Dans le cadre d'une série d'entrevues réalisées par la Chaire de leadership Pierre-Péladeau, à HEC Montréal, des leaders sont invités à partager leurs réflexions sur des aspects cruciaux de leur travail au quotidien.

Dans le cadre d'une série d'entrevues réalisées par la Chaire de leadership Pierre-Péladeau, à HEC Montréal, des leaders sont invités à partager leurs réflexions sur des aspects cruciaux de leur travail au quotidien.

Voici des extraits d'une entrevue avec Luc Beauregard, président du conseil et chef de la direction de National, le plus important cabinet de relations publiques au Canada. Fondée il y a 30 ans, l'entreprise montréalaise, toujours à propriété canadienne, compte 300 employés, dont les deux tiers oeuvrent hors Québec. Ancien journaliste à La Presse, Luc Beauregard conseille les chefs d'entreprises les plus influents du Québec et du Canada.

Vous avez déjà dit que le leadership est un concept " fuyant ". Qu'entendez-vous par là?

Fuyant dans le sens que le leadership est difficile à cerner. On voyait autrefois plus de leaders flamboyants, au style charismatique. Aujourd'hui, les leaders se font plus discrets. Ils trouvent la source de leur leadership ailleurs que dans des actions d'éclat, bien que certains de leurs gestes puissent l'être à certains moments charnières.

Qu'ont en commun les leaders d'aujourd'hui?

Ce sont des gens responsables, qui prennent la vie au sérieux sans se prendre eux-mêmes au sérieux. Ils font preuve d'entêtement (certains préfèrent dire détermination). Ils poursuivent inlassablement une ambition sur laquelle ils concentrent leurs efforts au quotidien, en gardant un oeil vers l'avenir. Ils travaillent très fort sans compter leurs heures. Ils ont le souci constant de progresser et de faire progresser leur entreprise sans hésiter à tout remettre en cause, y compris eux-mêmes. Ils se concentrent sur trois responsabilités essentielles, que résume bien mon ami André Bérard (ex-président de la Banque Nationale): Développer l'entreprise, récompenser les actionnaires et préparer la relève.

Comment émerge le style de chaque leader?

Le leadership, ce n'est pas quelque chose qui apparaît soudainement. C'est le résultat de l'accumulation de gestes et de décisions prises au quotidien et qui sont majoritairement justes. Les leaders se révèlent dans l'action concrète. La constance dans le bon jugement est à mon sens l'élément clé du leadership, mais ce n'est pas donné à tout le monde. Par la multiplication de bonnes décisions, prises au jour le jour, le leader construit quelque chose de cohérent, qui résulte en certains vecteurs qui ont du bon sens. Il tisse par petits coups une toile qui deviendra un chef-d'oeuvre, peut-être, mais qui n'a rien de spectaculaire au départ. Le chef-d'oeuvre est l'aboutissement d'une longue série de bonnes décisions quotidiennes.

Comment un leader arrive-t- il à exercer son pouvoir?

À force de prendre des décisions qui s'avèrent bonnes, jour après jour, les leaders se bâtissent une crédibilité qui leur donne un ascendant fondé sur les valeurs dans lesquelles ils croient et qui guident leurs actions. Comme elles trouvent un écho qui se confirme dans la réalité, ces valeurs se répercutent partout dans l'entreprise. Elles suscitent l'adhésion des employés qui les traduisent dans leurs propres gestes et décisions au niveau où ils agissent. La résultante de ce cumul de comportements influencés par les valeurs du leader, crée ce qu'on appelle la culture d'entreprise, qui est un concept aussi fuyant que le leadership. C'est une chose indéfinissable mais qui se sent. On le voit dans la façon dont les gens gèrent ou réagissent face aux décisions à prendre.

Dans ce contexte, le leadership hiérarchique a-t-il toujours sa place?

Le leader d'entreprise ne peut plus imposer ses décisions comme on le faisait dans une structure de type militaire. La main-d'oeuvre est plus formée, et je dirais, de plus en plus informée. Il n'est plus possible de dicter des commandements et de s'attendre à ce qu'ils soient suivis à la lettre, aveuglément. Le leader d'aujourd'hui doit arriver à ses fins autrement. Les employés veulent savoir où va l'entreprise, comment elle compte s'y rendre et quel est leur rôle dans l'atteinte de cet objectif. Ils veulent donner leurs points de vue sur le bien-fondé de certaines directions possibles et sur la façon d'y arriver. Le leader qui, lui, sait où il veut aller, doit justifier et expliquer ses décisions. En valorisant le travail en équipe, comme il se doit aujourd'hui, il laissera aux employés la chance de refaire eux-mêmes le chemin intellectuel parcouru pour en venir à une décision qui entraînera l'adhésion de tous.

Comment concilier transparence et leadership?

La transparence est devenue nécessaire à l'exercice du leadership. En relations publiques, on dit en anglais Do it right and let it be known. C'est vrai lorsque les choses vont bien, mais lorsque des erreurs surviennent et provoquent des crises humanitaires, environnementales ou médiatiques, les chefs d'entreprises sont confrontés à ce qu'on appelle la " grande décision ". Doit-on fermer la porte, laisser aller les choses et espérer que le temps guérira tout, en optant pour un silence stratégique? Doit-on excuser les personnes impliquées en mettant un pansement sur un doigt atteint de gangrène? Ou doit-on couper le bras pour éradiquer le mal à la source en faisant le pari de la vérité? Je crois que c'est faire preuve de leadership que de miser sur la transparence. Souvent, le camouflage est pire que la crise elle-même, et le vide apparaît lorsque le leadership est creux.

Le mot de la fin

Luc Beauregard est perçu comme l'antithèse de ce qu'évoquent les mots " relations publiques ". Homme posé, s'exprimant avec calme et retenue, il confirme par sa personne même que le leadership

ne peut se réduire à une simple question d'image, de forme ou d'apparence. En privilégiant la transparence au coeur de son travail, il veut placer la substance et le contenu devant l'image. C'est ce qui nous semble être le noyau dur de tout vrai leadership.

Jacqueline Cardinal est biographe et professionnelle de recherche à la chaire de leadership Pierre-Péladeau de HEC Montréal; Laurent Lapierre en est le titulaire.

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