C'est le temps des sucres! Avez-vous le goût de donner une petite saveur d'érable à vos placements? Avec les changements réglementaires annoncés lors du budget fédéral, ce sera peut-être possible bientôt.

C'est le temps des sucres! Avez-vous le goût de donner une petite saveur d'érable à vos placements? Avec les changements réglementaires annoncés lors du budget fédéral, ce sera peut-être possible bientôt.

Le ministre des Finances, Jim Flaherty, a décidé de permettre aux particuliers d'insérer dans leur portefeuille enregistré des «obligations feuille d'érable». Ce sont des obligations d'émetteurs étrangers, émises au Canada, en dollars canadiens.

«Les obligations feuille d'érable deviendront plus attrayantes pour les investisseurs individuels, maintenant que les titres sont admissibles aux REER», estime Craig Alexander, économiste en chef au Groupe financier Banque TD.

Mais encore faudra-t-il que les émetteurs décident d'offrir leurs obligations aux particuliers. Pour l'instant, seul les investisseurs institutionnels ont accès à ce marché, en forte croissance depuis deux ans.

C'est que depuis le début de 2005, les régimes de retraite peuvent investir tant qu'ils veulent à l'extérieur du Canada, alors qu'auparavant ils devaient limiter le contenu étranger à 30% de leur portefeuille.

Poussée de croissance

Présentement, la valeur des obligations feuille d'érable s'élève à 38 milliards de dollars, soit environ 5% de l'ensemble du marché obligataire canadien (gouvernements et sociétés). Mais on a encore rien vu.

La croissance est exponentielle! Ce sont des milliards qui se déversent chaque mois dans le marché, indique Louis Basque, vice-président, ingénierie de produits, pour les Conseillers en gestion globale State Street.

En 2006, les émissions d'obligations feuille d'érable ont atteint 15,6 milliards.

C'est quatre fois plus qu'en 2004. Et depuis le début de 2007, les émissions ont déjà atteint 7,5 milliards... en moins de trois mois. Cela représente environ tiers de tout le marché obligataire canadien.

«Certaines émissions ont une taille considérable qui se compare aux émissions du gouvernement du Canada», souligne M. Basque.

Par exemple, en janvier dernier, le courtier américain Morgan Stanley a émis des obligations d'une valeur de 2,5 milliards, la plus importante émission de toute l'histoire des obligations de sociétés au Canada.

Signe de l'ampleur du phénomène, Scotia Capitaux a créé, l'an dernier, le premier indice obligataire qui trace la performance des obligations feuilles d'érable, l'indice Maple Bond.

Et maintenant, les experts spéculent sur la possibilité que les obligations feuille d'érable soient ajoutées à l'indice phare du marché obligataire canadien, le Scotia Univers. Un tel ajout aurait des répercussions majeures. Ils forceraient de nombreux gestionnaires à inclure ces titres dans leur portefeuille... alimentant encore plus la demande.

Combler un vide

Si les obligations feuille d'érable sont si populaires, c'est qu'elles sont apparues au bon moment. Elles ont profité de la disparition des déficits du gouvernement canadien.

En 1996, les émissions brutes de titres de dette du Canada atteignaient 60 milliards de dollars. «Cela étouffait en quelque sorte les obligations de sociétés», explique James Hately, de la Banque du Canada.

Or, Ottawa dégage maintenant des surplus. Le Canada n'a plus autant besoin d'emprunter. Ses émissions d'obligations ont fondu.

«Cela a créé un vide, au même moment où les caisses de retraite ont un appétit accru pour les obligations», souligne Marc-André Lewis, vice-président chez Natcan. Il gère 13 milliards de titres à revenus fixes, incluant les fonds communs d'obligations de la famille de la Banque Nationale.

Avec les obligations feuille d'érable, 25 nouveaux émetteurs ont pris racines au Canada. Un ajout fort apprécié.

Les trois quarts des émissions provinciales proviennent du Québec et de l'Ontario.

Du côté des sociétés, les financières (banques, sociétés d'assurances, etc.) forment 44% du marché obligataire. «Ça ne fait pas une grosse diversité», dit M. Lewis.

En fait, les douze plus grandes sociétés canadiennes émettrice de titres d'emprunt, forment la moitié de l'indice obligataire de référence. Cette concentration pose problème, ajoute Louis Basque de State Street.

Le combat pour des points de base

Mais ce n'est pas tout. Les obligations feuille d'érable donnent aussi un rendement plus alléchant.

Par exemple, M. Lewis a acheté des obligations de KFW, une banque de développement allemande. Sa dette est entièrement garantie par l'État, ce qui lui vaut une cote de crédit AAA, exactement la même que celle les obligations du Canada.

Mais le rendement des obligations de KFW venant à échéance dans 18 ans, est supérieur de 44 points de base à une obligation du Canada (100 points de base = 1%). Pour une échéance de dix ans, l'écart de rendement s'amenuise: il est d'environ 25 points.

