Géant des petits plats, Tupperware est actif dans le monde entier. Pourtant, en Amérique du Nord, c'est au Québec que l'entreprise connaît la meilleure croissance. Quelle est sa recette ?

Samedi matin, Boucherville. Devant un bungalow, les voitures se garent à la queue-leu-leu. On croirait un brunch familial. La raison de cette réunion matinale est légèrement différente. Dans sa petite maison, Carmelle a convié amies, s_urs et nièces à une présentation Tupperware.

 

Rétro et charmant? Certainement. Mais les réunions de vente de plats redeviennent très populaires au Québec. Ailleurs dans le monde, Tupperware s'est lancé à la conquête de marchés émergents, où son succès est phénoménal. Durant les deux heures et demie que durera la présentation à Boucherville, plus de 3400 autres rencontres Tupperware débuteront quelque part sur la planète. La multinationale du plat de résine calcule qu'une réunion de vente commence toutes les 2,6 secondes.

Certains pays sont de meilleurs clients que d'autres. En France, notamment, les ventes de Tupperware explosent: le chiffre d'affaires a connu une hausse de 15% en 2009. Plusieurs raisons expliquent ce succès au pays de la gastronomie, selon Rick Goings, président de Tupper-ware Brands. D'abord, les produits: «Nous avons laissé de côté les contenants de rangement et lancé des produits plus raffinés», explique Goings. Le contenant vedette en France est la «cave à fromages», qui permet de conserver plus longtemps les fromages les plus odorants sans embaumer tout le frigo.

Les présentations ont aussi été dépoussiérées, explique le président. La représentante cuisine maintenant gaiement devant l'hôtesse et ses copines et leur prépare des cocktails. «Nous avons enregistré des présentations en France pour nous rendre compte que, finalement, les femmes parlent moins des produits que de leurs vies et de leurs histoires d'amour, dit Rick Goings. À la fin de la soirée, elles rentrent à la maison en transports en commun...» Non sans avoir passé une petite commande de contenants.

Tupperware a donc opté pour l'approche McDonald's: une philosophie mondiale adaptée localement, selon les marchés. La recette semble efficace. Le titre en Bourse est passé de 20$ à presque 50$ en un an.

La croissance phénoménale de Tupperware est portée par son succès dans les nouveaux marchés que sont l'Indonésie, l'Inde, le Brésil, le Venezuela, le Mexique, la Russie, la Turquie et l'Afrique du Sud.

Aujourd'hui, l'entreprise réalise 85% de son chiffre d'affaires à l'extérieur des États-Unis. En Amérique du Nord, elle doit sa croissance, essentiellement, à deux clientèles, explique Rick Goings: les hispanophones et... les Québécoises.

Qu'est-ce qui pousse donc les Québécoises vers des contenants dont les prix font exploser le coût de la boîte à lunch?

Il faut voir un lien entre le rapport d'une population avec la nourriture et le succès de Tupperware, explique Marie-Josée Arel, directrice aux ventes de la multinationale. Les Françaises cuisinent beaucoup, elles conservent les aliments et utilisent les restes plutôt que les laisser pourrir dans le frigo. Les Québécois ont aussi ce lien privilégié avec la nourriture, dit-elle. Ses clientes n'hésitent pas à débourser 25$ pour une spatule de silicone résistante à la chaleur.

Autre chose joue en faveur de Tupperware: un lien affectif. Selon Maria Meriano, qui est dans l'organisation depuis 26 ans, le nom Tupperware fait toujours vibrer une corde sensible chez de nombreuses femmes. Ce sont les plats qu'utilisaient leur maman ou leur grand-maman. On trouve immanquablement un beurrier de plastique ou un moule à Jell-O quelque part dans notre inconscient collectif.

L'attachement est fort. «Dans une quincaillerie, un homme paiera plus cher pour un Black&Decker parce que c'est ce que son père utilisait, dit Mme Meriano. Une femme, elle, achète du Tupperware.»

C'est ce qui fait qu'elle paiera beaucoup plus pour un plat qui, en apparence, ressemble à ce que vendent les grandes surfaces, ajoute-t-elle.

Le succès de la vente directe

Maria Meriano est née dans le Tupperware: ses deux parents étaient représentants. Aujourd'hui, elle est à la tête du groupe Les Diamants, franchise qui compte quelques-unes des meilleures vendeuses Tupperware d'Amérique du Nord.

En 2006, la société a aboli ses franchises et révisé son système de vente à paliers pour rendre la profession plus attirante pour ses représentantes les plus performantes. Maria a bénéficié d'un droit acquis et conservé son centre de distribution d'Anjou. Tupperware lui a donné le titre de «directrice exécutive patrimoniale».

