Les tribunaux sont de plus en plus généreux pour les cadres supérieurs dans la cinquantaine qui perdent leur emploi.

Les tribunaux sont de plus en plus généreux pour les cadres supérieurs dans la cinquantaine qui perdent leur emploi.

Le plafond des indemnités de départ est passé de 12 à 24 mois de salaire. Mais, pendant ce temps, les règles en vigueur pour les cols bleus n'ont pas bougé.

En 2001, Tony Aksich perd son emploi de directeur commercial au Canadien Pacifique, après 27 ans de service. Il gagne alors 123 000 $ par année, plus un boni. Il a 52 ans. Quelques mois de plus et il aurait eu droit à la préretraite.

Le CP lui offre une indemnité de départ de 71 semaines, conformément à sa politique. Il refuse.

M. Aksich est chanceux dans sa malchance: Me Julius Grey fait partie de son cercle d'amis.

L'avocat, célèbre notamment pour sa victoire devant la Cour suprême dans l'affaire du kirpan, décide de le représenter devant la Cour supérieure.

Me Grey réclame une indemnité de 27 mois, qui permettra à M. Aksich de faire le pont vers la préretraite. Il demande également des dommages pour la façon cavalière avec laquelle le CP a mis fin à l'emploi de son client. L'affaire est jugée en 2005.

Dans l'intervalle, M. Aksich est devenu consultant et encaissé des revenus de 179 000 $ pendant la période pour laquelle il réclame une indemnité.

En 2005, la Cour supérieure lui accorde une indemnité de près de 169 000 $, soit 15 mois, dont elle soustrait plus de 57 000 $, soit une partie des sommes qu'il a gagnées comme consultant.

Me Grey porte la cause devant la Cour d'appel. En 2006, il obtient pour son client près de 220 000 $ et une somme de 5000 $ en dommages moraux. La Cour d'appel décide de plus de ne pas soustraire les sommes gagnées par M. Aksich dans les 71 semaines suivant son congédiement.

«Ce jugement est un très bon exemple de la différence entre les tribunaux américains et canadiens. Aux États-Unis, les indemnités sont en baisse. Ici, elles sont en hausse, particulièrement pour les cadres supérieurs dans la cinquantaine. Nos juges ne permettent pas que les puissants fassent ce qu'ils veulent des individus», note-t-il.

Me Grey reconnaît du même souffle que la loi et les tribunaux ne sont pas aussi généreux avec les quinquagénaires qui occupent des emplois manuels. «On présume que les gens qui occupent des postes moins spécialisés pourront plus facilement se replacer», dit-il.

Le précédent

L'arrêt Aksich fait partie des 10 jugements qui, selon le cabinet Gowlings Lafleur, ont façonné le droit du travail et de l'emploi au cours de la dernière année.

«L'importance de cette décision ne réside pas dans les 24 mois accordés au plaignant. Les tribunaux québécois ont rendu plusieurs jugements fixant à deux ans les indemnités raisonnables pour des cadres supérieurs», précise Me Luc Deshaies, avocat en droit de l'emploi et du travail chez Gowlings Lafleur.

C'est plutôt en ne soustrayant pas les sommes gagnées par M. Askish de l'indemnité qui lui a été versée pour les 71 premières semaines suivant sa fin d'emploi que la Cour d'appel a signé un précédent.

«Si la politique interne du CP avait clairement indiqué l'obligation de mon client de limiter ses dommages, cette victoire aurait été impossible», reconnaît Me Grey.

Le message de Me Deshaies à ses entreprises clientes est le suivant: «Si vous souhaitez que les sommes gagnées par vos cadres après leur départ soient soustraites des indemnités, il faut l'écrire clairement dans les contrats et dans les politiques», dit-il.

Me Deshaies constate toutefois que plusieurs entreprises ne veulent pas adopter de telles mesures et laissent leurs anciens employés entreprendre une nouvelle carrière sans réclamer de comptes.

«Les employeurs ont tendance à bien traiter les cadres qui perdent leur emploi. Cela se traduit par des indemnités plus généreuses et divers services, comme le replacement, le maintien de certains avantages sociaux et parfois le paiement des frais de déménagement», dit-il.

Pas facile, malgré tout, d'évaluer les bonnes et les mauvaises offres.

Ressources humaines et droit

Une semaine par année de service pour un employé manuel. Deux pour un employé de bureau. Trois pour un professionnel. Quatre pour un cadre supérieur. Telle est la règle le plus souvent appliquée dans les entreprises.

" C'est peut-être une règle en ressources humaines, mais ce n'est pas une règle en droit ", indique Me Pierre Moreau, associé de Rivest Schmidt.

Cet avocat en droit de l'emploi et du travail a recensé environ une centaine de jugements récents sur le sujet à l'intention de ses clients qui veulent évaluer les offres de fin d'emploi de leur employeur.

Le tableau de Me Moreau comprend des exemples d'indemnités de 41 mois après 19 mois de service, de 20 mois après sept ans et même d'un an après quelques jours de boulot.

En plus d'occuper des postes de direction, les individus concernés par ces causes étaient tous dans la cinquantaine.

" Les tribunaux semblent considérer que 50 ans représente un seuil critique après lequel il est très difficile de se retrouver un emploi équivalent. C'est très clair dans les litiges qui concernent les cadres supérieurs ", dit-il.

En plus du poste occupé et de l'âge, les tribunaux prennent en compte la qualité du travail ainsi que le traitement réservé à l'employé lors de sa fin d'emploi.

" Les juges ont tendance à sanctionner les congédiements accompagnés de policiers ", note-t-il. Malgré ces exemples, Me Moreau décourage ses clients dans la cinquantaine à rejeter du revers de la main une offre d'indemnité de 15 semaines.

Cadres ET cols bleusAlors que le plafond des indemnités est en hausse pour les cadres, les barèmes traditionnels semblent encore dominer aux échelons inférieurs de la hiérarchie, même pour les 50 ans et plus. Ainsi, la Loi sur les normes du travail établit à huit semaines le délai obligatoire maximum de l'avis de mise à pied. Si l'employeur respecte ce délai, l'employé n'a droit à aucune indemnité, même à 52 ans et après 30 ans de bons et loyaux services. " Curieusement, on impose beaucoup plus l'obligation de limiter les dommages et le remboursement des indemnités aux petits salariés qu'aux cadres supérieurs. En plus, les simples salariés peuvent être pénalisés à l'assurance-emploi, selon les modalités de versement de leurs indemnités de départ ", souligne Me Moreau.

Les conditions de départ pourraient toutefois changer pour les syndiqués. Selon Me Luc Deshaies, de Gowlings Lafleur, de plus en plus de syndicats réclament des indemnités plus généreuses lors du renouvellement des conventions collectives.