La logique paraît implacable. En haussant son taux d’intérêt, la Banque du Canada contribue grandement à l’inflation parce qu’elle fait aussi grimper les paiements hypothécaires. La Banque doit donc cesser de hausser son taux directeur, voire songer à le baisser.

Cette dernière salve contre la Banque du Canada vient du chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh. Mercredi, il a dit à ses députés réunis à Ottawa : « Selon la Banque du Canada et Justin Trudeau, monter les taux d’intérêt est censé faire diminuer l’inflation. C’est le but de l’exercice. Mais maintenant, la Banque du Canada est en train de causer l’inflation qu’elle est censée combattre »1.

La critique, bien que factuellement correcte, est bancale pour deux raisons, essentiellement : elle fait fi des effets globaux de la politique monétaire de la Banque, notamment sur le prix des maisons, et elle ignore l’effet limité dans le temps de l’inflation hypothécaire.

D’abord, les faits. En juillet, le coût de l’intérêt hypothécaire a grimpé de 30,6 % par rapport au même mois de 2022, selon les données de Statistique Canada. De tous les postes qui contribuent à l’inflation, c’est l’élément qui a grimpé le plus fortement en juillet.

Sans les intérêts hypothécaires, l’inflation n’aurait pas été de 3,3 % en juillet au Canada, mais de 2,4 %.

Premier commentaire : ce gonflement de 30,6 % des intérêts hypothécaires est pour le mois de juillet seulement. En prenant la moyenne de la dernière année, l’augmentation est plutôt de 20,6 %. Et l’inflation globale sans les intérêts hypothécaires aurait été de 4,8 %, soit moins que les 5,3 % pour l’ensemble.

Bien sûr, l’impact des hausses de taux sur les mensualités hypothécaires n’est pas terminé. Et cette hausse fait très mal – ou fera mal – surtout aux nouveaux propriétaires qui ont acheté dans le haut du marché, en 2021 et 2022, et qui ont pris un taux variable.

D’ici la fin de 2023, les hausses de taux auront touché 47 % des hypothèques, selon les estimations de la Banque du Canada. Et l’autre moitié sera répartie au fil des trois années suivantes, touchant notamment les ménages qui avaient prudemment choisi un taux fixe.

Mais en faisant grimper les taux d’intérêt, la Banque a aussi stoppé net le boom du prix des maisons qui sévissait, contribuant ainsi à freiner de façon draconienne l’inflation hypothécaire éventuelle.

Entre juin 2020 et juin 2022, quand les taux d’intérêt étaient au tapis, le prix des propriétés existantes avait grimpé de 44 % au Canada (40,4 % au Québec), en moyenne, selon l’indice de l’Association canadienne de l’immobilier.

Or, depuis juin 2022 – soit quatre mois après le début de la hausse des taux d’intérêt –, la hausse des prix n’a cessé de ralentir, passant même en territoire négatif en octobre 2022. Si bien que depuis un an, le prix moyen a reculé de 4,9 % au Canada (3,4 % au Québec). Sur graphique, l’impact est frappant.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La hausse du taux directeur et des taux hypothécaires cessera, tôt ou tard. Et les taux finiront par redescendre, lorsque l’inflation sera maîtrisée. Est-ce à la mi-2024, à la fin de 2024, au début de 2025, plus tard ? Personne ne peut le prévoir avec précision.

Chose certaine, quand les taux reculeront, les intérêts hypothécaires finiront par diminuer eux aussi, de la même façon qu’ils ont monté avec la hausse des taux. Et alors, les paiements hypothécaires contribueront à réduire l’inflation. À long terme, d’ailleurs, l’inflation hypothécaire est étroitement liée à l’inflation dans son ensemble.

Ce n’est pas tout. En montant les taux, comme les autres banques centrales dans le monde, la Banque du Canada freine la demande de la plupart des biens et services et incite les gens à placer leur argent plutôt qu’à le dépenser, réduisant ainsi le rythme de l’inflation. L’économie canadienne est plus vaste que le seul marché hypothécaire.

Au fait, depuis un an, les intérêts hypothécaires n’ont pas été le plus grand contributeur de l’inflation. C’est plutôt l’alimentation qui a joué ce rôle.

En moyenne, l’inflation d’ensemble a été de 5,3 % au Canada depuis un an, et elle aurait été de 4,8 % sans la composante des intérêts hypothécaires, mais de 4,5 % sans celle de l’alimentation.

Cet impact plus fort de l’alimentation – dont les prix ont pourtant augmenté deux fois moins que les intérêts hypothécaires – s’explique par le fait que tous subissent l’inflation alimentaire, tandis que seule une partie des Canadiens paient une hypothèque.

Plus précisément, 37 % des Canadiens sont locataires (un peu plus au Québec), alors que 35 % sont propriétaires avec un prêt hypothécaire et 28 % sans prêt hypothécaire, estime la Banque du Canada.

Cette différence explique pourquoi, en 2022, l’alimentation représentait 16,7 % du budget de consommation du ménage, en moyenne, contre seulement 3,8 % pour le coût de l’intérêt hypothécaire, selon Statistique Canada.

Cela dit, l’inflation immobilière ne touche pas seulement les propriétaires, mais également les locataires. Ces derniers ont été davantage épargnés que les propriétaires après la pandémie, mais le rattrapage se fait sentir en 2023.

La hausse des taux d’intérêt fait mal aux nouveaux propriétaires, souvent plus jeunes. Et elle risque de provoquer des défauts de paiements, surtout si le marché de l’emploi s’assombrit.

La pression des politiciens continuera donc d’être forte sur la Banque du Canada, comme chaque cycle haussier des taux. Ce passage est malheureusement le dur prix à payer pour avoir une économie plus stable à long terme.

1. Consultez l’article « Politique monétaire : la Banque du Canada ‟cause l’inflation qu’elle est censée combattre », affirme Singh »