Selon Henry Mintzberg, les systèmes de santé ne sont pas en crise. C'est leur administration qui est malade.

Selon Henry Mintzberg, les systèmes de santé ne sont pas en crise. C'est leur administration qui est malade.

«Une gestion conçue différemment, plus orientée vers ce qui se passe sur le terrain, est un des remèdes aux problèmes des systèmes de santé», explique le professeur Mintzberg www.mintzberg.org dans le premier volet de cette entrevue.

Question: L'Université McGill a lancé l'an dernier un programme international destiné aux gestionnaires de la santé développé conjointement par les facultés de médecine et de gestion. Pourquoi un programme spécifique?

Réponse: Les enjeux et les défis sociaux et économiques des systèmes de santé sont énormes, partout dans le monde. On attend d'eux qu'ils préviennent, soulagent, traitent, guérissent les maladies, avant même la naissance des individus. On est même rendu à exiger que tous les patients ressortent des hôpitaux vivants!

Ces attentes créent des pressions énormes sur les gestionnaires, les professionnels et travailleurs de la santé.

La gestion d'enjeux aussi complexes ne peut être calquée sur celle des entreprises.

Pour améliorer la gestion de la santé, il faut bien comprendre les particularités de cet univers et il faut réfléchir aux pistes de solution avec des gestionnaires et des professionnels actifs sur le terrain. C'est ce que nous faisons dans ce programme.

En quoi la gestion de la santé est-elle si différente?

Dans une entreprise, il y a une chaîne d'autorité, dirigée par un PDG dont les décisions sont appliquées à tous les niveaux de l'organisation.

En santé, il y a une double hiérarchie, celle de l'administration et celle des médecins. Et les autres professionnels et travailleurs de la santé relèvent de l'une ou de l'autre, et parfois des deux.

Les gestionnaires de la santé ont souvent, dans les faits, un pouvoir limité sur ce qui se passe dans leur établissement ou leur secteur.

Les impacts des décisions financières en santé diffèrent de celles des entreprises.

Quand on coupe les dépenses dans le secteur privé, les effets sur le bénéfice sont connus. En santé, on connaît immédiatement le montant des coupures, mais les bénéfices sont beaucoup moins clairs et surtout, les réductions de bénéfices sont beaucoup moins claires. Les conséquences apparaissent souvent après plusieurs années.

On l'a vu au Canada quand Paul Martin était ministre des Finances. Il a coupé de plusieurs milliards les transferts aux provinces pour équilibrer le budget fédéral. Quelques années plus tard, des problèmes énormes sont apparus dans les systèmes de santé de toutes les provinces.

Une autre différence est la mesure des résultats. Dans certains domaines, c'est assez simple. On peut observer et comparer l'évolution des taux de SIDA, de malaria ou de mortalité infantile, par exemple.

Quant il s'agit d'évaluer des hôpitaux, c'est beaucoup moins évident.

Évaluer, par exemple, la performance des hôpitaux par le temps d'attente aux urgences est beaucoup plus problématique.

Que veut-on? Être traité rapidement par des incompétents, ou attendre quelques heures de plus pour avoir des soins de premier ordre?

Pour faire des comparaisons sensées entre deux hôpitaux, il faudrait interroger un patient qui a été traité aux deux endroits pour le même problème.

Et si vous demandez à un chirurgien, à une infirmière, à un psychologue et à un gestionnaire d'évaluer les besoins en équipement d'un même hôpital, vous obtiendrez souvent des réponses différentes.

Nous voilà au coeur des problèmes de gestion de la santé. Ses acteurs ne sont pas animés par une culture commune partagée par tous, quels que soient leur fonction et leur rôle.

Il y a plusieurs cultures fortes. Celles des médecins, des infirmières, des autres professionnels de la santé ainsi que du personnel administratif et de soutien. Tous ces groupes ont des lectures différentes de la réalité et sont souvent en rivalité dans le choix des projets, des approches et pour la répartition des budgets.

Un des grands défis de la gestion de la santé est de faciliter la coopération entre ces acteurs.

Vous croyez qu'une meilleure gestion peut régler la crise des systèmes de santé?

Les systèmes de santé ne sont pas en crise. Ils ont des problèmes, c'est évident, mais plusieurs d'entre eux viennent précisément de leurs succès. C'est leur administration qui est en crise.

Les médecins sont formidables pour traiter, à des coûts très élevés, des maladies dont les gens mourraient il y a 50 ans à peine. L'espérance de vie augmente sans cesse.

En fait, le système réussit tellement bien qu'il met les gouvernements en faillite. C'est ça le vrai drame. On demande à l'État d'offrir des soins toujours meilleurs, tout en payant moins d'impôt.

Les gouvernements font pourtant beaucoup d'efforts pour améliorer l'administration des systèmes de santé. Pourquoi ont-ils si peu de succès?

Voyons d'abord ce qu'ils font. Périodiquement, les administrateurs s'engagent à «changer» les systèmes. Ils réorganisent les structures, coupent ici, injectent un peu d'argent là. Quand ça ne fonctionne pas, on recommence. En espérant que cette fois sera la bonne.

Ironiquement, pour régler exactement les mêmes problèmes, ces réorganisations prennent souvent des voies opposées.

En Angleterre, sous Thatcher, on a démantelé la structure très centralisée du ministère de la Santé pour la remplacer par une série d'unités autonomes. Au Québec, on a décidé de regrouper tous les établissements de santé d'un même territoire sous une structure administrative commune.

Ces réorganisations perpétuelles ont des effets très négatifs sur les professionnels et les travailleurs de la santé. Elles réussissent parfaitement à tuer leur motivation intrinsèque.

Et les citoyens ne s'y retrouvent plus.

Comment faut-il faire alors?

Il faut favoriser deux choses: la communication et la coordination, sur le terrain. Voilà deux pistes que nous explorons dans la Maîtrise internationale pour le leadership en santé (International Masters for Health Leadership, www.imhl.ca). Malgré leur simplicité apparente, ces deux approches supposent une véritable révolution dans le monde de la santé.

Nous explorerons ces approches plus en détail samedi prochain.