Un jet de l'entreprise utilisé à des fins personnelles. L'argent des actionnaires qui sert à embellir les résidences de dirigeants. Une entreprise qui change les règles du jeu en plein milieu d'exercice financier... ce qui tourne comme par hasard à l'avantage des patrons.

Un jet de l'entreprise utilisé à des fins personnelles. L'argent des actionnaires qui sert à embellir les résidences de dirigeants. Une entreprise qui change les règles du jeu en plein milieu d'exercice financier... ce qui tourne comme par hasard à l'avantage des patrons.

Si éplucher les circulaires de direction est un exercice fastidieux, il arrive qu'on y fasse des découvertes intéressantes. Des cas qui passent inaperçus aux yeux de la plupart des actionnaires et au sujet desquels on s'interroge: faut-il se scandaliser?

Voici quelques perles dégotées par La Presse Affaires. Chacune est commentée par Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques.

Cas nº 1

Le parterre des Lemaire


La déclaration des membres de la haute direction de Cascades contient une catégorie intitulée «autre rémunération». On y retrouve des sommes de 64 332$ pour Alain Lemaire, président et chef de la direction, et de 77 132$ pour Laurent Lemaire, vice-président exécutif du conseil d'administration.

Une note nous apprend que cette rémunération «comprend des services d'entretien d'aménagement paysager des propriétés privées d'Alain et Laurent Lemaire».

Comment justifier de telles dépenses? Cascades indique qu'elles sont effectuées «pour le bénéfice de la communauté et de la ville de Kingsey Falls», où se trouve le siège social de l'entreprise.

Hubert Bolduc, vice-président, communications et affaires publiques, précise que les sommes servent entre autres à décorer les résidences des frères Lemaire pour l'Halloween, Noël et Pâques.

«Il faut avoir vu Kingsey Falls pour comprendre l'ampleur des décorations, qui est assez extraordinaire», dit-il.

Et ce sont les actionnaires qui paient pour ça? «Au même titre que les aménagements paysagers reliés aux usines. Effectivement», répond M. Bolduc.

Verdict de Michel Nadeau

«Bof. Ne faisons pas de cas avec ça. Le fait qu'ils le déclarent est déjà très bien. La forme n'est pas importante, c'est le montant qui compte, et ici on parle probablement de pinottes. Le point n'est pas là: si Alain Lemaire ne fait pas une bonne job, qu'on le congédie ou qu'on coupe son bonus de moitié. Ne nous arrêtons pas à des détails comme ça.»

Cas nº 2

Le jet de M. Harrison

La circulaire de direction du CN indique que le président Hunter Harrison a fait une utilisation personnelle de l'avion de l'entreprise pour une somme évaluée à 762 933$.

«La compagnie a pour politique que le PDG utilise l'avion de la compagnie tant pour ses besoins personnels que pour ses besoins d'affaires», indique l'entreprise.

Verdict de Michel Nadeau

«Il faut comprendre que M. Harrison fait le gros de ses affaires aux États-Unis. Oui, les montants semblent élevés, mais un jet privé, ça coûte cher. Et comme actionnaire, j'aime peut-être autant qu'il prenne un jet qu'il aille faire la queue à la porte 12 d'Air Canada.»

Cas nº 3

Quand les règles du jeu changent

Comme plusieurs entreprises, la forestière Abitibi-Consolidated avait mis en place un système de rémunération basé sur le rendement. Le principe: si les dirigeants parviennent à faire performer avantageusement leur entreprise par rapport à d'autres du même secteur, ils obtiennent des unités d'actions. Sinon, ils n'en touchent pas.

Or, en novembre 2007, volte-face. L'entreprise décide de laisser tomber les critères de rendement d'un régime de rémunération et permet aux dirigeants de toucher les unités peu importe leur performance.

Raison invoquée pour changer les règles du jeu: l'entreprise Bowater faisait partie des concurrents utilisés pour comparer le rendement d'Abitibi. Or, Bowater a fusionné avec Abitibi. Conclusion: les critères deviennent impossibles à calculer.

Verdict de Michel Nadeau

M. Nadeau rappelle d'abord la performance «désastreuse» d'AbitibiBowater au cours de la période où s'est effectué le changement.

Au cours du dernier exercice financier, l'action de l'entreprise s'est déprécié de 57% pendant que l'ensemble des entreprises du secteur de la forêt grimpait de 3%. Et avec une note d'une demi-étoile pour la performance, AbitibiBowater présente le pire bilan de notre palmarès.

«Ça devient presque un prix de présence! dit M. Nadeau au sujet de la rémunération. Pour nous, la comparaison avec les pairs est très importante. L'industrie des pâtes et papiers connaît des problèmes, mais il faut au moins se comparer avec ceux qui vivent le même cycle. Carrément éliminer les critères ne me semble pas correct.»

Quant à l'argument voulant que ce soit la disparition de Bowater qui ait forcé l'entreprise à abolir les critères de rendement, M. Nadeau n'y croit pas. «Il reste quand même d'autres papetières en Amérique du Nord! Le comité de rémunération doit mettre sur la table des indicateurs de performance crédibles et raisonnables. Et dans le cas d'Abitibi, je ne les vois pas.»

Un grand ménage en vue pour les PDG

Un chiffre. Un seul. Ça pourrait bien devenir la façon obligatoire de déclarer sa paie dès l'an prochain pour les dirigeants d'entreprises cotées en Bourse.

L'Autorité des marchés financiers (AMF) et les instances similaires des autres provinces sont en effet sur le point d'accoucher d'un projet de loi visant à faire le grand ménage dans les circulaires de direction.

Au menu: un tableau synthèse résumant les différents éléments de rémunération, des explications plus détaillées, et un chiffre final calculé de la même façon pour tout le monde.

«Le but est de permettre aux investisseurs d'avoir toutes les informations pour prendre leurs décisions d'investissement», explique Lucie Roy, avocate au service de la réglementation à l'AMF.

Obligatoire aux États-Unis

L'initiative est basée sur ce qui s'est fait aux États-Unis, où le dévoilement d'un chiffre est déjà obligatoire. Chez nous, le nouveau règlement devrait entrer en vigueur le 31 décembre prochain.

Entre-temps, l'information fournie aux actionnaires leur permet-elle de prendre des décisions éclairées?

«Pas du tout», tranche Mme Roy.