Difficile de dire qui, d'André H. Gagnon ou de Rona (T.RON), a le plus influencé l'autre. Commis de quincaillerie à 15 ans, l'homme a quitté la présidence du conseil d'administration de l'entreprise mardi dernier.

Difficile de dire qui, d'André H. Gagnon ou de Rona [[|ticker sym='T.RON'|]], a le plus influencé l'autre. Commis de quincaillerie à 15 ans, l'homme a quitté la présidence du conseil d'administration de l'entreprise mardi dernier.

La retraite? C'est bien mal le connaître. C'est derrière les caisses de son commerce, auprès de ses clients, qu'il veut terminer sa carrière.

Chaque matin, depuis 45 ans, André H. Gagnon accomplit les mêmes gestes. Après un réveil matinal, il prend sa douche. Embrasse sa femme. Puis pique son épinglette Rona au revers de son veston.

«Je suis un homme méthodique», explique-t-il. Mercredi dernier, il aurait eu bien des raisons de mettre un peu de souplesse dans ce rituel. La veille, il avait profité de l'assemblée annuelle de Rona pour tirer sa révérence en tant que président du conseil d'administration.

Sa famille et son entreprise l'ont fêté jusqu'aux petites heures du matin. Et il se réveillait pour la première fois de sa vie avec 69 ans bien sonnés.

Qu'à cela ne tienne. Le 9 mai 2007, comme tous les matins, André H. Gagnon était debout avant 6h00. Et c'est en pleine forme, épinglette Rona au veston, qu'il a accueilli La Presse Affaires dans une suite d'hôtel jonchée de cadeaux de départ.

«Ce n'est jamais le corps qui a mené. Si j'ai du plaisir le soir, ça ne m'empêche pas de travailler le lendemain», lance avec énergie cet homme que ni la tuberculose, ni le cancer – et encore moins l'arrivée de Home Depot au Québec – n'ont réussi à mettre au plancher.

Disons-le comme ça vient: André H. Gagnon n'est pas tuable. Il dit être debout 18 heures par jour, travailler six jours et demi par semaine. Et s'il compte maintenant profiter de sa «semi-retraite» pour voyager et passer du temps avec sa famille, il demeure président de trois commerces Rona et vice-président d'un quatrième. Et il veut continuer à s'y investir à raison de 50 heures par semaine.

«J'ai décidé de finir ma carrière comme je l'avais commencé: en servant mes clients, dit-il avec satisfaction. Le dimanche matin, je vais être derrière mes caisses. Et je vais donner 200, 250, 300 poignées de main.»

De commis à président

Il vous le dira d'emblée, mais c'est inutile tellement c'est évident: le métier de quincaillier, M. Gagnon l'a dans la peau. Il fait partie de cette génération de dirigeants qui n'ont pas appris à gérer une entreprise sur les bancs des HEC, mais en prenant des décisions directement sur le terrain.

André H. Gagnon a 15 ans lorsqu'il quitte l'école pour devenir commis dans la quincaillerie familiale que tient son père rue Sylva-Clapin, à Saint-Hyacinthe. Il s'y découvre instantanément une passion et un talent pour les affaires.

«À 18 ans, mon choix de vie était fait. Je voulais faire carrière dans le commerce de détail.» Son idole est l'épicier Sam Steinberg; sa passion, les statistiques de ventes des commerçants. Il échafaude déjà des plans expansion pour la petite quincaillerie familiale.

Les réseaux de distribution, les coopératives d'acheteurs: tout l'intéresse. Il a 24 ans lorsqu'il convainc son père de joindre le groupe de détaillants qui deviendra le groupe Rona. «J'avais calculé qu'on avait un avantage de 8 à 10 % sur le prix de nos achats», précise-t-il.

Quatre ans plus tard, son père meurt brusquement dans un accident. Le jeune André est propulsé à la barre de l'entreprise familiale, avec son jeune frère comme seul associé. Il a perdu son principal conseiller. Mais goûte à l'ivresse de pouvoir prendre lui-même les décisions. «J'avais le goût de tout révolutionner», raconte-t-il.

