Les fabricants de produits de beauté nous la promettent depuis si longtemps, l'éternelle jeunesse, que personne ne croit plus en leurs boniments. Ce qui ne nous empêche pas d'espérer un jour, peut-être, le soin qui fera des miracles. Le Japon, où la population est la plus vieille du monde, travaille beaucoup là-dessus. Et il nous donne des raisons de continuer d'espérer.

Le thé est servi, les présentations sont faites, l'exposé peut commencer. Il n'a pas été invité mais il est bien présent, ce sentiment de scepticisme, de mon côté de la table.

Le docteur Sadaki Takata s'apprête à m'expliquer comment son employeur, le grand fabricant de cosmétiques Shiseido, obtient des résultats remarquables avec ses séminaires de beauté auprès des personnes âgées.

«On voit fréquemment des miracles se produire», lance le directeur général adjoint du Centre de recherche en cosmétologie appliquée de Shiseido, dans les bureaux de verre du centre-ville de la capitale. Le scepticisme monte d'un cran.

Shiseido organise depuis 1975 des activités de soins de la peau et de maquillage spécifiquement conçues pour les personnes âgées dans les hôpitaux et les maisons de retraite.

Il n'est pas question ici d'estomper quelques rides ou de raviver l'éclat d'une peau terne, comme le promettent tous les fabricants de cosmétiques du monde. Il s'agit de faire revenir un peu de vie dans le cerveau profondément atteint de personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer et d'autres formes de démence.

Et ça marche, assure le bon docteur qui, après deux décennies à faire de la recherche fondamentale chez Shiseido, est passé au côté pratique des choses. Plus précisément, il s'intéresse maintenant au pouvoir des cosmétiques sur l'amélioration de la qualité de vie des personnes souffrant de problèmes cognitifs.

Et pourquoi pas? Quand on sait qu'en période de déprime économique, les ventes de tubes de rouge à lèvres augmentent, tout semble possible.

Des résultats, Sadaki Takata en a à présenter. Une femme murée dans le silence s'est remise à parler après avoir fréquenté les séminaires de beauté organisés par Shiseido à sa maison de retraite, affirme-t-il.

Le médecin a lui-même été témoin d'un de ces événements remarquables. Il a vu une dame clouée à un fauteuil se lever et se remettre à marcher. «C'est arrivé sous mes yeux», assure-t-il.

La télé en a parlé. Il me montre un reportage vidéo dans lequel on voit une dame avant et après la fréquentation des séminaires pendant une durée d'un an. Sa présence d'esprit s'est améliorée, son mari est content de voir qu'elle a recommencé à se maquiller toute seule. Un signe qu'elle va mieux, selon le mari ravi.

Pom pom pom

Shiseido a organisé l'an dernier 2185 de ces séminaires, auxquels près de 40 000 personnes âgées souffrant de problèmes cognitifs ont participé. Les séminaires de beauté qui s'adressent à ces personnes ne sont pas différents de ceux qui s'adressent aux autres clientèles de l'entreprise, explique le médecin. Les produits utilisés diffèrent, et il ne faut pas trop s'en faire si le fard déborde des cibles habituelles.

«L'idée du séminaire, c'est d'avoir du plaisir et de s'amuser, dit-il. Les employées qui le dirigent utilisent des chansons et des rimettes pour mettre de la bonne humeur dans l'exercice», ajoute-t-il, en mimant et en disant quelque chose qui sonne comme «ta-ta-ta, pom, pom pom», ce qui, selon l'interprète, pourrait se traduire par «et ça tourne et ça tourne, et tape, tape, tape...». Bref, rien de bien compliqué.

L'exercice a beau être amusant, ses résultats sont mesurés très sérieusement, avec les appareils utilisés par les scientifiques pour évaluer les problèmes cognitifs. Les indicateurs comme l'apport d'oxygène au cerveau (TRS), le niveau de l'hormone de stress et la circulation des ondes cérébrales montrent une amélioration durable de l'état des personnes qui ont participé aux séminaires pendant une période de six mois à un an, explique, chiffres à l'appui, le Dr Takata.

