« À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne moins de 56 000 $, j’empire mon problème. À plus de 56 000 $, j’améliore ma situation. »

Vous vous rappelez cette déclaration ? Elle a été faite par François Legault à une assemblée privée du Conseil du patronat du Québec (CPQ), en mai dernier.

A suivi un débat houleux sur la pertinence ou non de cette approche, qui vise à attirer de nouveaux arrivants qui gagnent davantage que le salaire moyen de 56 000 $ du Québec. Et qui ferait en sorte que ces immigrants – comme les nouveaux emplois qui sont en général créés au Québec – servent l’objectif de la CAQ de voir nos salaires rattraper ceux de l’Ontario, « notamment avec des jobs payantes ».

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Dans ce contexte, l’Institut du Québec vient de faire paraître une étude sur les salaires du Québec et de l’Ontario. Les chercheurs Mia Homsy et Simon Savard font des constats fort intéressants.

Première remarque : le salaire de quelque 56 000 $ en 2019 pour les employés à temps plein englobe les employés du public et du privé. Si l’on retranche le public, le salaire moyen des temps pleins tombe à 52 700 $ au Québec.

Bref, une stratégie qui viserait, en toute logique, davantage le secteur privé que le public devrait avoir pour cible 52 700 $ au lieu de 56 000 $.

Et en Ontario ? Nos voisins qui travaillent dans le privé à temps plein font plutôt 57 800 $, ce qui correspond à un écart de 8,8 % en leur faveur.

Est-ce la différence à combler ? Pas nécessairement. Environ le tiers de cet écart s’explique par le moins grand nombre d’heures travaillées au Québec (38,7 heures) qu’en Ontario (39,6 heures) et par une structure industrielle différente (il y a davantage d’emplois dans le secteur financier en Ontario, par exemple).

En redressant la situation pour rendre les deux provinces comparables, l’écart de salaire tombe à 5,8 %. Voilà donc la différence à combler, une cible qui est ambitieuse, mais atteignable en quelques années, selon moi.

L’étude constate qu’en Ontario, les emplois du secteur privé sont plus payants qu’ici dans les secteurs des services professionnels, scientifiques et techniques, ainsi que dans le commerce de détail et de gros ou dans les soins de santé privés, par exemple.

À l’inverse, au Québec, les travailleurs de la construction sont un peu mieux payés qu’en Ontario (l’écart du salaire horaire est de 3,1 %).

Autre découverte des chercheurs : l’écart de 5,8 % s’explique notamment parce que les Ontariens comptent davantage d’emplois payés plus de 28 $ l’heure qu’au Québec.

Ainsi, près de 39 % des employés à temps plein du privé gagnent plus de 28 $ l’heure, contre seulement 34 % au Québec. Plus encore : dans ce sous-groupe des 28 $ et plus, 44 % font plus de 40 $ l’heure en Ontario, contre 38 % au Québec.

Qu’est-ce qui explique ces écarts ? Selon l’IDQ, la différence est essentiellement attribuable à une plus grande productivité du travail en Ontario qu’au Québec. Les chercheurs constatent justement qu’au Québec, le PIB est de 54,10 $ par heure travaillée, contre 57,30 $ en Ontario, une différence de 5,9 %, semblable à l’écart de 5,8 % des salaires horaires moyens.

Cet écart pourrait aussi s’expliquer par la plus grande taille des entreprises ontariennes ou par la plus grande proportion qui exportent. « L’écart est un peu réduit si l’on tient compte du coût de la vie, mais pas totalement », dit Mme Homsy.

La productivité, on l’a dit souvent, est LE facteur à améliorer au Québec pour voir nos salaires augmenter plus vite que l’inflation. Et pour rattraper nos voisins.

Justement, à ce sujet, Mia Homsy juge que pour augmenter les salaires, il faut tenter d’accroître la productivité de l’ensemble des travailleurs, et non seulement miser sur des emplois à salaires plus élevés, comme le propose François Legault. « Il faut éviter de faire des choix mécaniques pour les projets, basés sur un salaire donné, par exemple 56 000 $. Souvent, les emplois payants reposent sur la création d’emplois moins payants », dit-elle.

Ce que j’en pense ? Que la migration de notre économie vers des emplois à plus forte valeur ajoutée est essentielle à la hausse de notre niveau de vie. C’est ce que disait Bernard Landry il y a très longtemps, comme François Legault aujourd’hui avec son approche comptable des emplois à 56 000 $, bien qu’elle manque de nuances.

« C’est correct de développer des emplois à forte valeur ajoutée, dit de son côté Mme Homsy, mais il faut beaucoup de temps pour changer une structure industrielle. » Selon elle, il est crucial d’améliorer la formation des travailleurs pour augmenter la productivité, notamment pour les outils technologiques.