Au début des années 90, le petit crocodile est devenu une espèce en voie de disparition en Amérique du Nord. Le climat - économique, s'entend - ne lui convenait plus.

Au début des années 90, le petit crocodile est devenu une espèce en voie de disparition en Amérique du Nord. Le climat - économique, s'entend - ne lui convenait plus.

Au point où Lacoste a retiré tous ses polos ornés d'un petit crocodile du continent nord-américain.

Philippe Lacoste, petit-fils du fondateur René Lacoste et directeur des relations externes de la société française, se rappelle cet échec cuisant.

Il l'impute d'ailleurs à la stratégie de mise en marché de la société Izod, qui distribuait les produits Lacoste en Amérique du Nord.

«La qualité de nos produits avait diminué et ils étaient vendus un peu partout, dit-il. Notre marque a été banalisée en Amérique du Nord dans les années 80. Ce fut une très belle façon de se casser la figure.»

Lacoste a profité des déboires de son petit crocodile pour racheter ses droits de distribution en Amérique du Nord, en 1992. Pendant trois ans, Lacoste se concentre exclusivement sur le marché européen.

Puis, en 1995, la société française décide de tenter à nouveau sa chance aux États-Unis. Cette fois, elle traverse l'océan Atlantique en compagnie de son distributeur européen, la société suisse Devanlay.

«Il fallait repositionner notre marque avec des produits et des boutiques de qualité», dit Philippe Lacoste.

En neuf ans, Lacoste passe d'une boutique en Floride à un empire générant des revenus annuels de 400 millionsUS aux États-Unis.

Ce n'est pas la folie des années 80 - le chiffre d'affaires atteignait 500 millionsUS, selon Philippe Lacoste - mais c'est une croissance fulgurante en considérant que le chiffre d'affaires avait chuté à moins de 50 millionsUS à la fin de l'association avec Izod.

Quel est le secret du succès de Lacoste en Amérique du Nord? La société française a appris de ses erreurs. Au lieu de se lancer tous azimuts dans le commerce au détail, elle a choisi de faire de l'oeil à une clientèle haut de gamme.

«Nous ne serons plus jamais chez Sears ou La Baie», dit Dominique Bouchard, chef de la direction de Lacoste Devanlay Canada.

«Nous avons ciblé des détaillants haut de gamme, comme Harry Rosen au Canada.»

En plus de cibler des magasins haut de gamme, Lacoste a ouvert des boutiques spécialisées dans les grands centres urbains. Un investissement qui lui permet de cultiver son image de marque.

«La stratégie, qui est la même partout dans le monde, est d'avoir un équilibre entre les ventes dans nos boutiques et les ventes chez les détaillants», dit Dominique Bouchard.

La société française a aussi rafraîchi ses collections en engageant le designer Christophe Lemaire, en 2000.

«Christophe a beaucoup contribué à nos succès, dit Philippe Lacoste. Même en Europe, notre marque éprouvait quelques problèmes. Certaines personnes disaient qu'elle était un peu trop classique. Notre marque commençait à perdre de sa modernité. Christophe a amené un regard neuf à la collection. Il a amené beaucoup de modernité au crocodile.»

Les nouvelles tendances mode ont donné un coup de pouce à l'inventeur du polo sport - le plus grand succès de Lacoste, même si les autres produits représentent désormais 40% du chiffre d'affaires.

«Avant, le sport et la mode étaient deux notions différentes, dit Philippe Lacoste. Depuis 15 ans, les deux se mélangent beaucoup plus. Vous pouvez porter des espadrilles avec un costume. C'était inimaginable il n'y a pas si longtemps.»

Une expansion qui tire à sa fin au Canada

Lacoste a amorcé son retour au Canada en inaugurant une boutique chez Ogilvy rue Sherbrooke, en 1999.

Le petit crocodile, qui compte aujourd'hui 12 boutiques au pays, n'a pas tardé à connaître du succès auprès des consommateurs canadiens.

Entre 2001 et 2007, le chiffre d'affaires de Lacoste Devanlay Canada est passé de 3,2 à 28,7 millions de dollars. Il s'agit d'une hausse de 798% en six ans.

Au cours de la dernière année, la croissance a été plus modeste (+6,04%). Heureusement, s'exclament les dirigeants de Lacoste au Canada.

«Dieu merci, nous n'avons pas doublé nos ventes depuis un an comme ce fut parfois le cas au cours des dernières années», dit Dominique Bouchard, qui n'aurait pas pu continuer au même rythme fou.

Lacoste compte trois boutiques au Québec, situées aux Ailes de la mode à Montréal, au Carrefour Laval et à Place Sainte-Foy dans la Vieille Capitale. La société n'a pas de projets d'expansion en vue au Québec.

Plutôt un déménagement: elle cherche actuellement un nouveau local rue Sainte-Catherine pour sa boutique des Ailes de la mode - un «emplacement plutôt nul», dit Dominique Bouchard en toute franchise.

Lacoste compte inaugurer deux autres boutiques à Calgary et Ottawa d'ici 2010. Après, finie l'expansion canadienne. Lacoste ne voudra plus de nouveaux clients.