L'écart rétrécit encore lorsqu'on regarde les obligations de sociétés. Par exemple, si on compare les obligations de JP Morgan Chase émises au Canada, aux obligations d'une grande banque canadienne, la différence de rendement n'est plus que de 15 points de base pour une échéance de 10 ans.

Ça paraît peu. Mais c'est considérable. «Nou, on se bat pour aller chercher chaque point de base. 5 à 10 points, c'est énorme!», lance M. Basque. Sa société vient de lancer un produit de gestion actives de titres à revenus fixes, qui utilisera entre autres les obligations feuille d'érable, afin de livrer des rendements 50 à 75 points de base supérieurs. Pour les investisseurs institutionnels seulement...

Juste pour les grands

En ce moment, les particuliers n'ont pratiquement pas accès aux obligations feuille d'érable.

Les emprunteurs étrangers préfèrent émettre leurs titres dans le cadre de placement privé. Cela allège leur fardeau réglementaire (prospectus, états financiers, communications financières, etc.). Un placement privé leur fait économiser du temps et de l'argent, par rapport à une émission publique. «Mais seuls les investisseurs avertis ont le droit d'en acheter», dit M. Lewis.

Tout cela pourrait changer.

«À mesure que les marchés gagneront en maturité, on peut s'attendre à ce que les émetteurs procèdent à des émissions plus fréquentes et privilégient des appels publics», estime M. Hately.

Maintenant que les particuliers peuvent insérer des obligations feuille d'érable dans leur REER, les émetteurs feront peut-être un effort pour s'adresser à eux.

Le marché du détail n'est pas négligeable, même s'il ne se compare pas à celui des régimes de retraite et des fonds communs. Les sommes accumulées dans les REER s'élevaient à près de 600 milliards de dollars en 2005, précise M. Alexander. Ces sommes vont certainement grimper puisque de plus en plus de travailleurs se débrouillent seuls pour financer leur retraite.

«Ainsi, les émetteurs de maple bond jugeront peut-être qu'il y a une belle occasion de vendre leurs titres aux particuliers. Mais comme le fardeau réglementaire sera plus lourd, ils devront considérer les coûts accrus que cela entraînera», enchaîne M. Alexander.

D'ici là, les particuliers profitent quand même des obligations feuille d'érable par la bande.

Plusieurs fonds communs de placement achètent des obligations feuille d'érable. «Il est difficile pour nous de déterminer lesquels en contiennent et combien», avoue Mark Chow, analyste pour la firme d'évaluation de fonds Morningstar.

Mais il cite néanmoins quelques fonds d'obligations qui en détiennent, comme le TD Obligations canadiennes, le Saxon Obligations et le PH&N Obligations.

Huit questions sur les obligations feuilles d'érable

De quoi s'agit-il?

Les obligations «feuilles d'érable», mieux connues sous leur nom anglais maple bonds, sont des titres émis par des emprunteurs étrangers au Canada, en dollars canadiens.

Pourquoi sont-elles si populaires?

Depuis le début de 2005, le marché des obligations feuille d'érable sont en pleine croissance, en raison de l'élimination de la règle qui limitait les investissements étrangers à 30%, dans les régimes de retraite et les régimes enregistrés (REER, FERR, etc.).

Pourquoi se les arrachent-on?

Les obligations feuille d'érable permettent de diversifier son portefeuille, tout en augmentant les rendements, sans être exposé aux fluctuations des devises étrangères.

Quels sont leurs défauts?

Leurs titres sont moins «liquides». Après leur émission, ils sont un peu plus difficiles à revendre sur le marché secondaire. Certains gestionnaires préfèrent donc acheter des obligations feuille d'érable à plus court terme, en vue de les conserver jusqu'à l'échéance.

Qui est derrière?

Les émetteurs d'obligations feuille d'érable sont des institutions très solides... mais souvent moins connues au Canada. L'an dernier, les deux tiers des obligations feuille d'érable ont été émis par des États, des organismes gouvernementaux ou de grandes sociétés financières.

D'où viennent les émetteurs?

La moitié des émissions ont été lancées par des emprunteurs européens, un peu plus de 40% par des américains, et le reste par des emprunteurs de l'Asie ou l'Australie.

Qui achète les obligations feuille d'érable?

Pour l'instant, seulement une centaine de grands investisseurs institutionnels: gestionnaires de portefeuille, banques, compagnies d'assurance, caisses de retraite, etc.

Est-ce un phénomène unique au Canada?

Pas du tout. Les obligations d'émetteurs étrangers sont déjà très populaires dans d'autres pays.

Aux États-Unis, ont les a baptisé les obligations Yankee. Au Royaume-Uni, ce sont les obligations bouledogue, au Japon les obligations Samouraï, en Nouvelle-Zélande les obligations kiwi, et en Australie... les obligations kangourou!

Source: Le marché des obligations feuille d'érable, Banque du Canada