Au coeur d'un stratagème pour flouer les investisseurs mais aussi de tromper l'AMF et le public, Vincent Lacroix est déclaré coupable d'avoir violé 51 fois la loi sur les valeurs mobilières.

Au coeur d'un stratagème pour flouer les investisseurs mais aussi de tromper l'AMF et le public, Vincent Lacroix est déclaré coupable d'avoir violé 51 fois la loi sur les valeurs mobilières.

C'est ce jugement qui est tombé comme une tonne de briques sur la tête de Vincent Lacroix en Cour du Québec mardi, quand le juge Claude Leblond s'est collé à la lourde preuve de l'Autorité des marchés financiers.

Accusé d'avoir pigé 115 M$ dans l'épargne des investisseurs à l'aide de 137 retraits, M. Lacroix a été reconnu coupable pour chaque chef, sans exception.

Avoir pris l'argent pour l'envoyer vers des comptes bancaires de Norbourg ? Coupable. Avoir faussé des déclarations financières auprès de l'AMF ? Coupable. Avoir menti aux investisseurs sur la valeur de leurs fonds ? Coupable.

Dans un jugement de 67 pages, le magistrat a longuement cité la preuve, la plaidoirie écrite et les tableaux déposés par l'AMF lors de 49 jours de procès afin d'exprimer son accord avec la crédibilité des documents.

Il a estimé que Vincent Lacroix était parfaitement responsable de tout ce dont il était accusé..

De plus, le juge Leblond a maintes fois répété que le PDG déchu avait eu l'occasion de soulever des doutes sur la preuve ou de réfuter les accusations, sans succès.

«Il n'a fait valoir aucun élément ni aucune observation à cet effet si ce n'est de dire que la preuve permettait la conclusion recherchée par la poursuite», a dit le juge d'une voix rauque qui a dû être amplifiée par des haut-parleurs.

«Il en va de même concernant la crédibilité des différents témoins entendus sauf certains pour lesquels il a attiré l'attention sur des problèmes de mémoire», poursuit Claude Leblond dans son jugement.

«Le défendeur ne peut identifier la question en litige dans la présente affaire, dit-il. La question est la suivante: la poursuite a-t-elle fait la preuve hors de toute doute raisonnable des éléments essentiels des différentes infractions ?»

Manifestement, il a répondu oui. Il s'est montré convaincu que les fonds des investisseurs ont servi à financer des acquisitions, l'achat de maisons et à servir les intérêts personnels de M. Lacroix.

Réagissant au jugement lors d'un point de presse au palais de justice de Montréal, le procureur de l'AMF, Eric Downs, s'est dit «satisfait». Il a précisé qu'il allait demander une sentence «exemplaire» contre Vincent Lacroix.

Rappelons qu'au début du procès, l'AMF a annoncé qu'elle demanderait 5 ans moins un jour de prison et des amendes allant jusqu'à 5 M$ pour chacun des chefs d'accusation.

Tant sur l'heure du midi que vers 15h, Vincent Lacroix était escorté par les constables du palais de justice et suivi par une meute de journalistes. Il a refusé de commenter le verdict de culpabilité malgré les questions insistantes.

LE JUGEMENT EN BREF

Voici une série de points qui ont attiré l'attention lors du jugement prononcé par Claude Leblond.

Le «trou» de 20 M$ dans les fonds Évolution:

«Le défendeur a longuement cherché ce trou de 20 millions [lors du contre-interrogatoire du juricomptable François Filion] concernant le transfert des actifs du Trust Banque Nationale à Northern Trust entre mars et septembre 2004. Ce contre-interrogatoire n'a pas révélé ce fameux trou. La poursuite a par la suite fait témoigner [la juricomptable] Guylaine Leclerc pour réfuter cette allégation en dépit de ce fait.»

