De toute l'histoire des États-Unis, aucun président n'a été accueilli aussi froidement à la Bourse que Barack Obama. Alors même que le 44e président américain prononçait son discours inaugural du haut des marches du Capitol, le 20 janvier dernier, Wall Street s'enfonçait de 5%.

Son secrétaire au Trésor n'a guère été mieux reçu. Timothy Geithner a eu droit à une gifle en guise de bienvenue. Le jour de l'annonce de son plan de stabilisation financière, le 10 février, la Bourse a glissé de 5%.Les marchés étaient sur le qui-vive. Les investisseurs nerveux et impatients s'attendaient à un plan détaillé, des mesures concrètes, un calendrier précis. L'annonce les a laissés sur leur faim. Et les détails des différents volets de ce plan, qui ont été présentés les semaines suivantes, ne les ont pas calmés. La Bourse a poursuivi sa dégringolade pendant un mois.

Changement de psychologie

Puis, au début de mars, les investisseurs ont changé leur perception, du tout au tout. La Bourse, qui avait perdu 22% depuis l'assermentation de Barack Obama, a regagné le terrain perdu aussi vite.

«Avec les politiques fiscales et monétaires, les marchés boursiers ont commencé à écarter la possibilité que l'économie glisse dans une grande dépression, dans un trou sans fonds. C'est un résultat direct des mesures prises par l'administration Obama», considère Carlos Leitao, économiste en chef pour Valeurs mobilières Banque Laurentienne.

C'est l'annonce du volet du plan Geithner visant à purger le bilan des banques de leurs actifs toxiques qui a relancé la Bourse. «C'est très ironique, à mon avis, car le plan est resté le même. Il y a peu de différence», note M. Leitao.

Mais les marchés ont finalement compris que le gouvernement le laissera plus tomber les banques, comme Lehman Brothers l'automne dernier.

«Au besoin, l'État est prêt à injecter des capitaux dans les banques, sous forme d'actions privilégiées. Est-ce que c'est une nationalisation ou pas? Peu importe. L'important c'est qu'il n'y aura pas d'autres grosses faillites bancaires», dit Jean-René Adam, gestionnaire de portefeuille sur les marchés les nord-américains chez Hexavest.

Et comme les banques sont les poumons de l'économie, on redonne de l'oxygène à tout le monde, en assurant leur survie, ajoute-t-il.

Des étoiles dans le bulletin

Avec un peu de recul, les marchés accordent une bonne note à l'administration Obama, pour ses premiers 100 jours au pouvoir.

«Obama a été vraiment très énergique. Il a très bien fait du point de vue économique, en agissant sur le front de la politique fiscale, monétaire et internationale, lors les différents sommets économiques», estime M. Leitao.

En effet, Barack Obama a marqué des points lors du sommet du G20, au début d'avril. Généralement, les investisseurs voient d'un oeil cynique ces rassemblements qui débouchent sur un communiqué flou. Pas cette fois!

Conscient que la main invisible du marché ne peut pas toujours tout régler, le G20 s'est entendu pour renflouer le Fonds monétaire international (FMI), à cours de ressources, marginalisé au cours des dernières années. Les Américains qui étaient ambivalents face aux organisations bilatérales, lui ont accordé leur support. Selon M. Leitao, il est important d'avoir une organisation comme le FMI afin d'aider des pays comme l'Ukraine ou la Turquie, écorchés par l'implosion du commerce mondial.

Obama se mérite aussi des éloges des investisseurs pour son plan d'évacuation des actifs toxiques des banques. «La structure du programme au complet est ingénieuse», considère M. Adam. Par exemple, le plan laisse le soin aux investisseurs privés de déterminer le juste prix des actifs, et il utilise l'effet de levier, profitant ainsi de la faiblesse des taux d'intérêt. «C'est un bon coup! On y croit», lance M. Adam.

Des ombres au tableau

Néanmoins, certains critiquent la lenteur de l'administration Obama à passer aux actes, alors de la crise financière nécessite des gestes rapides.

«On ne peut pas dire qu'ils ont chômé. Ils sont très actifs, ils jouent sur plusieurs tableaux. Mais il y a beaucoup de délais entre les annonces et la mise en application des mesures», souligne Pierre Lapointe, stratège à la Financière Banque Nationale.

Par exemple, le TALF n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Dévoilé dès l'automne 2008, le programme vise à repartir la titrisation, c'est-à-dire la structuration de produits financiers afin d'assurer le crédit à la consommation pour les ménages.

Obama a relancé le programme, au début de mars, parlant d'une bouffée d'oxygène de 1000 milliards de dollars. Or, à peine huit milliards de dollars ont été accordés jusqu'à maintenant, indique M. Lapointe. «C'est essentiel que ça reparte, car 65% du crédit à la consommation n'est pas issu du secteur bancaire», précise-t-il.

Il n'y a encore rien de concret non plus du côté du programme de rachat des actifs toxiques, dévoilé il y a plus d'un mois. «Ce n'est pas encore commencé», dit M. Lapointe. Les investisseurs sont au rendez-vous. Mais les banques sont réticentes à mettre sur la place publique leurs actifs les plus sales.

Après la crise, le désert?

Mais déjà les signes vitaux du marché du crédit se sont améliorés. La crise n'est plus aussi aiguë, grâce aux interventions combinées du gouvernement et de la Réserve fédérale.

«Oui, le crédit se remet en marche, mais de manière lente, tranquille et prudente. Cela ne reviendra plus comme avant», met en garde M. Leitao. Il faut dire que la roue du crédit tournait si vite qu'elle a surchauffé la consommation et fait dérailler l'économie.

Lorsque la crise financière et la récession seront bel et bien écartées, il faudra se contenter d'un rythme de croissance beaucoup plus modéré.

Et si l'on se fie à l'histoire, les investisseurs devront patienter longtemps avant de récupérer leurs pertes, estime M. Lapointe, qui a analysé 15 épisodes de crises financières depuis 50 ans.

En moyenne, les crises financières entraînent un plongeon boursier de 40% qui s'étire sur presque deux ans (21 mois). À partir du creux, il faut attendre encore plus longtemps (25 mois) pour que la Bourse remonte au niveau atteint avant la crise.

Au total, c'est presque quatre ans de perdu, parfois encore plus. Après la crise de la fin des années 70, l'Espagne a mis plus de 10 ans à récupérer ses pertes. Et le Japon n'est pas encore revenu au même niveau qu'avant la crise des années 90.

Depuis le début de la crise actuelle, la Bourse américaine a perdu 56%, pour échouer à un creux des 12 dernières années, au début de mars. Même si elle a rebondi de 20%, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Une route qui pourrait être longue et frustrante pour les investisseurs. Un environnement qui pourrait ressembler à celui des années 70, avec beaucoup de volatilité, mais aucune augmentation soutenue des indices boursiers sur une très longue période.

Comment les investisseurs peuvent-ils s'adapter? D'abord, en réduisant tout de suite leurs attentes. «12-15% de rendement, c'est tout à fait irréaliste», répond M. Leitao. Et ensuite, en misant sur les bonnes entreprises. «Il faudra bien faire ses devoirs. Ce sera une histoire de sélection de titres, pense M. Leitao. Si on achète l'indice, on risque d'être déçu.»