Le procès Kerviel et sa trentaine de témoignages n'ont pas percé les secrets du métier de trader, entre un prévenu qui a décrit un monde de folie où la fin justifierait les moyens et une banque soucieuse d'affirmer une vertu retrouvée.

«Pensez-vous que si vous disiez le moindre mal de la Société Générale vous seriez encore employé demain?» Posée dès la première semaine à un jeune trader par l'avocat de Jérôme Kerviel, Me Olivier Metzner, cette remarque a planté le décor : jusqu'au bout, les témoignages de salariés de la banque, ou d'anciens employés partis avec indemnités et clauses de confidentialité, seraient entachés de suspicion.

«En tant que traders, on se bat tous au quotidien pour faire gagner un peu d'argent à la banque», disait modestement ce témoin, grand jeune homme timide, aux antipodes de l'image du «golden boy». Il était seul ce jour-là, sur quatre anciens collègues de Jérôme Kerviel cités par la défense, à avoir répondu présent.

Le prévenu, jugé pour avoir exposé la banque sur les marchés financiers pour des dizaines de milliards d'euros, avec une perte finale de 4,9 milliards début 2008, était-il stressé? «Oui, sans doute, dans une salle de marché, on travaille tous énormément», concédait le témoin.

Trader, un «métier de l'extrême»? «Pas du tout», a expliqué un trader «senior», responsable d'une équipe d'une dizaine de personnes. «Les qualités que je recherche : rigueur, discipline et transparence», ajoutait-il.

Quant à la salle de marché, «lieu de haute spéculation»? «Absolument pas!», a-t-il affirmé. «Ce n'est pas le métier d'une banque de jouer à la hausse ou à la baisse», dira aussi l'ancien PDG Daniel Bouton. «On encourage les traders à savoir prendre des risques, pas à prendre des risques», a expliqué un autre ancien responsable...

«Ah bon?», s'est plusieurs fois étonné Me Metzner. Le métier ne consisterait donc pas à gagner de l'argent?

Dans son livre «L'engrenage, Mémoires d'un trader», publié début mai, le prévenu a décrit des journées démarrant à 07H00 et finissant à 22H00, la vie privée sacrifiée, les sandwiches avalés au bureau... Il a aussi répété durant son procès que ses chefs «savaient» --ce qu'ils ont démenti-- mais le laissaient faire parce qu'il «gagnait».

«On n'est pas au pays des Bisounours !», a-t-il lancé.

Un seul de ses anciens jeunes collègues est venu dire qu'effectivement «cela se voyait», qu'il prenait de «grosses positions». Plutôt admiratif, il le considérait comme un «trader star».

Un ancien trader de la SocGen a lui aussi jugé impossible que Jérôme Kerviel ait agi seul dans son coin. Loin désormais du monde de la finance, il s'estimait seul en mesure de «parler librement»...

Des professeurs de finance ont tenté d'expliquer à l'audience le métier et la psychologie des traders, celle de Jérôme Kerviel étant particulièrement déroutante. Lui-même d'ailleurs n'a jamais nié avoir atteint des sommets «complètement débiles».

«Après quelques zéros on ne fait plus la différence», a estimé Catherine Lubochinsky, professeur à l'université de Paris-II, qui a évoqué les «biais de comportement» conduisant à sortir des clous et même le taux de testostérone des traders, supposé plus élevé que la moyenne. Les traders «sont des êtres humains, pas des machines», a-t-elle dit.