Concrètement, les personnes testées ont l'esprit plus présent, elles prennent davantage soin d'elles et ont moins de sautes d'humeur. Plusieurs se remettent à utiliser les toilettes et n'ont plus besoin de couches. Leur qualité de vie s'est améliorée, même si elles sont toujours malades.

C'est la contribution de l'entreprise au problème du vieillissement de la population, conclut le chercheur.

«Shiseido ne veut pas seulement aider les personnes à être plus belles, mais aussi à vivre mieux. Ce n'est pas une vue de l'esprit. Et c'est de plus en plus reconnu par la communauté scientifique».

Le scepticisme, qui s'était un peu assoupi, se réveille. N'est-ce pas l'attention portée aux personnes âgées, plus que les produits de beauté, qui explique l'impact positif des séminaires?

«Les produits de beauté sont un outil de communication, reconnaît le scientifique. Mais on va plus loin. Shiseido fait de la recherche et développe des produits spécifiquement destinés à cette clientèle. On utilise des arômes et des textures propices à la détente et qui ont des effets prouvés sur le cerveau», répond-il, ayant anticipé la question.

Les Japonais, on le sait, aiment beaucoup les chiffres. Sadaki Tanaka en avait gardé en réserve pour la fin. L'impact des séminaires de beauté peut se calculer en yens sonnants et trébuchants, assène-t-il. «Si une personne âgée se porte mieux, on peut traduire ça par une réduction du coût des médicaments de 150 000$ par année».

L'État japonais croule sous une dette équivalant à 200% du PIB. Comme c'est lui qui paie 90% de la facture de médicaments des 75 ans et plus, c'est toujours ça de pris.

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Des expériences qui comptent

Serge Gauthier connaît bien le Japon. Ce médecin de renommée mondiale, qui dirige l'Unité de recherche sur la maladie d'Alzheimer au Centre d'études sur le vieillissement de l'Université McGill, s'intéresse beaucoup à ce qui se passe au pays du Soleil-Levant. Mais il ne connaissait pas les séminaires de Shiseido.

Alors, docteur? Qu'en pensez-vous?

Il croit que ces initiatives ont leur place dans le traitement de la maladie d'Alzheimer. «Il s'agit d'un traitement complémentaire, qui peut atténuer les symptômes de la maladie», répond-il.

La maladie d'Alzheimer ne se guérit pas, rappelle-t-il. Depuis 10 ans, il existe des médicaments qui réussissent à prolonger le stade modéré de la maladie, mais qui n'empêchent pas sa progression.

Ces médicaments (Aricept, Reminyl, Exelon) ont leurs limites et devraient bientôt être remplacés par d'autres, plus performants. Dans l'intervalle, «c'est bon qu'il y ait des solutions de rechange non pharmacologiques à l'essai», estime Serge Gauthier.

Le médecin est même convaincu que ces traitements alternatifs ont autant d'effet positif que la médication chez des gens au même stade de la maladie. «Si vous combinez les deux, c'est encore mieux», précise-t-il.

Serge Gauthier connaît bien d'autres expériences du même type. La zoothérapie peut avoir des effets positifs sur le malade, comme l'aromathérapie, très utilisée en Angleterre. «On a recours à des odeurs agréables avec beaucoup de succès pour prévenir l'anxiété associée à la maladie d'Alzheimer.»

En Angleterre, c'est l'odeur de la lavande qui fait des miracles, dit-il. Ici, ce serait probablement autre chose. «Le pâté chinois?» risque-t-il, sourire en coin.

Le spécialiste est le coauteur, avec Judes Poirier, d'un guide sur la maladie d'Alzheimer qui vient de paraître. Il croit que l'interaction avec le malade est aussi importante que le moyen utilisé.

«C'est aussi vrai pour la médication. On croit que l'interaction avec le médecin et son équipe, les visites régulières pour surveiller la thérapie, c'est peut-être plus efficace que le traitement lui-même.»

L'utilisation des produits de beauté, qu'ils aient ou non des propriétés rajeunissantes, a le mérite d'augmenter la perception des gens par rapport à eux-mêmes. Tout ce qui augmente la qualité de vie sans mettre la vie des personnes en danger vaut la peine d'être utilisé, conclut le médecin.

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Shiseido, Fondée à Tokyo en 1872, Revenus de 8 milliards $ US (2011)