Et il commence, effectivement, à tout révolutionner. Il décide de réinstaller le commerce familial en bordure de l'autoroute 20, sur un terrain où les services publics ne se rendent même pas encore. Son étude de marché? «Pendant 2 mois, à chaque après-midi, j'allais me stationner sur la voie de service et je comptais les automobiles. Et j'ai calculé qu'il passait en moyenne une voiture toutes les 6 ou 7 secondes devant le nouveau site.»

Il fait les choses en grand. Avec 18 000 pieds carrés, son nouveau commerce devient la troisième plus grande quincaillerie de la province, et la plus grosse hors de l'île de Montréal. Son pari : transformer le petit magasin du centre-ville en grande surface régionale.

Le flair d'André H. Gagnon ne le trompe pas. De fil en aiguille, il devient tout simplement le plus important détaillant Rona de la province. Son terrain de jeu s'élargit. Il créé ou achète des commerces à Granby, Brossard, Ville Mont-Royal, Saint-Bruno.

«J'ai fait 20 expansions. J'ai passé ma vie à être endetté. Aussitôt que je commençais à prendre mon souffle et que mon pouvoir d'emprunt augmentait, je lançais une nouvelle expansion.»

André H. Gagnon le dit lui-même: «je suis un bourreau de travail». Ce qui ne l'empêche pas, en parallèle, de mener sa barque familiale. Marié à 19 ans, il devient rapidement père de trois enfants. Ce n'est que lorsqu'il caresse l'idée de se présenter maire de Saint-Hyacinthe, après une expérience de trois ans comme conseiller municipal, que son épouse met son veto.

«Elle est partie en voyage trois semaines en Europe. Elle ne m'a jamais appelé. Elle m'a envoyé une seule carte postale. Dessus, elle avait écrit un mot: décide.»

André H. Gagnon, donc, ne deviendra pas maire de Saint-Hyacinthe. Mais dès 1971, celui qu'on appelle «le jeune loup» se fait inviter sur le conseil d'administration de Rona.

Sa grande force, selon tout ceux qui l'ont côtoyé: il connaît la clientèle comme le fond de sa poche. Il participe à toutes les grandes décisions stratégiques de l'entreprise, de l'identification obligatoire des membres dans les années 1970 à l'arrivée de Home Depot en sol québécois en 2000.

«Ceux qui prédisent l'avenir – les économistes et les journalistes économiques – disaient que nous allions disparaître, rappelle-t-il avec un clin d'oeil. Ils disaient qu'il n'y avait pas de place pour Home Depot, Réno Dépôt et Rona sur le marché.»

On connaît l'histoire. En avril 2003, Rona achete Réno Dépôt pour 350 M$.

À cette époque, André H. Gagnon est déjà président du conseil d'administration – une offre qu'il lui est faite en 2002, et qu'il accepte alors qu'il est en pleine lutte contre le cancer. Il fera partie de ceux qui orchestreront, quelques mois plus tard, l'entrée en Bourse de Rona.

Et cette fameuse expansion américaine qui se discute depuis si longtemps? «Ça fait partie des choses que je n'avais pas le droit de vous dire avant aujourd'hui, lance-t-il. Il y a un objectif chez Rona d'atteindre un certain seuil de pénétration du marché canadien avant d'aller aux États-Unis. Ça se situe entre 20 et 25% du marché canadien – on est actuellement autour de 15%», révèle-t-il.

Mais son plus grand rêve, aujourd'hui, est tout autre. Ce serait de voir l'un de ses neuf petits enfants s'embarquer dans l'entreprise familiale pour une quatrième génération de Gagnon. En attendant, il continuera à suivre de près le destin de «la plus belle entreprise au Québec.»

«Je suis en amour avec ma femme depuis 49 ans. Et j'ai une maîtresse depuis 45 ans: Rona. Mardi, je lui ai dit que je la laissais. Mais que j'allais retourner la voir de temps en temps.»