Ah! Si Alan Greenspan était toujours aux commandes, la Fed n'hésiterait pas à abaisser les taux d'intérêt, entend-on ces jours-ci dans les milieux financiers. Ils vivent mal les présentes secousses boursières qui minent leur appétit spéculatif.

Ah! Si Alan Greenspan était toujours aux commandes, la Fed n'hésiterait pas à abaisser les taux d'intérêt, entend-on ces jours-ci dans les milieux financiers. Ils vivent mal les présentes secousses boursières qui minent leur appétit spéculatif.

Ces esprits nostalgiques ont peut-être la mémoire qui flanche. Certes, la personnalité académique du président de la Réserve fédérale Ben Bernanke se démarque de l'allure flamboyante de son prédécesseur.

«L'ère Greenspan repose en partie sur un mythe, rappelait la semaine dernière Douglas Porter, économiste en chef adjoint chez BMO marchés des capitaux dans un billet intitulé La Fed cédera-t-elle? (Will the Fed Blink?) La Fed répond d'habitude à des événements extraordinaires seulement ou quand les tensions financières muent en tensions macroéconomiques.»

Ainsi, elle a abaissé son taux directeur après la crise des caisses d'épargne (Savings & Loans), précurseure de la récession de 1990. Elle a agi de même aux lendemains de la guerre du Golfe ou du 11 septembre.

Elle a à peine bougé en revanche après le krach d'octobre 1987 ou après l'effondrement du peso mexicain dans la foulée de l'entrée en vigueur de l'ALENA.

Le seul exemple d'assouplissement du crédit de l'ère Greenspan consécutif à une crise strictement financière, c'est la faillite des fonds de couverture Long Term Capital Management gérée par deux Prix Nobel d'économie.

Leur banqueroute coïncidait à la fin du millénaire avec le défaut de paiement de la Russie. La Fed s'était montrée un peu accommodante d'autant que les fonds de couverture représentaient alors davantage un trou noir qu'un élément spéculatif de plus dans les marchés avec qui on a appris depuis à composer.

Aujourd'hui encore, l'égocentrisme des milieux financiers les amène à penser que leur monde virtuel se confond avec l'économie réelle. Voilà pourquoi ils réclament des baisses de taux pour ranimer un goût du risque qui leur permet de brasser de bonnes affaires.

«Certains de ces économistes sont en mal de publicité et cherchent par tous les moyens à attirer l'attention, ironise François Barrière, vice-président marchés des changes à la Banque Laurentienne. Il est assez facile de trouver un aspect de l'économie américaine qui ne fonctionne pas à plein régime et de l'amplifier avec une loupe.»

Tout bien considéré, les choses se déroulent un peu comme le souhaite la Fed. La croissance ralentit, l'inflation aussi, même si on trouve des signes isolés qui semblent indiquer le contraire.

Ainsi, l'expansion au deuxième trimestre a atteint 3,4%, ce qui est le signe d'une surchauffe momentanée. Ainsi aussi, le coûts unitaires de main-d'oeuvre sont passés de 3,7% à 4,5% en rythme annualisé entre les premier et deuxième trimestre, ce qui nourrit l'inflation.

Toutefois, tout le monde s'entend pour prédire que la première économie du monde ralentit en deuxième moitié d'année. La Fed elle-même a réduit en mai tant ses prévisions de croissance que celles d'inflation. Les faits semblent confirmer jusqu'ici ce scénario.

Cela dit, est-ce que l'énigmatique (conundrum) M. Greenspan aurait eu plus tendance à jeter du lest que M. Bernanke dans les circonstances présentes?

Tous deux cultivent un goût certain pour l'opacité malgré des prétentions à la transparence. Hier encore, des économistes du Vieux Continent soulignaient que la sortie impromptue du président de la Banque centrale d'Europe (BCE) Jean-Claude Trichet, la semaine dernière, au milieu de la tourmente boursière est impensable pour la Fed de Bernanke comme elle l'aurait été pour celle de Greenspan.

Cela vient du fait que la Fed a un double mandat souvent difficile à concilier: mater l'inflation ET assurer le plein emploi.

En contraste, la BCE ou la Banque du Canada limitent leur tâche à contenir la poussée des prix autour d'une cible préétablie et jugée optimale pour le bon roulement de l'économie.

La Fed n'a pas de cible d'inflation précise, mais plusieurs considèrent qu'elle est à l'aise quand l'indice implicite d'inflation de base (Price Consumer Expense Deflator) évolue aux environs de 1,5% à 2,0%.

Pour la première fois en plusieurs années, il vient de se fixer à 1,9%, ce qui apporte de l'eau au moulin des partisans d'une baisse de taux. Les statistiques américaines sont cependant moins fiables que les canadiennes.

Elles font l'objet de fréquentes révisions. Bref, un bon chiffre ne fait pas une tendance.

M. Bernanke a tiré la leçon de l'expérience des années Greenspan qui a abaissé le taux directeur jusqu'à 1%, pour injecter des liquidités dans le système en facilitant le crédit. Cela lui a été reproché, malgré les bonnes affaires de Wall Street.

La Fed de M. Bernanke se montre jusqu'ici peu encline à répondre aux doléances des marchés financiers.

Ses membres paraissent inspirés par l'éthique protestante, comme le notait M. Porter qui citait le président de la Réserve de Saint-Louis, William Poole: «Nous devons conclure que les marchés ont surtout puni cette année les mauvais joueurs ou les prêteurs médiocres.»