Les années 90 ont été fertiles en manoeuvres fiscales de toutes sortes de la part de riches Canadiens pour échapper au fisc. Et plusieurs contribuables n'ont pas hésité à recourir aux paradis fiscaux pour arriver à leurs fins.

Les années 90 ont été fertiles en manoeuvres fiscales de toutes sortes de la part de riches Canadiens pour échapper au fisc. Et plusieurs contribuables n'ont pas hésité à recourir aux paradis fiscaux pour arriver à leurs fins.

Selon une enquête de La Presse, la lutte contre le déficit zéro et la permissivité des lois fiscales ont fortement contribué à ce phénomène.

«Il y a 8-9 ans, beaucoup de gens quittaient vers des paradis fiscaux, dit le fiscaliste Éric Labelle, de la firme Raymond Chabot Grant Thornton. C'est beaucoup moins le cas aujourd'hui.»

L'objectif de déficit zéro a obligé les gouvernements à maintenir des taux d'imposition élevés dans les années 90. Au Québec, par exemple, le taux d'imposition sur les revenus des hauts salariés a atteint 53% en 1997, un sommet. Ce taux est aujourd'hui de 48,2%.

Pour bien des entrepreneurs, c'est le taux d'imposition sur le gain en capital qui était une invitation aux entourloupettes fiscales. En 1997, par exemple, un entrepreneur qui faisait un gain de 5 millions de dollars en vendant son entreprise devait souvent payer 40% en impôts, soit 2 millions. Aujourd'hui, le fisc est moins gourmand, à 24% d'impôts (1,2 million dans notre exemple).

«Peu de gens font de l'évasion fiscale de nos jours, soutient le gestionnaire de fonds Jean-Luc Landry. C'est trop aventurier et à la limite de la loi pour être intéressant.»

«De toute façon, aujourd'hui, le taux de 24% sur le gain en capital est quand même assez bas, dit-il. Les riches particuliers estiment qu'il est normal de payer de l'impôt, en autant que ça reste raisonnable.»

L'affaire Bronfman

En plus de la diminution des impôts, le scandale fiscal de la famille Bronfman a mis un frein à l'exode des capitaux, bien que plusieurs riches familles aient eu le temps d'en profiter.

Au début des années 90, la famille Bronfman a utilisé un stratagème pour économiser 750 millions de dollars d'impôts. En 1996, le vérificateur général du Canada a découvert le pot aux roses et le gouvernement a fermé l'échappatoire.

Essentiellement, l'astuce fiscale utilisait les actions d'entreprises détenues en Bourse. Au Canada, un contribuable qui devient non résident doit, avant de partir, payer les impôts sur tous ses gains présumés: maison, chalet, obligations, etc. Toutefois, jusqu'en 1996, les actions en Bourse n'étaient souvent pas imposables dans ce contexte.

Les fortunés quittaient donc le Canada et vendaient leurs actions une fois établis dans leur paradis fiscal, où l'impôt est inexistant. Des versions plus sophistiquées du stratagème avaient également été mises en place.

L'un des experts de ce stratagème était le fiscaliste Marc Beaudoin. Sa description traduit bien le phénomène de l'époque. «Ils ont changé la loi une fois que toutes les familles riches l'aient fait», a-t-il déclaré dans un témoignage devant la Commission des valeurs mobilières du Québec, en 2000.

Plusieurs en ont profité. C'est le cas du financier Martin Tremblay, dont la famille a transféré 45 millions à l'abri de l'impôt aux Bahamas, en 1994. La transaction est encore contestée par Revenu Canada.

Autre offensive des autorités: l'adoption de la règle générale anti-évitement, en 1988. En principe, cette règle devait obliger un contribuable -particulier ou entreprise- à respecter l'esprit de la loi et non seulement la lettre.

Depuis 20 ans, toutefois, la règle a été contestée devant les tribunaux et les contribuables ont eu souvent gain de cause. Entre autres, les jugements ont statué que la règle anti-évitement n'avait pas d'effet sur les conventions fiscales internationales ou, autrement dit, sur les paradis fiscaux. De plus, tel que rédigé, la règle ne s'appliquait qu'à la loi elle-même et non à ses règlements.

Le printemps dernier, Québec a donc amendé sa règle anti-évitement pour qu'elle s'applique désormais aux conventions internationales, de même qu'aux règlements de la loi de l'impôt. Ce renforcement est rétroactif à 1988 pour les dossiers pendants. Le geste de Québec a suivi celui d'Ottawa, en 2004.

Secret bancaire et valises de cash

Plus de mordant dans les lois locales, donc. Évidemment, le Canada n'est pas le seul responsable des sorties de capitaux.

Le fameux secret bancaire des paradis fiscaux et le laxisme de leurs lois fiscales y sont pour beaucoup. «Dans les années 70 à 90, les gens entraient avec des valises pleines de cash et les banques ne posaient pas de questions. C'est fini ça aujourd'hui, avec les changements aux lois», nous dit un banquier privé que nous avons rencontré aux Bahamas, à l'automne, et qui veut garder l'anonymat.

Fini, parce que l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a fait pression sur les centres financiers offshore pour qu'ils changent leurs pratiques fiscales «déloyales». En juin 2000, l'OCDE a ciblé 35 paradis fiscaux.

Les Bahamas ont été retirés de la liste en mars 2002, acceptant d'améliorer la transparence de ses systèmes fiscaux et d'échanger de l'information avec les pays industrialisés. La date d'échéance pour se conformer avait été fixée à décembre 2005, mais certains changements ont bénéficié d'une extension jusqu'en septembre 2006 aux Bahamas.

Seuls cinq paradis refusent toujours de se conformer: Andorre, les îles Marshall, le Liberia, le Liechtenstein et Monaco.

Les centres financiers discrets ont également reçu des pressions des autorités américaines dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001 et de la lutte contre le financement des activités terroristes.

Les choses changent donc. Par exemple, les autorités des Bahamas ont modifié neuf lois depuis 2000, dont la loi sur les déclarations de transactions financières, la loi sur les banques et la loi sur les produits de la criminalité.

Aujourd'hui, pour ouvrir un compte, les banquiers doivent enquêter sur le bénéficiaire et s'assurer de la provenance des fonds.

«Des gens qui mettent de l'argent outre-mer pour le cacher, ce n'est pas le genre de clientèle que nous tentons d'attirer. Franchement, il n'y a pas d'avenir pour ce business», soutient Brian M. Moree, un des avocats réputés des Bahamas, de la firme McKinney Bancroft & Hugues.

Tout indique que les Bahamas ont souffert de ces mesures. Depuis 2000, la croissance économique n'a été que de 1,8% par année, en moyenne, comparativement à 4,9% par année entre 1995 et 2000.

LES BAHAMAS EN BREF

- Population : 303 611

- Revenus par habitant en 2000 : 15 774$

- Banques ou fiducies : 253

- Avocats : plus de 800

- Comptables : plus de 400

- Les services financiers représentent 15% du PIB, le tourisme, 50 %

Source : Documents touristiques officiels des Bahamas