À en croire les astrologues chinois, 2007 devait être l'année du cochon. Une fois de plus, ils se seront trompés. Ce fut en fait l'année du huard.

À en croire les astrologues chinois, 2007 devait être l'année du cochon. Une fois de plus, ils se seront trompés. Ce fut en fait l'année du huard.

Le 20 septembre, pour la première fois en 31 ans, notre monnaie s'est retrouvée à parité avec le billet vert. Un mois et demi plus tard, dans la nuit du 7 novembre, elle s'est même échangée quelques minutes à 110,30 cents américains, son sommet depuis la guerre de Sécession, le grand traumatisme de l'histoire des États-Unis.

Le gouverneur de la Banque du Canada a qualifié ce bref moment d'horrible, tant il paraissait injustifié par les fondements pourtant très solides de l'économie canadienne.

Depuis, le huard est revenu à des altitudes moins vertigineuses, quoique encore élevées.

«Il faudra s'habituer à voir notre monnaie évoluer dans une fourchette entre 95 et 105 cents», prévient Stéfane Marion, économiste en chef adjoint à la Financière Banque Nationale.

En 1976, elle avait été dopée par des taux d'intérêt plus élevés qu'aux États-Unis. Cette fois-ci, elle doit sa force à plusieurs dynamos qui agissent concurremment.

Faiblesse du dollar américain

«L'élément déclencheur de la parité, c'est la faiblesse du dollar américain, note François Barrière, vice-président, développement des affaires, marchés internationaux à la Banque Laurentienne. Le dollar canadien s'est un peu mieux tiré d'affaire que les autres devises cette année, mais la majorité ont gagné du terrain contre le billet vert.»

En fait, le huard s'est apprécié de quelque 18,8% depuis le 1er janvier dernier. L'année qui s'achève couronne une spectaculaire remontée. Le 21 janvier 2002, il y aura bientôt six ans, notre devise atteignait son creux historique de 61,79 cents américains. Il fallait 1,62$ pour acheter un billet vert.

Le pétrole

L'autre élément qui a tonifié la poussée du huard depuis 2003, c'est la flambée du prix du pétrole. Juste avant l'invasion anglo-américaine de l'Irak, le baril d'or noir s'échangeait aux environs de 30$ US. Il a flirté avec les 100$ US en novembre et s'est négocié à plus de 80$ US durant tout le dernier trimestre.

Le ralentissement de la première économie du monde affaiblira sans doute le cours du pétrole, mais cela ne pourra guère faire de mal à notre monnaie à moyen terme, croit François Barrière.

«En 2007, nous produisions un million de barils par jour, rappelle-t-il. En 2012, avec la pleine exploitation des sables bitumineux, on en sera à trois millions de barils par jour.»

Cela agira comme une police d'assurance pour le solde de nos comptes commerciaux et financiers avec le reste du monde. Un solde positif, comme le Canada en connaît depuis quelques années, reste la meilleure garantie d'un huard et d'un pouvoir d'achat forts.

L'expansion rapide des grandes économies émergentes de Chine et d'Inde exige la consommation massive de métaux de base tels que l'aluminium, le cuivre, le nickel, l'uranium et le zinc. Autant de métaux que le Canada produit et exporte, autant de biens industriels qui se sont vendus plus cher cette année que l'an dernier.

«À moyen terme, les devises de commodités comme le dollar canadien vont rester fortes, prédit M. Marion. L'urbanisation amène 20 millions de Chinois et sept millions d'Indiens dans les villes chaque année. Cela va soutenir les prix des produits de base.»

Et que dire de l'or et de l'argent, qui rendent presque prohibitif le prix de certains bijoux?

La manne n'est pas que minérale, elle est aussi agricole. Le prix du blé a doublé en un an alors que l'orge et le canola se vendent bien plus cher que l'an dernier. Le Canada en exporte beaucoup en Asie, où les aliments représentent la source principale d'inflation.

Les exportateurs

On entend beaucoup les doléances de certains exportateurs qui décrient la force de notre monnaie.

Vrai, la restructuration nécessaire du secteur manufacturier a entraîné la suppression de plus de 300 000 emplois en cinq ans.

Vrai encore, la saignée n'est pas terminée.

Quand le huard s'échangeait contre moins de 80 cents américains, les exportateurs avaient la vie facile. Même les entreprises américaines déménageaient une partie de leur production chez nous pour tirer partie du taux de change.

Les entrepreneurs canadiens n'investissaient pas en machinerie, qui coûtait trop cher puisqu'elle est en grande partie importée. Ils prenaient des retards de productivité sur leurs concurrents occidentaux qui rationalisaient un peu partout.

Leur nécessaire réorganisation était pelletée dans l'avenir, un peu comme le faisaient les gouvernements en accumulant des déficits, parfois même pour payer l'épicerie. Bref, nous nous appauvrissions lentement mais sûrement.

Reste que la réorganisation actuelle fait d'autant plus mal que le gros de nos livraisons à l'étranger prend le chemin des États-Unis, où le pouvoir d'achat des consommateurs s'effrite.

Nos exportations stagnent donc, mais la restructuration manufacturière bat son plein.

Par bonheur, elle se fait dans un contexte d'expansion économique. Depuis 2002, l'effectif des travailleurs québécois en usine a fondu de 22% et pourtant le taux de chômage n'a jamais été aussi faible.

À ceux qui seraient tentés par la fixation du taux de change avec le billet vert, Stéfane Marion fait remarquer que ce n'est pas une solution pour éviter les suppressions d'emploi.

«Depuis 2002, les fabricants américains ont dû éliminer un million d'emplois, même si le billet vert s'affaiblissait contre la plupart des monnaies. La concurrence est désormais mondiale et c'est dans ce contexte que doit être repensé le mode de production.»

Heureusement, les entreprises s'adaptent. Elles se rééquipent à bon prix. Le huard tonifié a fait baisser de 19% le prix de la machinerie importée depuis cinq ans.

Les avantages

Au bout du compte, il n'y a jamais eu tant de Canadiens au travail que cette année. Ils consomment et stimulent l'économie. Les gouvernements font leur part en bouclant des budgets sans déficit et, dans plusieurs cas, en dégageant des surplus qui permettent d'alléger le fardeau fiscal.

Tout cela ravigotera à nouveau la consommation et compensera, en partie du moins, le ralentissement en cours chez nos clients du sud.

Les fondements de la force du huard depuis 2003 font en sorte que les prix de ce que nous exportons ont augmenté alors que ce que nous importons coûte moins cher. C'est ce que les économistes appellent dans leur jargon l'amélioration des termes de l'échange.

Les Américains vivent la situation inverse. Leur dollar leur permet d'acheter moins.

Cela se reflète très bien dans la progression de l'inflation. Le mois dernier, l'indice des prix à la consommation (IPC) a progressé de 2,5% en rythme annuel au Canada, mais de 4,3% aux États-Unis.

«Les prix des aliments et de l'énergie ont augmenté de 4,7% et 21% aux États-Unis, mais de 2,5% et 10% seulement au Canada», note M. Marion.

Le Canada est une économie très ouverte. «La valeur de ses importations équivaut à environ 45% de son produit intérieur brut, rappelle Karen Cordes, économiste à Scotia Capitaux. Cela touche beaucoup d'industries.»

Pareille situation donne beaucoup plus de marge de manoeuvre à la Banque du Canada qu'à la Réserve fédérale pour relancer l'économie, si la crise des marchés monétaires faisait tache d'huile sur l'économie réelle.