Dans l'ouvrage publié sous sa codirection, L'Usage de l'argent dans le couple: pratiques et perceptions des comptes amoureux, Hélène Belleau, professeure à INRS-Urbanisation, Culture et Société, a dressé le portrait des quatre modes de gestion des couples québécois.

Dans l'ouvrage publié sous sa codirection, L'Usage de l'argent dans le couple: pratiques et perceptions des comptes amoureux, Hélène Belleau, professeure à INRS-Urbanisation, Culture et Société, a dressé le portrait des quatre modes de gestion des couples québécois.

Vous utilisez nécessairement l'un deux.

1. Partage des dépenses moitié-moitié avec réserves séparées

Dans ce mode de fonctionnement, toutes les dépenses communes - logement, alimentation, frais pour les enfants, etc. - sont séparées moitié-moitié. S'il y a un surplus, chacun conserve son propre excédent pour ses besoins personnels.

C'était le cas de 12 des 38 couples qui ont fait l'objet de l'enquête de Mme Belleau, dont quatre couples où l'homme gagnait près de deux fois plus que sa conjointe.

En raison des responsabilités égales face aux dépenses, ces femmes ont donc nettement moins d'argent discrétionnaire. Bien qu'elles se trouvent nettement désavantagées durant le congé de maternité, elles ont toutes insisté sur l'importance de leur indépendance financière. L'une d'entre elles s'est même endettée auprès de son conjoint pour la part des dépenses qu'elle était incapable d'assumer durant son congé. «En somme, résume Hélène Belleau, certaines femmes préfèrent payer davantage et réduire leurs dépenses plutôt que de se sentir économiquement dépendantes de leur conjoint.»

Ces couples dérogeront souvent à cet arrangement au moment du premier congé de maternité. «C'est une décision qu'on a prise ensemble, il va falloir qu'on l'assume ensemble, a confié Émilie, dans le cadre de cette étude. Donc moi, il faut que je lâche prise un peu sur mon indépendance financière, et lui de son bord, il faut qu'il accepte aussi de payer pour toute la famille, maintenant.»

2. Partage des dépenses au prorata des revenus avec réserves séparées

Ce mode de fonctionnement veut corriger les inégalités en instaurant un partage des dépenses communes en proportion des revenus.

«Ce que les gens ne réalisent habituellement pas, commente Mme Belleau, c'est que si on a de gros écarts de revenus, ce qui reste dans le compte de chacun demeure inégal.»

C'était le cas de cinq des six couples qui ont choisi ce type de partage.

En outre, souligne Hélène Belleau, la catégorie des dépenses personnelles, donc payées à même les excédents de chacun, peut s'étendre à certains frais qui en principe relevaient du partage. Ce sera par exemple le cas lorsqu'un désaccord persiste sur certains vêtements pour enfants, sur les frais pour une école privée...

Les études internationales le démontrent: les femmes, parce qu'elles gagnent généralement un revenu inférieur, ont alors une moins grande marge de manoeuvre pour planifier leur retraite. «C'est à long terme que ça a des implications», déplore Hélène Belleau.

3. La mise en commun des avoirs incluant le partage explicite des réserves

Certains couples, enfin, vont plus loin sur la route de la mise en commun, en redistribuant également les excédents budgétaires. Malgré la différence entre les revenus, chaque conjoint dispose ainsi des mêmes sommes pour ses dépenses personnelles.

Dans l'étude de Mme Belleau, 13 couples sur 38 avaient adopté cette stratégie. «C'est l'égalité au niveau du partage des dépenses mais aussi de l'accès à l'argent et du niveau de vie dans le couple, à long terme.» Sans toutefois qu'on oublie d'où vient l'argent.

Maryse, qui gagne un revenu supérieur à son conjoint, s'est confiée à la chercheuse: «Je ne voulais pas qu'on mette tout notre argent dans le même compte et qu'on en arrive à surveiller ce qu'on veut s'offrir comme plaisirs. (...) C'est pour ça qu'on a toujours une part des revenus (déposés dans le compte conjoint) qui retournait dans nos comptes personnels.»

Hélène Belleau souligne que ce modèle est celui qui correspond le mieux au modèle de revenu familial utilisé couramment pour le calcul des programmes sociaux, mesures fiscales, etc. «Or, indique-t-elle, on constate que ce modèle est loin d'être majoritaire et qu'il est le fait surtout des ménages où la conjointe gagne plus que son conjoint.»

4. Mise en commun des avoirs excluant les réserves

À l'inverse, certains couples mettent en commun les revenus pour assumer les dépenses familiales. Sur les sept couples qui avaient choisi ce type de gestion, cinq femmes gagnaient davantage que leur conjoint.

«L'avantage, c'est que si un conjoint subit une baisse de revenus, celle-ci est compensée parce qu'on fonctionne comme une unité économique», observe Hélène Belleau.

Interviewée par la chercheuse, une femme qui touchait un revenu inférieur à son mari a exprimé les implications de ce choix: «Mais c'est certain que quand tu fais ça, tout mettre en commun, il faut que tu parles. Ça te force à te parler. À communiquer, dire «je voudrais m'acheter telle affaire». Sans demander la permission. Juste par décence ou transparence.»

Cet idéal de solidarité, Hélène Belleau en a testé les limites en demandant à cette femme ce qu'il adviendrait si son conjoint faisait d'importantes dépenses personnelles. «C'est certain que dans mon cas, étant donné d'où l'argent vient, bien, je ne pourrais pas vraiment dire quelque chose (...) dans le sens où je fais pas mal moins», a-t-elle répondu.

«On n'oublie pas d'où vient l'argent, constate Hélène Belleau. La personne qui gagne moins, que ce soit l'homme ou la femme, sera dans le couple celle qui dit avoir moins de besoins personnels. Et inversement, celle qui gagne plus va se dire plus dépensière.»

COMPARAISONS INTERNATIONALES

Les chercheurs ont divisé les couples à double revenu en trois grandes catégories.

Couples néotraditionnels. Dans ces couples, la contribution financière de la femme est secondaire. Sa carrière cède le pas à celle de son mari et aux responsabilités familiales.

C'est le modèle le plus courant en Suisse. Dans sept familles sur dix avec un enfant de moins de 7 ans, la femme n'a pas d'emploi ou l'occupe à moins de 50%.

Dépendance mutuelle. Dans le second modèle, la dépendance économique est mutuelle. Les deux revenus contribuent substantiellement au bien-être de la famille. Ce partage est plus répandu au Québec, au Canada anglais, aux États-Unis et en France.

Priorité à la femme. Dans le dernier modèle, la femme amène la contribution financière la plus importante. Ainsi, dans près du quart des familles québécoises, les femmes touchent un revenu supérieur à celui de leur conjoint. En Suisse, cette proportion n'est que de 4%.