Au début du mois d'avril, dans une salle de réception montréalaise, Tupperware a tenu son «Super lundi», qui réunit au-delà de 500 personnes, surtout des femmes, représentantes et sympathisantes. Musique pop, applaudissements, tirages de plats et remise de prix très prestigieux comme des croisières en Alaska sont au programme. La salle applaudissait Maria Meriano comme une rock star dès que son nom était prononcé au micro.

«Tupperware, ce n'est pas un produit, dit-elle. Ce sont les gens. Construis ton équipe et elle va construire l'entreprise.»

La maxime n'est pas d'elle, mais de Brownie Wise, femme au foyer qui, au début des années 50, a mis au point le principe de la vente directe pour les plats conçus par l'ingénieur Earl Tupper, qui se vendaient bien mal en magasin.

Brownie Wise a non seulement mis au monde les soirées Tupperware, mais elle a aussi décidé de chouchouter les représentantes avec des attentions et des cadeaux. Devant l'immense succès de cette philosophie-bonbon, Tupper a fait de Brownie Wise sa vice-présidente.

«La culture d'entreprise de Tupperware offrait une solution de rechange aux structures de vente traditionnelles patriarcales, dans lesquelles les femmes étaient complètement aliénées», écrit l'historienne britannique Alison J. Clarke dans son livre sur le phénomène Tupperware.

En 1954, Brownie Wise est devenue la première femme à faire la couverture du magazine Business Week.

Hôpital le jour, Tupperware le soir

Dans son petit local d'Anjou, Maria Meriano a bien compris l'importance de valoriser les troupes à coups de cadeaux et de récompenses. La méthode porte ses fruits: elle est championne recruteuse et se classe au cinquième rang mondial pour l'augmentation des ventes de son équipe, lesquelles sont passées du simple au double en 2009. Le groupe Les Diamants compte accomplir le même exploit cette année et vendre pour 8 millions de dollars de contenants. Maria a même réussi à convaincre son mari, Mohammed, de laisser sa carrière d'ingénieur pour se joindre à l'entreprise. «Certains disent que nous sommes une secte, dit Maria Meriano. Ça ne me dérange plus: les gens sont bien quand ils sont ici. C'est très positif.»

La cinéaste québécoise Vali Fugulin s'est intéressée au phénomène. Son film Tupperware, recettes pour le succès montre une surprenante réunion de recrutement. Maria Meriano y présente le travail de représentante comme une façon idéale de concilier travail et famille. «J'ai été surprise, raconte Vali Fugulin, de voir dans l'assistance des professionnelles - des infirmières, des professeures, des femmes de carrière. Toutes étaient brûlées.»

«Certains gestionnaires devraient s'inspirer des méthodes Tupperware, poursuit-elle. Les filles vont chercher là quelque chose qu'elles ne trouvent pas dans leur milieu de travail: de la reconnaissance et une tape dans le dos.»

C'est précisément ce qu'est allée y chercher la psychiatre Kim Bédard-Charette, maman de trois enfants et représentante Tupperware à temps partiel. Elle est l'une des meilleures vendeuses de la province. «Tupperware a été ma thérapie», explique la Dre Bédard-Charette, rencontrée au Super lundi. La chanteuse Suzie Villeneuve fait partie du même groupe. Elle est une recrue prometteuse.

Toutes les appelées ne connaissent toutefois pas le même succès. Dans son film, réalisé en 2006, Vali Fugulin suit les carrières de quelques représentantes. Quand on n'a pas la personnalité d'une vendeuse, le passage peut être décevant, même pénible. Maria Meriano le confirme: huit recrues sur dix abandonnent le métier. Certaines ne feront pas une seule présentation. Seulement quelques-unes feront une véritable carrière Tupperware. Mais celles-là seront prospères. Parfois très prospères.

Alléchants bonus

Marie-Josée Arel s'est lancée dans la vente de contenants il y a deux ans. Elle était nouvelle maman et voulait que son fils ne passe pas trop de temps à la garderie. Une carrière Tupperware lui permettait de gérer ses horaires à sa guise. En un temps record, elle a gravi les échelons de l'entreprise et est aujourd'hui directrice d'une équipe composée d'une soixantaine de vendeuses, surtout des représentantes à temps partiel.

Les directrices reçoivent un bonus proportionnel aux ventes de leur équipe. Au mois de mars, Marie-Josée a reçu plus de 5000$, qui s'ajoutent aux revenus qu'elle tire de ses propres présentations, soit 25% des ventes.