«Nous allons être chanceux si nous parvenons à nous maintenir, dit Dominique Bouchard. C'est dangereux de vouloir saturer le marché. La plupart des marques tombent après 10 ans. Nous, nous allons essayer de nous maintenir. Nous pensons atteindre un équilibre avec 14 boutiques et entre 250 et 300 points de vente dans les magasins de commerce au détail.»

Et cette fois, la société Lacoste jure qu'elle veillera sur son petit crocodile, à qui elle promet une longue vie en Amérique du Nord.

Le Crocodile de Boston

Les récents succès de Lacoste en Amérique du Nord ne sont pas si surprenants. Après tout, le petit crocodile n'a-t-il pas été inventé à Boston?

Avant de fonder la société qui porte son nom, René Lacoste était l'un des meilleurs joueurs de tennis de son époque. Celui qui était l'un des quatre mousquetaires du tennis français a gagné sept tournois du Grand Chelem dans les années 20. Il a été numéro un au monde en 1926 et 1927.

Sur les courts, René Lacoste a hérité du surnom du Crocodile à la suite d'un pari avec son capitaine en Coupe Davis. Lors d'une visite aux États-Unis, Lacoste avait vu une valise en crocodile dans une boutique de Boston. Voulant motiver sa vedette, le capitaine de l'équipe française promit de lui acheter la valise s'il gagnait son prochain match.

Lacoste perdit le match - et la valise -, mais les médias américains eurent vent de l'histoire et le surnom le suivit pour le reste de sa carrière...

Atteint de la tuberculose, René Lacoste prend subitement sa retraite du tennis en 1929. Après avoir vaincu la maladie, le Crocodile se lance en affaires. Son produit: le polo, qu'il a inventé au cours de sa carrière tennistique. Il fonde Lacoste en France en 1933.

En 1951, il exporte ses premiers polos en Italie. L'année suivante, il se lance à l'assaut des États-Unis.

«Il avait demandé à un ami de déposer la marque aux États-Unis et cet ami l'a finalement déposée pour lui-même, dit Philippe Lacoste. Après plusieurs bagarres juridiques, mon grand-père et la société Izod se sont partagé moitié-moitié la propriété de Lacoste aux États-Unis.»

Pendant que René Lacoste a le nez dans ses affaires, sa fille Catherine se distingue elle aussi sur la scène sportive. Elle deviendra une championne de golf, remportant notamment le US Open en 1967.

Près de 75 ans après sa fondation, la société Lacoste est toujours aussi fière de ses racines sportives. «Nous sommes la marque de l'élégance décontractée, qui représente bien l'esprit du tennis des années 1930», dit Philippe Lacoste.

Encore aujourd'hui, Lacoste commandite plusieurs des meilleurs joueurs de tennis au monde, dont l'Américain Andy Roddick (5e au monde) et les Français Richard Gasquet (12e) et Tatiana Golovin (18e). La Québécoise Marie-Ève Pelletier (155e) est aussi commanditée par Lacoste.

Au golf, l'équipe Lacoste comprend notamment l'Espagnol José-Maria Olazabal (58e) et le Français Jean Van de Velde.

Des amis à Hollywood

Afin de reconquérir les États-Unis, Lacoste s'est fait un allié aussi précieux qu'inattendu: Hollywood.

Depuis quelques années, la société française habille quelques-unes des plus grandes vedettes d'Hollywood. Au nombre des stars qui ont porté du Lacoste au grand écran: Will Smith dans la comédie romantique Hitch et Gwyneth Paltrow dans la comédie The Royal Tenenbaums.

Dans son prochain film, The Curious Case of Benjamin Button, Brad Pitt sera vêtu d'un polo Lacoste.

«Lacoste est reconnue comme l'une des meilleures marques à Hollywood. Ses vêtements sont à la fois sportifs et relax. Ils projettent une image preppy chic», dit Kate Neumann, porte-parole de Propaganda, l'agence chargée de distribuer la marque Lacoste dans le milieu artistique américain.

La stratégie n'est pas compliquée. Mais elle fonctionne, croit Dominique Bouchard, chef de la direction de Lacoste Devanlay Canada.

«Dans Hitch, Will Smith porte un polo vert dans une longue scène, dit-elle. Après la sortie du film, nous n'avions plus de polos verts.»

La stratégie est d'autant plus efficace que les sociétés de vêtements comme Lacoste ne paient pas un sou afin d'afficher leurs produits à l'écran.

«Ça nous coûte seulement le prix du polo, dit Mme Bouchard. Nous faisons des cadeaux aux acteurs, mais nous n'avons pas à les payer. Par contre, il faut être très branché à Hollywood pour que ça fonctionne.»

Lacoste se ne contente pas des vedettes du cinéma. Le petit crocodile a été vu à la télévision dans The OC et Entourage, en plus de participer régulièrement aux émissions des chaînes E! Network et Current TV (la chaîne de l'ancien vice-président Al Gore).

La société française place aussi ses produits dans des vidéoclips, des jeux vidéo et... des magazines à potins. Comme Lacoste fournit des vêtements à plusieurs vedettes pour leur usage personnel, le petit crocodile se retrouve parfois dans l'objectif des paparazzis.

C'est ainsi que le polo blanc de Cruz Beckham, le fils de 5 ans du joueur de soccer David Beckham, s'est retrouvé dans les pages de tous les magazines à potins la semaine dernière...