On annonçait « presque » sa naissance en janvier, pourtant ce n’est qu’à la fin du mois d’octobre que le fameux code de conduite visant à assainir les relations entre les supermarchés et les fournisseurs verra le jour au pays. Bien que l’encre ne soit pas encore sèche, certains transformateurs émettent déjà des doutes sur son efficacité et des détaillants hésitent encore à y adhérer, s’il conserve sa forme actuelle.

Pourtant, sa mise en application pourrait permettre à long terme aux consommateurs de payer en épicerie le « meilleur prix » que l’industrie peut offrir, estime le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne.

Des frais de 400 $ pour une palette à peine abîmée alors que les produits sont en bon état, une facture de 150 $ pour un questionnaire envoyé par un détaillant à ses fournisseurs, peu importe si ceux-ci y répondent ou non, des frais chargés aux transformateurs pour contribuer à la mise en place d’un programme de fidélité. Voilà autant de pratiques auxquelles les épiceries ont recours et qui sont vivement dénoncées par ceux qui fournissent la marchandise en magasin. L’établissement du code de conduite, véritable chien de garde de l’industrie, devrait contribuer à améliorer les relations. Le ministre Lamontagne compte parmi ceux qui ont bataillé fort pour mieux encadrer les pratiques commerciales. Alors qu’en début d’année, il ne manquait en principe que quelques formalités à régler pour le livrer au début de l’été, il sera finalement prêt pour l’Halloween. Selon le ministre, il entrerait en vigueur au début de 2024.

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André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec

« On voit la piste d’atterrissage. On est rendus très près », a assuré M. Lamontagne, au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse. Mais comment expliquer que la durée du « vol » ait été plus longue que prévu ? « Ce sont des processus qui sont longs, justifie-t-il. C’est une grosse affaire. Ça implique beaucoup de monde. »

Après de nombreuses consultations, le processus est actuellement en « phase finale », assure-t-il. Actuellement, on s’affaire à confirmer avec les entreprises concernées (détaillants, fabricants) leur adhésion au code.

Alors que le gouvernement fédéral fait des pressions sur les grandes chaînes pour qu’elles mettent en place des mesures pour faire diminuer la facture d’épicerie, l’implantation du code pourrait également permettre aux consommateurs de payer pour les denrées le meilleur prix que l’industrie puisse offrir, selon M. Lamontagne.

« C’est certain que le code, ce n’est pas quelque chose à court terme. Mais à partir du moment où tous les joueurs [s’engagent] à avoir plus de transparence, plus d’équité, je me dis qu’ultimement, on va avoir le meilleur de cette chaîne-là. Et le prix auquel va faire face le consommateur, ça va être le meilleur prix que toute cette chaîne-là est en mesure d’offrir. »

Scepticisme

Le ministre assure qu’un très grand nombre d’acteurs se sont déjà ralliés. Et le ministre fédéral de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a de son côté profité d’une conférence de presse à Ottawa la semaine dernière pour réclamer à son tour la mise en place du fameux code de conduite. Toutefois, plusieurs transformateurs interrogés par La Presse n’ont pas caché leur scepticisme et doutent que ce dernier – auquel l’adhésion est volontaire et n’est forcée par aucune loi – puisse réussir à changer un modus operandi bien implanté par les détaillants.

« J’émets quand même certains doutes, mentionne Élaine Bélanger, copropriétaire et vice-présidente aux opérations de Maison Orphée, entreprise spécialisée dans la fabrication d’huiles, de vinaigrettes et de moutardes. C’est un code de conduite qui est volontaire », insiste-t-elle.

« Il y a beaucoup de décisions qui se prennent de manière unilatérale. On sent souvent, en tant que transformateur, qu’on se retrouve avec la patate chaude. » Mme Bélanger se demande jusqu’à quel point le code de conduite pourrait renverser la vapeur.

Du côté de Prana, entreprise notamment connue pour ses mélanges de noix, la cofondatrice, Marie-Josée Richer, prône la « transparence » dans les relations entre les différents maillons de la chaîne. Est-ce qu’un code permettrait d’y arriver ? « Je ne le sais pas », laisse-t-elle tomber.

C’est un code qui n’a pas de dents. Ça ne va rien changer. Je n’ai pas d’espoir.

Un transformateur qui veut garder l’anonymat par crainte d’envenimer ses relations avec les détaillants

Parmi les cinq grandes enseignes (Metro, Loblaw, IGA, Costco et Walmart), toutes n’ont pas encore donné leur appui au code. « Il y en a qui se posent certaines questions, reconnaît le ministre Lamontagne. Je les invite toutes à avoir une prise de conscience à savoir que ce qui est en train de se passer, c’est historique. »

Loblaw (Maxi, Provigo) assure être en accord avec l’idée d’implanter un code, mais hésite à appuyer la version actuelle de celui que l’on est en train de peaufiner.

« Loblaw continue de participer activement aux discussions entourant le code de conduite et souhaite faire partie des signataires d’un tel code visant à assurer équité, transparence et cohérence pour l’ensemble des parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement », a indiqué par courriel sa directrice principale, affaires corporatives et communication, Johanne Héroux.

« Toutefois, nous ne pourrons adhérer à un code qui risquerait d’entraîner une hausse du prix des aliments. Nous demeurons optimistes quant à notre capacité à nous entendre sur un code qui réponde à ces objectifs et nous travaillerons activement au cours des prochaines semaines de concert avec les autres parties prenantes de l’industrie dans le but d’en arriver à une version plus acceptable. »

Dans une réponse laconique, le porte-parole de Walmart, Steeve Azoulay, a simplement affirmé que le détaillant participait « activement aux discussions de l’industrie et fournissait des commentaires sur l’ébauche du code de conduite de l’épicerie ».

Du côté de Metro, toutefois, on affirme vouloir y adhérer.

Nous avons et continuons à jouer un rôle actif dans son développement.

Marie-Claude Bacon, vice-présidente affaires publiques et communications de Metro

IGA et Costco n’ont pas répondu aux questions de La Presse.

Pour le moment, M. Lamontagne ne veut montrer aucune enseigne du doigt puisque les discussions ne sont pas encore terminées et qu’il estime que tout le monde est de « bonne foi ».

Il a toutefois laissé entendre qu’à la fin du processus, il n’hésiterait pas à questionner « publiquement » une entreprise sur ses motivations à ne pas adhérer au code.

Le code de conduite

Objectif : assainir les relations entre les épiceries et les fournisseurs

Début des travaux : novembre 2020

Somme dépensée par Québec jusqu’à maintenant, pour les études et les consultations avec les différents acteurs de l’industrie : 328 400 $

Entrée en vigueur : début 2024

Formation du Bureau du surintendant du code pour le secteur des produits d’épicerie : début 2024 (son rôle sera de conseiller l’industrie et de régler les différends)

Coût d’implantation du code : pour les deux premières années, les gouvernements fédéral et provinciaux paieront un peu moins de 2 millions.