Deux frères célibataires se demandent s’ils pourraient bénéficier avant sa mort d’une partie des 159 000 $ que leur mère de 90 ans détient en CELI, pour profiter des intérêts. Mais leur mère peut-elle vraiment s’en passer ?

La situation

« Nous sommes une famille essentiellement composée de mon frère, ma mère et moi », relate Martin*.

Il est âgé de 58 ans. Son frère Jocelyn* a 55 ans.

« Mon frère travaille, il a deux emplois précaires, mais ça lui convient. De mon côté, je suis en arrêt de travail pour invalidité depuis trois ans, et je vis avec 17 000 $ par année. »

Leur mère aura 91 ans à l’automne.

« Nous aimerions savoir quelle est la meilleure façon pour ma mère de donner de son vivant sans que cela ait trop incidences fiscales, explique Martin. Elle dispose d’environ 68 000 $ dans son FERR [fonds enregistré de revenu de retraite] et 159 000 $ dans son CELI [compte d’épargne libre d’impôt]. Elle a également un peu plus de 10 000 $ dans un compte non enregistré. »

Sa mère, en bonne santé, vit depuis une vingtaine d’années dans le même logement d’une résidence privée pour aînés (RPA), pour lequel elle verse un loyer de 1448 $, plus 243 $ pour 15 repas par mois.

« Les rentes qu’elle reçoit couvrent son loyer et ses petites dépenses », indique Martin.

« Je dis toujours à ma mère qu’elle n’a pas à s’inquiéter, et que si son train de vie reste le même et que ses besoins restent les mêmes, elle a assez d’argent pour vivre jusqu’à la fin de ses jours. »

« Quoiqu’avec la vieillesse et le temps, on peut imaginer qu’elle aura besoin davantage de confort et de soins », nuance-t-il.

Puisqu’elle n’en a pas immédiatement l’usage, les deux frères se demandent si une certaine somme ne pourrait pas être transférée du CELI de leur mère à leurs CELI respectifs.

« Elle est au courant évidemment que j’entreprends cette démarche, et elle est curieuse », assure Martin.

Un montant a-t-il été envisagé ?

« Pas du tout ! répond-il. Devant ma mère et la personne qui s’occupe de ses placements, je disais : “Maman, tu ne touches pas à ton argent dans ton CELI et il ne sert à rien. À la limite, il pourrait être dans le CELI de Jocelyn ou le mien, jusqu’à concurrence d’un certain montant. Si tu en as besoin, on le sort et on te le donne. Cet argent t’appartient, mais c’est comme si on pouvait le tenir jusqu’à ton décès.” »

Ils ne le dépenseraient pas pour autant, « mais tant qu’à toucher des intérêts, ce serait peut-être plus intéressant que ses garçons puissent en bénéficier », fait-il valoir.

Il n’y a aucun autre héritier que la mère et ses deux fils dans leurs testaments respectifs, précise-t-il.

« Ma mère a confiance en nous. Il s’agit juste de voir s’il y a un intérêt à le faire ou non. »

« On a besoin de direction. »

Les chiffres

Martin, 58 ans

Revenus : 17 000 $

REER : 235 000 $

CELI : 145 000 $

Jocelyn, 55 ans

Revenus : de 30 000 $ à 40 000 $

REER : 110 000 $

CELI : 4500 $

Leur mère, 90 ans

Ses revenus mensuels selon son relevé de compte

Rente de conjoint survivant : 520 $/mois

Crédit pour maintien à domicile : 187 $/mois

RRQ : 495 $/mois

PSV et SRG : 936 $/mois

Crédit de solidarité : 96 $/mois

Retrait du FERR : non spécifié

Ses épargnes

FERR : 68 000 $

CELI : 159 000 $

Épargne non enregistrée : 10 000 $

Compte courant : 14 000 $

La réponse

Martin et son frère ont concrétisé leur excellente intention de demander un avis compétent et informé avant de passer aux actes.

Cet avis compétent et informé est donné par le fiscaliste et planificateur financier Charles Hunter-Villeneuve, expert-conseil au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion Privée 1859.

Le cas du CELI

Réglons d’abord le cas du CELI.

Une certaine somme pourrait-elle être transférée du CELI de la mère à ceux des deux frères ?

« Non », répond sans ambiguïté notre conseiller.

PHOTO FOURNIE PAR LA BANQUE NATIONALE

Charles Hunter-Villeneuve, expert-conseil au Centre d’expertise de Banque Nationale Gestion Privée 1859

« Premièrement, ce serait un retrait du CELI de la mère suivi d’un don en argent à ses fils et non un transfert direct. Deuxièmement, Martin a 145 000 $ en CELI, alors je doute qu’il ait les droits nécessaires pour pouvoir cotiser la somme reçue de sa mère en CELI, à moins qu’il ait vraiment obtenu de bons rendements ! » Ce qui est le cas.

