Fichtre... Vite, il agrippe un téléphone public et sort l'unique pièce de 25 cents de son portefeuille...

Fichtre... Vite, il agrippe un téléphone public et sort l'unique pièce de 25 cents de son portefeuille...

Lundi soir dernier, le jeune homme de 17 ans, mal renseigné, était sorti à la mauvaise station de métro et voulait appeler son entraîneur pour connaître le véritable endroit de son match de soccer.

Refichtre: le contrariant appareil exige 50 cents...

Car deux jours plus tôt, le 2 juin, les tarifs des téléphones publics de Bell Canada avaient doublé.

Cette hausse est le résultat direct de la décision rendue le 30 avril par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui autorisait les entreprises de téléphones de services locaux titulaires — les anciens monopoles qui détiennent les réseaux filaires — à augmenter le tarif local des téléphones payant jusqu'à 50 cents par appel.

Bell Canada a également obtenu l'autorisation de faire passer le tarif de 0,75 $ à 1 $ lorsque l'appel est effectué à frais virés, facturé à un troisième numéro ou payé par carte d'appel ou de crédit.

«Il y a eu plus de 25 ans sans augmentation, observe John Macri, directeur des analyses financières et réglementaires au CRTC. Pendant ce temps, les prix ont plus que doublé.» C'est vrai: l'indice des prix à la consommation était à 58,9 en 1981, et à 132,8 en avril 2007, soit un facteur de variation de 2,2. «Il nous a paru raisonnable de leur donner plus de flexibilité — si les compagnies veulent le faire. Ce n'est pas obligatoire.»

Droit non obligatoire, sans doute, mais un mois après la décision, Bell Canada s'en prévalait.

«Avant l'augmentation, nous ne couvrions pas nos frais», indique son porte-parole Jacques Bouchard. Selon Bell, les appels sur les téléphones publics diminuent à raison de 10 % à 15 % par année.

Les revenus tirés des téléphones publics par les anciens monopoles canadiens sont passés de 229 millions $ en 2003 à 92 millions $ en 2006. Pendant ce temps, le nombre de cabines publiques s'est comprimé de 159 000 à 139 000.

Pas surprenant que les entreprises en tirent moins de revenus, si elles réduisent le nombre de gobe-sous, pourrait-on penser. Mais l'usage a indiscutablement diminué: durant ces quatre ans, les revenus moyens se sont contractés de 143 $ à 65 $ par appareil — deux fois moins.

Du côté des groupes de consommateurs, ce n'est pas tant le principe que l'ampleur de la hausse qui fait tiquer. «Lors des audiences, on a été surpris de la faiblesse de l'argumentation de Bell, qui ne reposait que sur le fait que le tarif n'avait pas augmenté depuis 1981, observe Charles Tanguay, porte-parole de l'Union des consommateurs. Ils n'ont pas fait, ou très peu, de démonstrations économiques. De sorte que nos analystes ne s'attendaient pas à ce que le CRTC accorde une hausse d'une telle ampleur.»

C'est précisément l'opinion du conseiller minoritaire Stuart Langford, qui était en désaccord avec la décision rendue par ses collègues du CRTC.

«Ces majorations peuvent sembler raisonnables a priori», écrit-il, acceptant l'argument de l'ajustement d'un tarif bloqué depuis 26 ans.

«Mais il y a un autre élément de preuve révélateur dans le dossier de la présente instance, poursuit-il. TELUS perçoit 35 cents par appel payé comptant et 75 cents pour les autres appels depuis 1998, et elle n'a pas demandé à majorer ces tarifs.

Il serait donc logique de présumer que la formule des 35 et 75 cents est avantageuse si la deuxième compagnie de téléphone titulaire en importance au Canada s'en satisfait. C'est la raison pour laquelle j'aurais adopté la structure de prix de TELUS.»

Les cabines qui disparaissent

L'enjeu le plus important est la disparition graduelle des téléphones publics.

En 1995, Bell comptait 104 000 cabines au Québec et en Ontario. En 2007, il n'y en avait plus que 80 000.

«Il est important de rappeler que les cabines téléphoniques sont nécessaires pour beaucoup de gens», insiste Charles Tanguay. «Dans certains villages, il n'y a qu'une seule cabine près de l'église ou du magasin général. Cette cabine-là est très importante, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité.»

Or, c'est justement l'argument évoqué par le CRTC pour accorder la hausse de tarif. Si les entreprises «ne disposent pas de la latitude voulue pour augmenter les tarifs des téléphones payants, énonce sa décision, elles risquent de retirer les téléphones payants non rentables, ce qui réduira l'accès au service pour le consommateur.»

Le CRTC n'impose aucune restriction à cet égard, sinon celle de donner un préavis de six mois lorsqu'une entreprise veut retirer le dernier téléphone d'une collectivité.

À ce propos, la rumeur veut que les appareils en panne ne soient pas réparés, pour disparaître plus facilement ensuite. Faux, rétorque Jacques Bouchard, de Bell Canada. Ils sont toujours entretenus, assure-t-il, mais l'augmentation du vandalisme peut entraîner un certain retard dans l'entretien, d'où cette impression de laisser-aller.

Si l'augmentation du tarif pourrait ralentir l'attrition des cabines publiques, elle semble néanmoins inéluctable. «Une évaluation est faite et des relocalisations pourront être effectuées, en fonction de la demande», précise Jacques Bouchard.

Il est indéniable que l'arrivée massive des téléphones cellulaires a fortement affecté le marché des téléphones publics. Mais Charles Tanguay renverse l'argument: «Il est clair que les anciens monopoles ont tout intérêt à hausser le tarif des cabines téléphoniques, entre autres parce que ça aide à vendre des cellulaires.»

Fin de l'histoire: notre jeune homme de 17 ans, en fouillant fébrilement l'ensemble de ses poches, a réussi à réunir quelques pièces totalisant 25 autres cents, et à appeler son entraîneur.

Il s'est juré de s'acheter un cellulaire cet été.

De 5 cents à 50 cents en 60 ans

Bell Canada a installé ses premiers téléphones publics dès les années 1880, dans les bureaux de poste, les gares...

Les téléphones à monnaie sur la voie publique font leur apparition au sortir de la guerre. Au Québec, deux des toutes premières cabines sont érigées en février 1946 à l'angle de la rue Côte-des-Neiges et du chemin de la Reine-Marie, à l'extérieur d'une pharmacie. En juin de la même année, Montréal en compte déjà 10.

Le tarif pour un appel local était alors de 5 cents. Il est passé à 10 cents en 1952, à 20 cents en 1974, et à 25 cents en 1981.

Avec la hausse du 2 juin, le tarif d'un appel est exactement 10 fois celui de 1946. Pendant cette période, l'indice des prix à la consommation a été multiplié par 11.