurs d'acier, qui devraient profiter des programmes de relance des gouvernements, n'aient pas encore senti le vent tourner.

La crise de l'auto fait mal

Le poids de l'industrie automobile dans l'économie canadienne étant deux fois plus élevé que dans l'économie américaine, sa crise heurte davantage.

La production canadienne (ontarienne) est destinée principalement aux États-Unis, où les ventes se sont effondrées depuis un an.

Les exportations canadiennes d'automobiles ont d'ailleurs plongé de 12,4% d'avril à mai, mais de 38% depuis un an. Les déboires de Chrysler et de GM ont forcé l'interruption de la production pendant plusieurs semaines. Chez Chrysler, l'usine de Windsor a repris ses activités au début du mois seulement.

Aux États-Unis, l'industrie automobile fonctionnait en juin à 37% de ses capacités seulement. La chute des ventes est moins attribuable à la morosité du consommateur qu'au resserrement des conditions de crédit, qui compliquent la location et l'achat par versements.

Au-delà de juin, la situation pourra difficilement se dégrader encore, car la demande refoulée s'accumule.

«Les livraisons au troisième trimestre devraient rebondir alors que GM et Chrysler émergent de leur restructuration financière. Néanmoins, les ventes d'automobiles ont déjà commencé à s'améliorer aux États-Unis, comme en témoigne le rapport sur les ventes au détail le plus récent», fait remarquer Marco Lettieri, économiste à la financière Banque Nationale.

Le retour à une production canadienne au niveau d'avant-récession est peu probable cependant, en raison de la fermeture définitive de l'usine de camions Sterling de St. Thomas, qui employait encore 750 personnes en mars.