Le stratège boursier montréalais François Trahan a encore été désigné stratège boursier numéro 1 de Wall Street en 2013. Si beaucoup d'analystes avaient des attentes de rendement modestes pour l'année qui s'achève, François Trahan, lui, a exprimé l'avis que les multiples allaient augmenter en 2013 et que les titres du secteur de la consommation devaient être favorisés.

L'histoire a donné raison à François Trahan alors que l'indice S&P 500 va terminer l'année avec une appréciation de plus de 30% et que les titres des entreprises liées aux dépenses discrétionnaires ont enregistré parmi les plus fortes valorisations du marché boursier américain.

Selon François Trahan, maintenant stratège boursier et associé de la nouvelle firme Cornerstone Macro - qu'il a cofondée avec d'anciens collègues de l'ISI Group -, la Bourse américaine n'a pas épuisé toutes ses ressources et devrait connaître encore une forte valorisation en 2014.

«Le marché a complètement changé en raison, notamment, du repositionnement de l'économie chinoise qui a fait baisser depuis deux ou trois ans le prix des matières premières.

«La Chine a surconstruit - que ce soient des centres commerciaux ou des aéroports - et a mis la pédale douce. Le pays veut maintenant que son économie soit davantage alimentée par la consommation.

«La chute des prix des matières premières a fait reculer l'inflation dans les pays industrialisés et a dynamisé l'économie américaine, qui repose à 72% sur les dépenses à la consommation», observe François Trahan.

Le stratège souligne encore que, durant les années 2000, lorsque les prix des matières premières étaient en hausse, l'inflation a comprimé les rendements boursiers. Les investisseurs se sont alors tournés vers les titres à dividendes.

On est revenu depuis deux ans, selon lui, aux évaluations boursières qui avaient cours durant les années 90.

«En 2000, les titres s'échangeaient à un multiple de 25 fois les profits. Cette valorisation est tombée au plus bas de la crise financière, en mars 2009, à un multiple de 8 pour revenir l'an dernier à 13 et à 15 cette année. D'ici cinq ans, on pourrait retrouver un multiple de 20», anticipe l'analyste.

François Trahan convient que les titres du secteur de la consommation ont atteint des niveaux élevés en 2013 même si plusieurs ont livré des profits très modestes, mais il fait une analogie intéressante avec le marché haussier des années90.

«Beaucoup de titres de technologie avaient atteint des niveaux très élevés en 1996, mais cela ne les a pas empêchés de poursuivre leur appréciation, parfois de plus de 400%, jusqu'en 2000. C'est pour ça que je compare les titres de consommation aux technos de 1996.»

C'est cette nouvelle réalité de marché qui a permis à plusieurs places boursières de pays industrialisés de s'apprécier comme elles l'ont fait en 2013, mais c'est ce qui explique aussi pourquoi la Bourse de Toronto, très liée aux titres de ressources, a connu de moins bonnes performances.

«On ne voit pas de reprise de la croissance dans les pays émergents. L'économie canadienne va s'en ressentir et la Bourse canadienne aussi», constate-t-il.

Le temple de la renommée

Si François Trahan a été désigné pour la septième fois en neuf ans stratège boursier numéro 1 de Wall Street pour 2013, il a aussi connu une année chargée. Il a cofondé une firme de recherche, Cornerstone Macro, après avoir quitté Wolfe Trahan, la société avec qui il était associé depuis 2010.

«Ç'a été un concours de circonstances particulier. Je me suis joint à Wolfe Trahan après avoir quitté l'ISI Group, une firme de recherche indépendante avec laquelle j'ai connu mes meilleures années en 2007-2008», explique-t-il.

François Trahan est un spécialiste de l'analyse macroéconomique, il ne veut pas faire de micro, tout comme il ne souhaite pas être associé à une firme qui a des activités de financement et de recommandation de titres, une des raisons pour lesquelles il avait quitté Bear Stearns, en 2007. Un amateur de recherche pure et indépendante.

Or, le fondateur d'ISI Group a fait prendre un virage plus commercial à sa firme, ce qui a provoqué le départ de Trahan qui a été suivi par plusieurs autres analystes réputés de la firme, dont Nancy Lazar, économiste et cofondatrice d'ISI Group.

«Nancy Lazar, qui est l'une des meilleures économistes du monde, m'a joint au début du mois de janvier 2013 avec Andy Laperriere, grand analyste des politiques fiscales à Washington, et Roberto Perli, un ancien dirigeant de la Fed qui a activement participé au sauvetage des marchés financiers de 2007 et 2008.

«On est tous des anciens d'ISI Group et on a décidé de fonder une firme de recherche macro indépendante en étant les meilleurs dans nos domaines. Je suis le meilleur dans ce que je fais et j'aime mieux ça que d'essayer d'être le meilleur dans tout», explique-t-il.

Le 30 avril, l'annonce du passage de Trahan chez Cornerstone Macro a semé un certain émoi sur Wall Street. Trahan et son équipe de six assistants qui l'avaient suivi lors de son départ d'ISI Group pour Wolfe Trahan ont rejoint les trois autres spécialistes et leurs équipes.

«Un de mes clients de la nouvelle firme désigne Cornerstone comme étant le "Macro Hall of Fame".» Les quatre partenaires sont tous au sommet du classement d'Institutional Investor, la bible de l'industrie.

«On veut recréer les belles années d'ISI Group», résume le stratège, qui passe le temps des Fêtes au Québec, entre sa maison des Cantons-de-l'Est et celle de Montréal.

Le prestigieux diplômé de HEC Montréal avait créé l'an dernier à Montréal Gestion de capital Trahan, avec le projet de mettre sur pied un fonds de couverture pour les investisseurs institutionnels. Mais il a mis fin à l'aventure en cours d'année.

«Ce n'était pas une bonne idée. Les fonds de couverture sont un instrument des années 2000, lorsqu'il fallait se protéger contre les baisses de marché. Mais aujourd'hui, chercher à produire un rendement positif absolu de 5 ou 8% quand les marchés produisent 30%, ce n'est pas très utile», expose-t-il.

Le gestionnaire a donc redéménagé sa famille de quatre jeunes enfants à New York, où les plus âgés fréquentent une école française.

«On rentre souvent au Québec, mes enfants passent l'été ici. Mais ce n'est pas toujours évident. J'ai résidé plus de deux ans à Montréal et je n'ai jamais réussi à trouver un médecin de famille. Mais on va revenir s'établir ici pour de bon dans quelques années, ça, c'est certain», projette celui dont les prévisions sont habituellement plutôt fiables...