Autour de la table, il y a une gestionnaire de projet récemment mise à pied par une firme pharmaceutique. Une spécialiste en marketing qui vient de perdre son emploi dans une compagnie de boissons gazeuses. Et un urbaniste qui était sur le point de décrocher un boulot quand les budgets prévus pour son projet ont été brutalement gelés. Plus d'argent, plus de job.

Ils sont bardés de diplômes. Ils ont entre 30 et 40 ans. Et ils sont tous trois victimes de la crise économique qui a frappé le Québec de plein fouet, quelque part au tournant de l'an 2009. «Encore au début de l'année, le président de ma compagnie a réuni les employés pour leur dire que tout allait bien», raconte la gestionnaire de projet. Mais trois mois plus tard, c'était une tout autre histoire: «Nos patrons nous ont dit que les ventes avaient baissé et qu'il fallait tout réorganiser.»

Comme ses compagnons du Club de recherche d'emploi du centre-ville de Montréal, la jeune femme préfère taire son nom. L'idée de s'afficher comme chômeurs ne leur plaît pas. Et ils aiment bien cet environnement anonyme d'une tour à bureaux de la rue Sherbrooke où tous les matins, ils viennent s'entraîner à chercher du travail.

L'urbaniste, qui a aussi un diplôme français d'architecte, est particulièrement touché par la crise. «Ma femme travaille dans une entreprise d'éclairage. Ils ont commencé à mettre des gens à pied. Et nous avons un bébé de 10 mois. Je suis plus qu'inquiet. Je suis stressé», confie-t-il.

Encore l'automne dernier, le Québec était relativement à l'abri de la récession. On pouvait espérer que l'oeil du cyclone passerait ailleurs. Mais ce n'est plus le cas. Un signe révélateur: les chasseurs de têtes n'ont plus de contrats.

Choc brutal

«Nous avons perdu entre 30 et 40% de nos mandats», dit Michel Pauzé, un recruteur spécialisé dans le secteur du marketing et des communications.

Ce n'est pas la première récession pour cet homme qui a vu passer les tempêtes des années 80 et 90. Mais cette fois, le choc a été beaucoup plus brutal. L'automne dernier, sa firme roulait encore à plein régime. «En février, mars, boum! le mur est tombé.»

Le même scénario s'est produit chez d'autres chasseurs de têtes. «Il y a beaucoup de candidats sur le marché, et les entreprises sont sur un mode attentiste», dit le recruteur Jean-François Arcand.

Les compagnies sabrent partout, du haut jusqu'en bas de la hiérarchie.

Louis Doucet, ancien chef de la direction financière d'une compagnie de pièces d'aviation, a perdu son travail l'automne dernier. Pour ce comptable de 30 ans d'expérience, le marché de l'emploi se présente un peu comme un désert. «Je ne trouve aucune annonce pour moi, les compagnies retardent leurs décisions, tout est pas mal immobilisé», dit-il.

Contrairement aux recruteurs, les centres de recherche d'emploi, eux, sont plus populaires que jamais. Ces dernières années, ils tournaient un peu au ralenti. Le problème, c'était plutôt la pénurie de main-d'oeuvre, rappelle Denise Marquis, directrice de l'Association des centres de recherche d'emploi du Québec.

«Mais depuis deux mois, c'est reparti en sens inverse», constate-t-elle.

Un bémol

Oui, il y a une augmentation du nombre de chercheurs d'emplois, mais la situation est loin d'être désespérée, tient à souligner Monique St-Amand, conseillère au Centre de recherche d'emploi de Montréal, centre-ville. «Notre taux de placement est resté stable malgré la crise. Et la situation reste meilleure que dans les années 90, quand tout était bloqué par les baby-boomers», fait-elle valoir.

Le hic, c'est qu'avec la débâcle boursière qui a fait fondre leurs économies, certains baby-boomers risquent de retarder leur départ à la retraite. «Nous ne savons pas comment ils vont réagir si la crise continue. Est-ce qu'ils vont vraiment céder leur place?» se demande-t-elle. Le cas échéant, cela fera autant de postes bloqués pour les plus jeunes.

En attendant, beaucoup de gens craignent que leur emploi ne tienne plus qu'à un fil. Il y a quelques jours, Michel Pauzé a lunché avec une femme qui travaille en publicité et n'arrive plus à atteindre ses objectifs. «Elle se demande si son salaire va diminuer, ou même si elle ne va pas perdre sa job», dit-il.

Les dernières statistiques économiques n'ont rien pour rassurer. Pendant les trois premiers mois de 2009, le Québec a perdu 48 800 emplois. Le taux de chômage atteint 8,3% dans la province. Mais il dépasse 12% au Saguenay, frôle 15% sur la Côte-Nord et 11% à Montréal.

«L'automne dernier, nous nous disions que nous serions épargnés par la crise. Mais elle nous a rattrapés», dit Claude Morin, porte-parole d'Emploi Québec.

Est-ce que ça va se poursuivre, et si oui, pendant combien de temps? se demande-t-il maintenant. Mais ça, personne ne le sait.