Michel Dellazizzo est un hyperactif. Cheveux au peroxyde, yeux perçants et complet-cravate, il est constamment en recherche, répond au téléphone et bouge sans cesse dans son magasin et atelier Fourrures par Harris, rue Maisonneuve à Montréal.

Michel Dellazizzo est un hyperactif. Cheveux au peroxyde, yeux perçants et complet-cravate, il est constamment en recherche, répond au téléphone et bouge sans cesse dans son magasin et atelier Fourrures par Harris, rue Maisonneuve à Montréal.

En fait, ce n'est pas seulement Michel qui bouge, mais aussi son univers. Celui de la fourrure. Les occasions se présentent, pas question de les laisser passer.

Il y a quelques jours, il participait à une des foires les plus importantes de l'année à Hong-Kong. Là-bas, il a signé de lucratifs contrats en vue de vendre toujours plus de manteaux de vison. D'autant plus que les affaires vont moins bien depuis quelques années.

«Ici, nos revenus ont diminué d'environ 50%», se désole le principal intéressé.

Les causes sont multiples. Tout comme le secteur manufacturier, la force du dollar canadien fait mal. La possible récession américaine n'aide pas non plus. Additionnez à cela les campagnes anti-fourrures et vous avez le portrait.

Mais l'industrie de la fourrure doit aussi vivre au gré des modes. Bien loin est l'époque où les femmes voulaient un manteau de vison pour sortir en ville. Où la fourrure était un moyen de se démarquer, montrer son rang social.

Alan Herscovici, véritable référence dans le domaine et directeur du Conseil canadien de la fourrure, le concède. Les moeurs ont changé.

«Les gens ne veulent plus un gros manteau de fourrure. On veut un truc moins formel qui s'inscrit dans un monde de vie actuel», dit-il.

Pourtant, chez Fourrures par Harris, les manteaux traditionnels sont en évidence et ceinturent le magasin comme un vestige d'une autre époque. Même si les revenus sont à la baisse, Michel Dellazizzo persiste et signe. Il y a toujours un marché pour ce type de vêtements, mais ce n'est vraisemblablement pas au Canada.

La Chine, nouvel eldorado

Car les chiffres parlent. Chez Fourrures par Harris, environ 80% de tous manteaux sont vendus à l'extérieur. Aux États-Unis, mais aussi en Chine qui est un marché extrêmement important. Plus qu'un client, la Chine met également la main à la pâte. Et c'est dans les manufactures de Pékin ou de Shanghai que la majorité des manteaux du magasin sont fabriqués.

«On fait tout le vison en Chine. Ils sont même devenus meilleurs que nous dans la fabrication. Ils font vraiment du bon travail», assure Michel Dellazizzo.

Pour Fourrures par Harris, cela signifie d'importantes économies.

«Si je fabrique le manteau en totalité ici, cela me coûte 1000 $ de plus», soutient-il.

D'autres comme Fourrures Zuki, situé dans la même bâtisse que Fourrures par Harris, refuse de faire affaire avec les manufactures chinoises pour confectionner les vêtements de fourrure. Tout est fait ici, à Montréal.

«En Chine, les travailleurs sont là plusieurs heures par jour. Ils dorment là, ils mangent là, ce n'est pas humain, c'est robotisé», affirme le designer Zuki qui fait équipe avec sa femme Betty depuis plusieurs années.

Celle-ci acquiesce.

«On ne pourrait pas faire ça car nous voulons également avoir un contrôle sur chacune des étapes de confection», assure-t-elle.

Dans leur atelier, le plus important en Amérique du Nord, les Nations Unies sont réunis. Il y a des Québécois tricotés serrés, des Asiatiques, des Européens, le tout en harmonie. Dans le bureau, un laminé d'un article par le New York Times consacré à Zuki. Sur la photo, le designer est couché sur un canapé recouvert de fourrures multicolores.

«Mon fils me dit que j'ai l'air d'une star de la porno», rigole Zuki.

Très détendus, les époux doivent toutefois eux aussi faire face à une baisse de régime. En grande partie à cause de la force du dollar canadien. Aussi, les marchés sont volatils et il faut se démarquer à l'international. Pas moins de 95% des vêtements de Zuki s'en va à l'exportation. La concurrence mondiale est féroce, les fourreurs canadiens ne sont plus seuls à faire affaire dans ce commerce.

Une industrie qui revient

Toutefois, il y a une lumière pour l'industrie: l'effet de mode. Partout dans le monde, il y a un retour de la fourrure. Les rappeurs et les mannequins en portent. On en met partout, sur les cols, sur les bottes ou les capuchons. Et depuis 1992, les exportations sont en constante évolution.

Selon les chiffres d'Industrie Canada, la valeur totale des exportations de la fourrure canadienne était de 43 M$ en 1992. Ce chiffre atteint maintenant 450 M$.

Selon Alan Herscovici, l'industrie a fait ses devoirs et ses leçons.

«Les fourreurs ont enlevé les doublures, ont fait plusieurs changements techniques. Ils ont finalement décomplexé la fourrure», assure-t-il.

Au Conseil canadien de la fourrure, on a également fait la promotion de la fourrure, créé un branding (www.beautifullycanadian.com) et vendu la fourrure comme élément écologique.

C'est également l'argument de vente de Mariouche Gagné, présidente et fondatrice de Harricana.

Celle-ci s'est donnée comme mission de recycler les manteaux de fourrures qui traînent dans les garde-robes de cèdre. Grâce à sa personnalité – elle a conquis le public avec sa prestation à Tout le monde en parle – et à son talent, Mariouche Gagné est une référence en fourrure au Québec. Mais il a fallu travailler fort pour changer les mentalités face à la fourrure, un textile que certains trouvent encore démodé.

«L'industrie s'est modifiée et les entreprises qui n'ont pas su le faire connaissent en ce moment des difficultés», dit-elle.

Harricana est un véritable success story: les revenus de l'entreprise augmentent de 25 à 45 % à chaque année. Seulement la moitié des produits sont envoyés à l'exportation. C'est donc que Mariouche Gagné réussit à vendre aux Québecois.

«On a fait de la planification, on s'est vraiment cassé la tête pour toujours se renouveler», dit celle qui a fait sa maîtrise à Milan.

Mais pour une Mariouche Gagné, il y en a plusieurs d'autres qui peinent à trouver leur place sur le marché. Car un autre problème guette le secteur : le manque de relève. L'industrie fonctionne beaucoup par le transfert de connaissances. Et cet apprentissage risque fort et de se perdre comme tant de fourreurs qui ont mis la clé dans la porte de leur atelier, rue Saint-Alexandre.

Mais cela n'effraie pas Alan Herscovici.

«Si on réussit, la main-d'oeuvre va venir. Nous avons une réputation internationale, il faut jouer là-dessus», assure-t-il.

En attendant, Michel Dellazizzo garde aussi le moral. En bonne partie grâce à Dame Nature.

«L'année passé c'était difficile à cause de l'hiver plus clément. Mais là, il fait froid, donc on va avoir un bon boom», dit-il en hochant la tête.

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