«Il a profité du moment qui était devant lui et il s'est essayé comme si c'était un jeu.»

«Il a profité du moment qui était devant lui et il s'est essayé comme si c'était un jeu.»

Celui qui dresse ce portrait de Jérôme Kerviel enquête sur les crimes économiques depuis 37 ans.

Louis Laframboise, ancien policier de la Gendarmerie royale du Canada, est aujourd'hui vice-président, enquêtes et services conseils chez Garda.

«Un insouciant», poursuit-il en parlant de l'homme qui serait responsable de la perte équivalant à 7,3 milliards de dollars à la Société Générale. Il a oublié qu'il y aurait des victimes au bout du compte.

«D'après moi, on ne fait pas face à un criminel endurci qui va vider une banque. C'est quelqu'un qui a profité de sa position.»

Un insouciant pris dans son engrenage. «On tente quelque chose, ça fonctionne. On ne s'est pas fait prendre. On pousse un petit peu plus, un petit peu plus et là, on pousse un peu trop.»

La mécanique? Il a d'abord pris des options en pensant que le marché monterait. Mais le marché boursier a descendu.

«Il a risqué. Il a mis des comptes fictifs pour brimer certains contrôles. Du fait qu'il avait été dans le back office (service de post-marché) avant, il devait sûrement connaître les moyens de contrôle. Et s'il n'y a pas eu de perte, il n'y aurait jamais eu personne qui aurait enquêté. Donc, ni vu ni connu.»

L'équipe de M. Laframboise enquête sur un millier de cas de fraude et de vol par année. Il y a des vols purs et simples. Mais aussi ces «insouciants» pris dans leur mécanique de jeu. Il estime leur nombre à 2% des dossiers qu'il traite.

Et, malheureusement pour les entreprises, il n'y a pas grand-chose qu'elles puissent faire contre des cas comme celui-là.

«Quand on fait face à quelqu'un qui a cette mentalité, c'est très difficile pour une entreprise de dire qu'elle va tout contrôler, tous les employés, dans tout ce qu'ils font.»

Un avis partagé par Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques.

«Les systèmes de contrôle, aussi efficaces qu'ils soient, ne peuvent pas parer à toutes les éventualités. Même les grandes institutions financières se sont fait rouler par certains de leurs éléments en se targuant d'avoir des systèmes extrêmement pointus de gestion des risques.»

M. Laframboise, qui a également été enquêteur pour la Banque Royale du Canada, note aussi qu'en période de récession, on voit une augmentation du nombre de cas de fraude par les employés.

D'abord, parce que les entreprises surveillent davantage leurs comptes. Mais aussi parce que des employés en ont plus besoin pour arrondir leurs fins de mois.

«Il y en a qui vivent au-dessus de leurs moyens. Alors, ils vont tester les systèmes.»

Autre facteur qui provoque une hausse de ce type de criminalité, selon lui: le plus grand anonymat rendu possible par les développements technologiques. Ça a d'abord été le guichet automatique, qui a permis de tenter d'encaisser de faux chèques, sans avoir à affronter une caissière.

Puis, il y a eu l'informatique. «On se sent très peu vulnérable quand on peut travailler d'un sous-sol quelque part.»

Bref, la fraude est en hausse et continuera de l'être selon l'ancien policier. Et il précise un point: il est persuadé que si le coup avait fonctionné, le gain n'aurait pas été de 7,3 milliards de dollars pour le présumé fraudeur.

C'est quand même pour cette raison qu'on en parle aujourd'hui. «Si ça avait été une perte de 100 000 euros, ça n'aurait pas fait les journaux.»