Afin de motiver ses troupes, Maria Meriano affiche dans son local une copie des chèques qu'ont reçus ses meilleures représentantes. On peut aussi voir les photos de celles qui ont reçu une bague à diamant et des chanceuses qui se sont rendues à Orlando rencontrer Brooke Shields, porte-parole de Tupperware.

Marie-Josée Arel est aussi liée à l'équipe vedette Les Diamants. Elle fait en moyenne deux présentations par semaine. Ses ventes tournent autour de 700$ par présentation.

Les représentantes font-elles pression sur les clientes, captives dans un salon? Seulement les moins efficaces. Les meilleures jouent de subtilité. Leur enthousiasme pour les produits qu'elles présentent est si communicatif que, au moment où les clientes consultent le catalogue, à la fin de la présentation, les bols multicolores sont devenus irrésistibles.

À Boucherville, dans la cuisine de Carmelle, Marie-Josée est redoutable. Elle accueille toutes les participantes en leur demandant leur prénom, qu'elle utilisera abondamment durant sa présentation. Elle sait s'adapter aux groupes, qu'il s'agisse de jeunes professionnelles qui équipent leur cuisine, de nouvelles mamans qui se préparent à des années de boîtes à lunch, de retraitées qui s'amusent entre amies. Très rarement, des hommes sont du groupe. En 200 représentations, Marie-Josée les compte sur les doigts d'une main.

Une vie bien rangée

Devant son auditoire, la jolie trentenaire est à l'aise. Elle présente ses produits, conseille ceci ou cela et donne l'impression que Tupperware peut vraiment aider la dame de la maison à se reprendre en main: lorsqu'on a un garde-manger ordonné, notre vie ne peut qu'être bien en ordre elle aussi, n'est-ce pas?

«Le produit n'est pas vraiment important, explique Maria Meriano avec une franchise déconcertante. L'important, ce sont les gens, c'est le contact humain. Si le produit était si important, on le vendrait en magasin.»

Les ventes sur l'internet sont aussi plutôt faibles. Moins de 1%, précise le président Rick Goings. La force de Tupperware, confirme-t-il, c'est le contact entre les gens. Durant sa présentation, une conseillère doit atteindre trois objectifs: vendre des contenants, ajouter des présentations à son agenda et recruter des conseillères.

Durant son brunch, en plus de présenter ses contenants, Marie-Josée parle donc de la carrière de représentante.

L'année dernière, elle a terminé au deuxième rang des meilleures recruteuses de l'Amérique du Nord. Pour la remercier, Tupperware lui a envoyé une Mustang décapotable.

Lorsqu'elle raconte cela, il y a un soudain silence dans la cuisine de Carmelle. La douzaine de femmes tantôt si bavardes ont tout à coup le souffle coupé devant les perspectives d'emploi de Tupperware. C'est l'un des deux seuls moments de silence de la matinée.

L'autre survient alors que, en relatant son histoire personnelle, la représentante évoque ses années de vie en communauté religieuse. Elle cherchait un sens à la vie et disait l'Évangile en chanson, guitare à la main. «Jésus vous aime», raconte la belle blonde devant son auditoire médusé. Réaliser que c'est s_ur Sourire qui est en train de vous vendre des contenants de plastique a de quoi laisser bouche bée.

Son histoire rocambolesque (ses parents sont propriétaires de l'emblématique restaurant Madrid, au bord de l'autoroute 20, et elle a elle-même supervisé des compétitions de camions Big Foot!) captive son audience. Les femmes sont charmées et, à la fin de la rencontre, tout le monde se précipite pour passer commande.

«Tupperware a un marché mature, explique la directrice. Entre 1960 et 1980, la montée a été fulgurante. Il y avait à ce moment 15 000 conseillères au Québec.» Il y en a aujourd'hui moins de 1000.

Dans les années 80, le marché a chuté. Les familles étaient équipées à souhait et c'est aussi à ce moment-là que la concurrence sérieuse est arrivée, avec la multiplication des contenants de plastique de toutes les qualités.

Il reste que Tupperware a un avantage sur tous les autres: on se souvient des magnifiques contenants des années 70, couleur avocat, citrouille et or moisson. Les modèles vintage se transigent maintenant par centaines sur eBay. Les nostalgiques peuvent mettre la main sur le contenant pour _ufs durs et sur la classique boîte à céleri.

Maintenant, Tupperware vit un renouveau.

