La condamnation de Conrad Black devrait être prise comme un avertissement très sérieux par tous les dirigeants tentés de piger dans les coffres de leur entreprise.

La condamnation de Conrad Black devrait être prise comme un avertissement très sérieux par tous les dirigeants tentés de piger dans les coffres de leur entreprise.

C'est ce qu'ont fait valoir les experts consultés hier par La Presse Affaires, après que l'ancien président de Hollinger International eut été reconnu coupable de quatre chefs d'accusation de fraude et d'entrave à la justice par un jury de Chicago.

»Les Américains veulent donner des exemples, dit Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. La justice américaine évolue par les cas, en condamnant des personnes. Ceci va amener les gens à être plus prudents et à mieux réfléchir.»

Selon M. Nadeau, la condamnation de Conrad Black lance un message puissant aux chefs d'entreprises: leurs agissements peuvent être punis par la loi, même s'ils ont été approuvés par les administrateurs de leurs sociétés.

«Aujourd'hui, on vous dit que même si vous avez des décisions du conseil ou de comités du conseil qui vous permettent de faire ceci ou cela, mais que ces décisions ne correspondent pas à certaines valeurs et pénalisent des actionnaires en vous favorisant indûment, c'est un crime.»

La forte médiatisation du procès de Black - et la condamnation de l'ex magnat - produiront un «effet de dissuasion» chez les dirigeants tentés de frauder, dit pour sa part Denis Durand, associé principal chez Jarislowsky Fraser.

«C'est quand on met les lois en application et qu'on donne des pénalités correspondantes qu'on atteint un certain résultat, dit-il. Si on n'a pas l'intention de les mettre en application, c'est sûr qu'on n'aura pas de succès. Les gens vont se dire: il n'y a pas de danger, on n'a pas de chance d'être condamnés.»

Une série noire

Aux États-Unis, les chefs d'entreprises accusés de malversations sont de plus en plus nombreux à être punis par la justice. Conrad Black est le dernier d'une liste qui s'allonge.

Ces dernières années, les ex-dirigeants d'Enron (Kenneth Lay et Jeffrey Skilling), de WorldCom (Bernard Ebbers), de Tyco International (Dennis Kozlowski), de Qwest Communications International (Joseph Nacchio), d'HealthSouth (Richard Scrushy) et d'Adelphia Communications (John Rigas) ont tous été reconnus coupables de crimes économiques.

Ces nombreuses condamnations découlent du durcissement des lois au sud de la frontière. L'attitude sévère des autorités américaines contraste avec la relative clémence observée au Canada envers les crimes économiques, souligne Denis Durand.

«Quand on regarde les choses ici comme Norbourg et Norshield, on déplore que les lois au Canada soient encore trop laxistes, pas assez astreignantes comme aux États-Unis», lance l'associé de Jarislowsky Fraser.

Michel Nadeau dénonce lui aussi ce «manque de dents» du Canada. «On voit le procès de Vincent Lacroix qui dure depuis plus de deux ans et il ne se passe rien, la GRC n'a pas déposé d'accusations criminelles.»

L'Autorité des marchés financiers, qui régit le secteur des valeurs mobilières au Québec, plaide également pour une sévérité accrue des lois québécoises et canadiennes. Son président, Jean Saint-Gelais, a déposé un mémoire en ce sens en janvier dernier à la Commission des finances publiques.

Par ailleurs, Conrad Black pourrait être condamné au Canada. L'homme de 62 ans fait toujours l'objet d'une poursuite intentée par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO), qui avait reporté les procédures le temps que l'ex-magnat de la presse soit jugé à Chicago.

Black doit comparaître devant la CVMO le 12 novembre prochain, a indiqué la porte-parole Carolyn Shaw-Rimmington. Elle a toutefois refusé de commenter dans quelle mesure sa condamnation aux États-Unis - et la peine de prison qu'il pourrait y purger - interféreront avec un éventuel jugement canadien.