Durant sa jeunesse, Mark Carney aimait jouer au hockey. Gardien de but, il a appris à surveiller tous les joueurs sur la glace. Aujourd'hui à titre de gouverneur de la Banque du Canada, ce sont les différentes variations de prix des biens et des services qu'il a à l'oeil, pour tenir l'inflation en échec. La Presse l'a rencontré mardi dans les bureaux montréalais de la banque.

Durant sa jeunesse, Mark Carney aimait jouer au hockey. Gardien de but, il a appris à surveiller tous les joueurs sur la glace. Aujourd'hui à titre de gouverneur de la Banque du Canada, ce sont les différentes variations de prix des biens et des services qu'il a à l'oeil, pour tenir l'inflation en échec. La Presse l'a rencontré mardi dans les bureaux montréalais de la banque.

Depuis quelques semaines, l'inflation est revenue à l'avant-scène économique mondiale. On la croyait reléguée au second plan, derrière l'assèchement dramatique des liquidités des banques et le ralentissement de l'économie occidentale. La flambée récente des prix de l'énergie, des produits de base et des aliments nous fait bien comprendre qu'elle est un fléau sournois qu'on ne peut laisser se propager.

«Tous les pays rêvent d'avoir comme nous une augmentation annuelle de 1,2% seulement du prix des aliments, explique Mark Carney, aux commandes de notre banque centrale depuis le 1er février. Nous sommes une exception. Elle est causée par la force du dollar canadien, par la concurrence que se livrent les détaillants et par une offre excédentaire de viande. Ces effets conjugués sont temporaires.»

Si le prix des aliments monte encore peu, la facture d'énergie ne laisse aucun doute, surtout celle d'essence, lui fait-on remarquer.

M. Carney réfléchit avant de formuler des réponses concises, pausées, formulées dans un français qu'il parle bien, sans en maîtriser toutes les nuances encore.

«Ce sera difficile de maintenir nos prévisions de croissance de l'indice des prix à la consommation global (IPC. Voir encadré). C'est une question d'arithmétique. En ce qui concerne, l'indice de référence (IPCX), on ne peut pas encore dire s'il y a une tendance.» Selon Statistique Canada, l'IPC évoluait au rythme annuel de 1,7% en avril tandis que l'IPCX voguait à 1,5%.

Deux chiffres qui font l'envie des Américains et des Européens, même s'ils marquent une accélération par rapport à mars.

Dans son dernier scénario économique publié fin avril, la Banque voyait l'IPC à 1,7% et l'IPCX à 1,5%, au deuxième trimestre.

La flambée du prix de l'essence indique déjà que l'IPC aura encore grimpé en mai, surtout que sa progression avait été faible en mai 2007. D'où l'effet arithmétique dont parle le gouverneur.

Le rôle d'amortisseur joué par l'appréciation du dollar canadien au cours des dernières années a ralenti la poussée des prix des marchandises importées. Si notre monnaie reste assez stable depuis le début de l'année en oscillant dans une fourchette de 98 à 102 cents américains, le délai de l'effet dollar sur les prix à la consommation n'est peut-être pas terminé. «Cela nous laisse un peu plus de temps que les autres pour faire face au défi de l'augmentation des prix à l'échelle mondiale. Est-ce que cette hausse est temporaire? Ce n'est pas clair.»

Une des difficultés des six membres du Conseil de direction de la Banque chargé de fixer le taux directeur, c'est de porter des jugements sur l'évolution des prix relatifs.

On entend par là les variations des prix de certains biens ou services relativement à l'ensemble. Ainsi, est-ce que la flambée des prix à la pompe pèse davantage à terme que la baisse du prix des automobiles ou des fruits et légumes importés sur l'ensemble de l'IPC?

«Nous devons rester vigilants devant l'inflation mondiale et sur la manière qu'elle s'attaque à l'inflation au Canada», résume-t-il.

Ralentissement

Dans son scénario économique publié en avril, la Banque a bien perçu le présent ralentissement économique en tablant sur une croissance de 1% et de 0,3% aux premier et deuxième trimestres. «Nous sommes encore à l'aise avec ce scénario», indiquait mardi M. Carney qui ne savait pas encore que l'économie s'était contractée au premier trimestre. Il précisait qu'une variation de quelques dixièmes en moins pourrait se traduire par quelques dixièmes en plus au deuxième.

Excès d'offre favorable

L'essoufflement de la croissance fait basculer l'économie canadienne d'un état d'excès de demande, ou de surchauffe, propice aux pressions inflationnistes, à un excès d'offre favorable à la désinflation.

D'où l'importance de scruter avec attention l'évolution des prix relatifs qui vient brouiller les pistes de la marche pressentie des prix. Le 22 avril, en révisant à la baisse son scénario de croissance, la Banque avait abaissé de 50 centièmes son taux directeur pour le porter à 3%. Elle estimait que le retour de l'inflation à la cible de 2% ne se produirait pas avant 2010.

Par chance pour la Banque, non seulement dispose-t-elle d'un peu plus de temps que ses vis-à-vis européenne ou britannique pour prendre le pouls des prix mondiaux, mais son mandat est clair: contenir l'inflation annuelle entre 1% et 3%, en visant 2%.

La Réserve fédérale américaine court deux lièvres à la fois: le plein emploi et la stabilité des prix, sans cible officielle.

Le premier commande d'abaisser le taux directeur quand l'économie ralentit, mais les pressions inflationnistes présentes lui dictent aussi de le hausser ou, selon le compromis présent en son sein, de le garder à son niveau actuel de 2%.

Bref, si l'économie américaine devait traverser une période de ralentissement prolongé jumelée à une poussée des prix, les États-Unis se retrouveraient en pleine stagflation.

Cela entraverait la conduite de la politique monétaire, comme cela s'est produit il y a une trentaine d'années.

«Pour nous, en cas de stagflation, il n'y a que la partie flation qui nous préoccupe, souligne M. Carney. Si les attentes inflationnistes changent, nous allons nous ajuster. Une cible d'inflation permet des communications simples. Atteindre notre cible reste la meilleure contribution que nous pouvons faire pour l'économie canadienne.»