Quand Daniel Therrien est devenu directeur de la comptabilité à 27 ans, ses deux subordonnés directs à la Société Générale, filiale d'une banque française, étaient des superviseurs de longue date.

Quand Daniel Therrien est devenu directeur de la comptabilité à 27 ans, ses deux subordonnés directs à la Société Générale, filiale d'une banque française, étaient des superviseurs de longue date.

"L'un d'eux venait de se faire tasser et se retrouvait avec un jeune flo comme patron. Bonjour la coopération", se rappelle-t-il, 14 ans plus tard.

Toujours tendues, les relations entre jeunes gestionnaires et employés plus âgés? Heureusement que non, car cette inversion des rôles est appelée à s'amplifier en raison de l'évolution démographique, selon Tania Saba, professeure titulaire à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal.

Mais lorsqu'on se retrouve à gérer du personnel de l'âge de ses parents à plus forte raison du personnel cadre, on peut bel et bien se buter à certains préjugés. Le jeune gestionnaire doit alors adoucir les angles.

"Il faut faire comprendre à ses employés qu'on n'est pas dans un poste de direction parce qu'on est meilleur qu'un autre. C'est simplement une question de formation, de bagage", note M. Therrien, maintenant directeur des opérations comptables à l'Université Concordia.

Quand il était au début de la trentaine, Marc Desautels, 38 ans, a supervisé des employés en fin de carrière. Comme M. Therrien, il insiste sur l'importance de l'humilité.

"Une promotion ne fait pas de toi un génie ni un expert de toutes les facettes de l'emploi", remarque l'actuel directeur principal, Stratégies financières et projets spéciaux, au Mouvement des caisses Desjardins.

Le succès passe alors par la valorisation de l'expérience de ses employés plus âgés. "Ces gens sont d'incroyables puits de connaissances. Peu importe la situation, ils l'ont probablement déjà vécue" souligne M. Therrien. Mon superviseur qui s'était fait tasser est devenu au fil du temps ma personne-ressource en cas de crise."

Pour sa part, M. Desautels se souvient d'avoir demandé l'aide d'un de ses employés plus âgé pour défendre un dossier important devant des membres de la haute direction. "Cette expérience s'est avérée valorisante puisqu'elle lui offrait une belle visibilité et représentait une marque de confiance tangible", affirme-t-il.

Mais que faire si des vieux de la vieille persistent dans leur hostilité? Il faut éviter la guerre ouverte, conseille M. Therrien. "Pas question de se mesurer à eux sur le plan des connaissances. Ils en ont 15 fois plus que toi. Et s'ils se sentent attaqués, ils peuvent user de leur influence d'ancien pour te mettre des bâtons dans les roues", ajoute-t-il.

La solution: faire ses preuves et établir une relation fondée sur le respect mutuel, avance M. Therrien. Même s'il n'a jamais rencontré d'animosité chez un employé plus âgé, Marc Desautels souscrit naturellement à des principes similaires: "Il ne faut pas sous-estimer l'importance des relations interpersonnelles et, en particulier, l'écoute des gens. Car tu n'accompliras pas grand-chose si ton équipe ne te suit pas."

Règle générale, la compétence finira toujours par rallier les gens, dit Mme Saba, en faisant remarquer que les nouveaux modes de gestion par équipe, moins hiérarchisés, atténuent aussi les risques de conflit.

Sinon, tout peut s'arranger par un leadership de qualité, poursuit la professeure. Face à ses employés plus expérimentés, un bon leader doit "s'efforcer de leur faire partager sa vision, et même compter sur eux pour la développer", ajoute-t-elle.

Certes, d'une génération à l'autre, les attentes et les pratiques peuvent diverger. "Mais de toute façon, nos milieux de travail foisonnent de gens ayant des opinions et des valeurs différentes", souligne Tania Saba, de l'Université de Montréal.

Au fond, il n'y a pas de recette, remarque Mme Saba. Un bon gestionnaire se méfiera des stéréotypes et privilégiera la gestion de cas particuliers. Marc Desautels abonde dans le même sens. "On s'adapte à chaque employé et à chaque situation. L'âge n'est qu'un facteur parmi d'autres", affirme-t-il.

Même son de cloche chez Daniel Therrien. "Il n'y a pas de modèle: ce qu'il faut faire avec une personne peut précisément correspondre à ce qu'il ne faut pas faire avec une autre", dit-il.

Bien sûr, il arrivera aussi que la bonne entente règne d'emblée. "J'ai tout de suite eu une belle relation avec un de mes employés, qui vient de prendre sa retraite après 35 ans de service à Concordia, raconte M. Therrien. Nous sommes même devenus amis!"