L'entreprise compte miser davantage sur l'aspect durable de ses produits, confie Rick Goings. Dans le sens écologique du terme. La collection de bouteilles réutilisables sera bonifiée. Tupperware compte aussi tirer profit de notre obsession pour la nourriture et la gastronomie, qui a fait se multiplier les chaînes de télévision spécialisées et élevé les livres de recettes au rang de best-sellers. «Je veux faire de la cuisine la pièce la plus sexy de la maison», confie Rick Goings.

Une présentation à la fois.

 

Tupperware en bref

> Siège social: Orlando (Floride)

> Président: Rick Goings depuis 18 ans, anciennement chez Avon

> Chiffre d'affaires: 2,1 milliards en 2009, dont 85% à l'extérieur des États-Unis

> Bénéfice net: 175 millions

> Production: 14 usines dans le monde

> Marché: produits vendus dans 105 pays Autres activités: produits de beauté sous sept marques

> Conseillères: 2,4 millions de représentantes, dont un peu plus de la moitié vend les contenants Tupperware. Les autres (1,1 million) vendent des produits de beauté. Une importante partie des représentantes n'est toutefois pas active mais fait encore partie de «la force de vente» Tupperware.

Voyez un extrait du film de Vali Fugulin, Tupperware, recettes pour le succès, à www.isuma.tv/hi/fr/tupperwarefilm

 

Le nouveau visage de Tupperware

Caroline Schoofs s'est intéressée aux contenants Tupperware après s'être rendu compte qu'ils prolongeaient la vie des légumes de son panier biologique, issus de l'agriculture soutenue par la communauté. Malgré son double bac et sa maîtrise, elle s'est lancée il y a quelques années dans la vente à temps partiel de ces contenants, au grand dam de sa mère, qui ne croyait pas qu'elle rembourserait un jour son prêt étudiant avec des présentations Tupperware.

Le discours de Caroline Schoofs est différent de celui de la «madame Tupperware» traditionnelle. On la définirait plutôt comme une entrepreneure en Tupperware. Elle parle de suremballage, de l'importance de ne pas jeter les aliments et de limiter les déchets. «Ça fait 60 ans que Tupperware propose des solutions écologiques, dit-elle. Je trouvais qu'on n'avait pas exploité ce côté vert de Tupperware.»

Ses affaires vont très bien. Plus de trace de prêt étudiant dans son bilan financier. Elle conduit une nouvelle voiture (hybride). La jeune femme a converti une partie de son triplex montréalais pour y aménager l'Espace Aqua-Terra, lieu très design où elle fait ses présentations, au cours desquelles elle sert du thé vert à ses invitées. L'ambiance tient davantage du cours de yoga que d'une démonstration Tupperware.

Caroline Schoofs n'est ni la meilleure vendeuse ni la meilleure recruteuse du Québec, mais la société l'a remarquée et lui a décerné le prix du sommet 2009, une reconnaissance mondiale très convoitée dans l'univers Tupperware. Son discours et sa personnalité incarnent le renouveau de l'entreprise et du produit.

Prochaine étape: la jeune femme souhaite faire une MBA afin de mettre au point un modèle de gestion propre à la vente directe et de transmettre la bonne méthode à ses collègues.

 

La vie après Tupperware

Dominique Cormier a étudié en théâtre. Elle travaillait en cinéma lorsqu'elle est devenue maman. Lorsqu'elle est revenue sur les plateaux, les horaires étaient chaotiques et incompatibles avec sa nouvelle vie de famille. C'est ce qui l'a attirée vers une carrière Tupperware: cette idée de pouvoir gérer son temps. Dominique a été représentante pendant trois ans. D'abord à temps partiel, puis à plein temps, alors qu'elle dirigeait une équipe. Mais elle s'est vite rendu compte que le recrutement de nouvelles représentantes, ce n'était pas sa tasse de thé.

«J'aimais faire un show et j'ai eu un plaisir fou», dit-elle maintenant. Effectivement, avec sa robe vintage orange, elle transportait son auditoire directement dans les années 70, les années fastes de Tupperware. Elle jouait fort la carte de la nostalgie et c'était très payant. «J'ai réussi à rembourser mes dettes, à me payer des vacances et à épargner», dit-elle. Avec ses économies, elle a récemment ouvert une petite boutique de fromages à Outremont, La Maison du cheddar.

Ce qu'elle a appris durant cette brève carrière de vendeuse de contenants? Beaucoup, dit-elle. «Chaque jour, je mets en application ce que j'ai appris à Tupperware. Comment avoir des objectifs clairs et les atteindre. Voir le potentiel de vente pour chaque personne. Ça m'a appris à devenir une femme d'affaires autonome et ça m'a donné une grande confiance en moi.»