Martin et son frère pourront tout de même vérifier à combien s’élèvent leurs droits de cotisation au CELI en consultant Mon dossier sur le site du gouvernement du Canada.

Mais de toute manière, la stratégie de retirer une partie du CELI de la mère pour la partager entre ses fils, à la condition que ceux-ci lui versent une partie de l’argent si elle en a besoin, comporte de grands risques.

Malgré la bonne volonté exprimée par les deux fils, rien ne garantit que les sommes seront disponibles – ou existeront encore – au moment où leur mère en fera la demande.

Si elle en manifestait le besoin dans l’année où elle a extrait les sommes de son CELI, « elle serait en excédent et des pénalités salées pourraient s’appliquer », explique Charles Hunter-Villeneuve. Hors CELI, le rendement serait imposable.

Même si les deux frères avaient tout l’espace nécessaire dans leurs CELI, « il serait préférable que leur mère garde son CELI et fasse des dons à ses fils quand bon lui semble selon l’évolution de son état de santé », avise le planificateur.

Ils hériteront du solde à sa mort. « S’il en reste », ajoute-t-il.

Mais quels dons ?

La question du coût de vie

Martin a répété à sa mère que « si son train de vie reste le même et que ses besoins restent les mêmes, elle a assez d’argent pour vivre jusqu’à la fin de ses jours ».

C’est là le fond du problème. Sa mère, âgée de 91 ans, montre déjà des signes de faiblesse, et il y a de très fortes probabilités – Martin le reconnaît lui-même – qu’elle doive requérir d’ici peu des services plus étendus.

Or, Martin n’a qu’une idée imprécise du train de vie actuel de sa mère.

Charles Hunter-Villeneuve aurait pu l’estimer sur la base de son revenu de rentes net, qui correspond approximativement à ses dépenses, estime son fils. « J’ai pris l’approche inverse, soit de calculer le coût de vie maximal qu’elle pourrait se permettre jusqu’à ses 97 ans, selon les données fournies », dit le planificateur.

Âgée de 91 ans au 1er janvier prochain, la dame devra faire en 2024 un retrait d’au moins 13 % de son FERR, soit environ 8450 $.

En y ajoutant ses rentes privées et publiques, notre conseiller estime son revenu imposable indexé à 31 500 $ par année.

À ce revenu peuvent s’ajouter des retraits non imposables de son CELI de 159 000 $ et de ses épargnes non enregistrées de 10 000 $.

En appliquant un rendement après frais de 2,2 % pour des placements à risque nul, il estime qu’elle peut soutenir jusqu’à 97 ans des dépenses indexées d’environ 60 000 $ par année, sans compter le crédit pour TPS et le crédit pour solidarité.

Il s’agit d’un budget de 5000 $ par mois.

« Chaque mois, elle pourrait faire le don en argent à ses fils de l’excédent budgétaire, selon ses besoins », imagine Charles Hunter-Villeneuve.

Supposons que son coût de vie s’établit actuellement à 2500 $ par mois – une estimation raisonnable, en estimant des revenus bruts de rentes et de FERR de 31 500 $ par année.

Chaque mois, elle pourrait partager les 2500 $ restants entre ses fils. Si elle doit dépenser davantage pendant un mois ou deux, elle leur en transférera moins. Si elle doit déménager dans une résidence qui offre davantage de services, elle pourra consacrer l’essentiel de ses 5000 $ mensuels à ses propres besoins.

« Ça lui permet de garder le contrôle sur son argent », indique Charles Hunter-Villeneuve.

Une incertitude

Il demeure toutefois une incertitude, soulève le planificateur : ces 5000 $ suffiraient-ils à payer un éventuel séjour dans un établissement spécialisé ?

En CHSLD public ou privé conventionné, la contribution pour une chambre privée est plafonnée à 2080 $ par mois. S’y ajoutent les petites dépenses personnelles. Dans les CHSLD privés non conventionnés toutefois, le coût peut varier entre 5000 et 8000 $, selon le site Bonjour Résidences.

En guise de précautions, il serait plus raisonnable de réduire le don mensuel partageable entre les fils à un montant qui la mettra à l’aise.

Et plus raisonnable encore que leur mère profite sereinement de l’entièreté de ses épargnes jusqu’à ce que ses conditions d’hébergement soient définitivement fixées.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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