Le stratagème de détournement:

«L'analyse des sept comptes de banque où l'argent des 137 retraits est allé en premier permet de faire le suivi de l'argent vers 19 autre comptes de banque. S'en est suivi un nombre important de déplacements d'argent inter comptes. Tous ces comptes appartiennent à Vincent Lacroix ou à des sociétés du Groupe Norbourg, lesquelles étaient contrôlées par Vincent Lacroix.»

La provenance de l'argent:

«Nous devons conclure que les activités financières de Norbourg et de Vincent Lacroix pour les années 2000 à 2005 ont été rendues possibles grâce à l'argent puisé dans les fonds d'investissement, à savoir l'argent des investisseurs.»

Le contrôle de Vincent Lacroix:

«Il n'y avait que Vincent Lacroix qui était autorisé à faire seul des sorties d'argent de ces sept comptes [...] On constate donc que Vincent Lacroix était intimement lié à la sortie des 115 M$ provenant de l'argent des investisseurs chez Northern Trust et envoyés dans les autres comptes bancaires analysés.»

Les faux honoraires de gestion privée:

«Il s'agissait là d'un stratagème pour expliquer les entrées d'argent des retraits irréguliers.»

Le rôle de Vincent Lacroix, selon les témoins, les documents et son pouvoir:

«La poursuite a raison de dire que les documents établissent que Vincent Lacroix se situe au sommet de la pyramide hiérarchique des sociétés du Groupe Norbourg.»

«Tous [les éléments de preuve] permettent de conclure hors de tout doute raisonnable que Vincent Lacroix a été impliqué au plus haut niveau dans les retraits irréguliers et le stratagème mis en place pour les camoufler. Même s'il n'est pas le seul à avoir participé au stratagème, il en contrôlait, en toute connaissance de cause, les éléments déterminants.»

La transmission de documents falsifiés:

«Au moment où ces documents sont transmis, les retraits irréguliers ont commencé et dans plusieurs des fonds mentionnés, des dizaines de millions de dollars ont déjà été retirés.»

«De plus, nous avons déjà mentionné que la preuve établissait que de fausses résolutions du conseil d'administration du gérant de fonds avaient été faites pour approuver les états financiers, la notice annuelle et le rapport annuel et en approuver le dépôt auprès des autorités. Il y a alors lieu de déduire que ces résolutions faisaient partie du camouflage.»

«Nous avons aussi vu que des états financiers falsifiés avaient été transmis, avec à tout le moins une lettre de transmission signée par le défendeur à l'AMF suite aux demandes de celle-ci. Il s'agit certainement d'informations de nature à induire en erreur sur un fait qui est susceptible d'affecter la décision d'un investisseur raisonnable.»

«Vincent Lacroix est si intimement lié à l'ensemble du stratagème que la seule conclusion logique est qu'il a aidé par acte ou omission Norbourg Gestion d'actifs, pour la famille des Fonds Norbourg et Fonds Évolution Inc, pour la famille des Fonds Évolution, à transmettre les documents faux ou trompeurs.»

Représentations sur sentence

Mercredi matin, les représentations sur sentence s'amorceront. Eric Downs, procureur de l'AMF, a l'intention de présenter des témoignages d'investisseurs pour démontrer l'impact de ce que Vincent Lacroix a fait.

L'avocat veut aussi présenter une étude sur les conséquences sociales des infractions à la loi sur les valeurs mobilières et des enregistrements vidéo sur la question.

Cela servira à démontrer les circonstances aggravantes qui entourent le scandale Norbourg.

Déjà, un peu après 8h, un homme s'est présenté devant Vincent Lacroix pour lui rappeler ce qui s'est produit dans sa famille.

Le grand-père de deux orphelines, Jean-Guy Houle, lui a remis une lettre et des coordonnées pour souligner que ses petites-filles, Daphney et Abygail, avaient respectivement 8 ans et 16 mois lorsqu'un accident a coûté la vie à leurs parents en janvier 2003.

Un peu moins de 100 000 $ leur appartenant avait été placé chez Norbourg.