Ennuyeux, le monde du montage financier? Allez passer une heure avec Christiane Bergevin.

Ennuyeux, le monde du montage financier? Allez passer une heure avec Christiane Bergevin.

La dame est présidente de SNC-Lavalin Capital, la branche «services de financement» de la plus grande firme d'ingénierie au monde. Vrai, elle risque d'échapper des expressions comme «régression linéaire» ou "structure de dette bancaire à long terme" en cours de discussion.

Mais elle vous parlera aussi des difficultés de faire des affaires en Angola et de la guerre civile d'Algérie. Et de quelle façon la pêche au flétan peut conduire un groupe d'ingénieurs à s'arracher les cheveux.

Retour au début des années 90. Christiane Bergevin vient d'atterrir chez SNC International, après avoir travaillé cinq ans chez Exportation et développement Canada (EDC).

«Le choc culturel!», se rappelle-t-elle.

Mme Bergevin en a pourtant vu d'autres. Pendant ses cinq années chez EDC, elle a financé des projets dans des pays aussi difficiles que le Bénin, le Togo, l'Angola et le Liberia.

Elle a travaillé à rééchelonner la dette de nombreux pays africains et a négocié la position d'EDC dans la plus grosse faillite de l'histoire des États-Unis de l'époque, celle de Global Marine.

Mais rien ne l'a préparée à faire face à ceux qu'elle côtoie aujourd'hui tous les jours: les ingénieurs. «J'avais travaillé toute ma vie dans des institutions financières. Là, je me retrouvais comme financière... mais dans une firme d'ingénierie.»

La grande différence: elle est seule de son clan. «On venait me voir en me disant: Madame Bergevin! On veut faire un projet en Algérie. Êtes-vous capable de nous trouver des fonds?»

Elle leur répond comme une financière. «Aujourd'hui, il y du financement. Dans deux ans, peut-être. Vous savez, la conjoncture, les marchés internationaux...»

«Dans une banque, tu dis ça et les gens sont contents, continue-t-elle. Là, on me répondait: Vous n'avez pas compris. On dépense 200 000 piastres maintenant pour ça, et il faut que vous nous disiez si, oui ou non, il va y avoir du financement dans deux ans. Et si vous dites oui, organisez-vous pour qu'il y en ait.»

«Après un mois, j'ai laissé faire la conjoncture... Si je jugeais que c'était vraiment impossible, je disais non. Sinon, je disais oui, en me disant cout'donc. Si les marchés ont évolué et que ça devient impossible, ben j'irai travailler ailleurs...»

Christiane Bergevin, on le sait, n'est pas allée travailler ailleurs. Elle est devenue présidente de SNC-Lavalin Capital et dirige aujourd'hui une équipe qui compte des employés à Montréal, Toronto, Vancouver, Paris, Alger et Amsterdam.

Comment y est-elle parvenue? L'Algérie, justement. En 1993, Mme Bergevin donne le feu vert à la construction par SNC d'une usine de séparation de gaz dans la ville algérienne de Rhourde Nouss. Le gaz est destiné à l'Espagne et l'Italie et sera acheminé par pipeline.

Le hic: comme ça arrive souvent avec les pays en développement, l'Algérie n'est pas en mesure de payer SNC pour la construction de l'usine. Pas de problème: un peu comme un vendeur de voitures, la firme d'ingénierie offre un «plan de financement» à l'Algérie.

«On lui dit: On va vous trouver un financier qui va vous prêter, et vous, vous allez pouvoir nous payer», résume Mme Bergevin.

Sauf qu'au moment de construire l'usine, la «conjoncture», justement, a changé. Et pas qu'un peu.

«Le pays était en plein milieu d'une guerre civile! se rappelle-t-elle. Il n'y a plus personne qui voulait prêter. En plus, l'Algérie avait trop emprunté et était surendettée. Ce n'était pas le cas deux ans auparavant, quand j'avais dit oui!»

Le genre de situation qui permet de séparer les femmes des enfants. Christiane Bergevin retrousse ses manches. Et se met à la recherche d'argent pour l'Algérie.

Elle va cogner à la porte du gouvernement espagnol pour voir s'il pourrait prêter à l'Algérie. La réponse: «On n'a plus d'argent pour l'Algérie. On avait une limite, on a tout prêté. On attend de se faire rembourser.»

Prochaine étape: l'entreprise de gaz d'Espagne, qui s'attend à recevoir du gaz d'Algérie. Christiane Bergevin lui annonce qu'au rythme où vont les choses, elle n'en aura pas. Et l'incite à mettre de la pression sur son gouvernement.

Entre-temps, elle obtient un morceau du Canada. Visite 27 banques arabes. Va voir les Belges. Retourne voir les Espagnols. «On leur dit: Vous savez, les Belges participent. Même si les Belges, dans le fond, ce n'est pas tout à fait ça qu'ils ont dit. Ils ont dit: Les Espagnols, qu'est-ce qu'ils font?»

Au moment où tout est sur le point de se cristalliser, catastrophe. L'Espagne et le Canada se lancent dans une guerre diplomatique pour cause de navires espagnols qui pêchent le flétan un peu trop près de Terre-Neuve au goût du Canada. Les pourparlers s'embourbent.

«Alors ça tourne, ça tourne. Et finalement, après bien des efforts, le financement a été livré, et l'usine a été construite.»

Du montage financier, c'est ça. Et ce n'est évidemment qu'un exemple. Au cours de sa carrière, Christiane Bergevin a mis sur pied des structures de financement totalisant plus 3 milliards US. Chaque projet est unique. Il faut prévoir les revenus, calculer les risques, trouver des prêteurs.

Mme Bergevin est par exemple derrière l'un des plus gros partenariats public-privé au pays: celui de l'autoroute 407, en Ontario. En fait, l'expertise de SNC-Lavalin en financement s'est tellement développée qu'elle offre aujourd'hui ses services à des clients externes.

Et est devenue au fil du temps... l'un des plus importants conseillers financiers d'Algérie.